lundi 16 mai 2016

                                             
             
                                                                  Jack l'Éventreur
                                             
                                        

Ce matin Angèle est descendue au jardin. Elle a taillé le lierre, aligné les pierres, arraché les mauvaises herbes autour du groseillier à maquereaux et dégagé les fraisiers. Quand elle se penche trop, la tête lui tourne un peu, alors elle s’est assise sur le banc de bois juste là hors champ.
Elle pense à son homme. C’est lui qui ramenait les pierres quand ils partaient en promenade. Albert dit Jack l’Éventreur. Ils se sont connus sur un ring à la salle des fêtes de Forges les Eaux. Elle avait dansé avant le match de catch. Elles étaient cinq pom-pom girls, Martine, Joëlle,  Sophie, Jacqueline, et elle, cinq copines qui se marraient tout le temps et faisaient des ravages au village. Mini jupes rouges et blanches, nombril à l’air, petit haut moulant rouge, bottines blanches et pompons blancs, elle se  trémoussaient sous les hurlements  des hommes avinés.
Jack avait traversé la foule en rugissant, les bras levés. Il portait un slip de satin bordeaux, une cape bordeaux doublée de jaune, et un masque de latex bordeaux aussi. Angèle aimait tant ce rouge profond, la couleur des dahlias de sa grand mère et du porrò plein de son père.
Jack avait ôté son masque d’un geste solennel  et Angèle avait vacillé devant ses yeux verts et  son crâne parfaitement lisse et rond comme un galet poli par les eaux. L’adversaire, Randy Savage devenait soudain ridicule dans son slip mauve.
Ça c’était terminé à la buvette à parler fleurs et cailloux, puis sur la banquette arrière de la 404 d’Albert, également bordeaux.
Ils ont eu une chouette vie. Et puis un jour, la tête d’Albert qui avait pris un peu trop de coups a commencé à se débiner. Des pertes d’équilibre, de mémoire, des tremblements, jusqu’à ce qu’il n’arrive plus à empiler ses pierres, ni se souvenir d’où elles venaient.
Elle l’avait accompagné jusqu’à la fin. Dans ses derniers instants elle avait posé sa tête sur son large torse et l’avait longuement caressé en  égrenant les noms de ses adversaires les plus prestigieux: le Bourreau de Béthune, l’Ange Blanc, le Petit Prince, Zarak, Le Gitan, Karl von Hess, Kid Marcel, Scarface, Antonio Tejero, Jimmy Douglas, le Tatoué du Ring…Puis elle avait saisit son sexe inerte en murmurant:  « C'est moi… ».
Angèle est maintenant reposée, la tête ne lui tourne plus. Alors elle se lève du banc de bois usé, va cueillir une de ces grosses fleurs blanches et remonte à la maison boire son petit martini du dimanche…

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