dimanche 27 septembre 2015


Origines


Sur le port de Cayenne, juste à coté, hors champ, Justin est là, dos au mur. Hier soir, il a bu le reste de ses allocations. Sa tête est lourde. Il est temps qu’il parte. Ici, aucun avenir. Un vol d’ibis rouges passe au dessus du fleuve. Justin pense à son arrière grand père. Communard, celui ci est arrivé ici par la mer  en mille huit cent soixante treize avec des dizaines d’autres, chaines aux pieds. Il a résisté à la malaria et aux mauvais traitements. Libéré quelques années plus tard, on lui a attribué un petit lopin de terre avec interdiction de quitter la Guyane. Il a épousé une bushinenguée et a eu trois enfants. Le premier est mort à l’âge de quatre ans, le second était son grand père qui lui même a eu cinq enfants avec une métis kali’na. Justin ne sait rien du troisième, une fille, personne n’a pu lui dire ce qu’elle était devenue. Le père de Justin était le second de sa fratrie, trois filles et deux garçons dont un est mort poignardé par un chinois au cours d’une rixe dans un bar louche pour une soi-disant dette de jeu. Ce n’est  que tardivement que Justin s’est intéressé à ses origines, peu de temps avant la mort de son père. Celui ci, sentant sa mémoire défaillir, s’était mis à lui parler. Chaque jour, il racontait, l’arrière grand père, le bagne, les chinois, ses soeurs…
Parfois il s’embrouillait un peu, mais il fallait qu’il raconte et petit à petit Justin écoutait avec de plus en plus d’attention. Maintenant il n’est plus. Il ne reste qu’une photo jaunie où il pose fier la machette à la main, le fusil à l’épaule au sommet d’un inselberg, une photo qui sert de marque page à Justin. Justin n’a pas de travail, alors quand il ne boit pas il lit. Toujours les même livres, c’est difficile de s’en procurer par ici. Il les connait par coeur, comme les histoires de son père.
les ibis ont disparus au large de l’estuaire et Justin a pris une décision: demain il partira en métropole, sur les traces de son arrière grand père…

1 commentaire:

  1. Voilà une belle histoire mon cher Pierre... J'envie tes talents de conteur.. Tu as le sens du détail

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