jeudi 12 mai 2016


La Course


Il est tout émotionné le petit homme vouté qui passe sur le sentier. Demain il reviendra ici avec la médaille. Une médaille de métal doré avec trois coureurs gravés, trois coureurs côte à côte devant la haute cheminée de l’usine. Il la garde dans une grossière boite de bois, avec le ruban bleu blanc rouge que le maire lui avait passé autour du cou. C’était le marathon de Mazères. L’usine Rizla marchait encore plein pot. Il y avait du monde. Il portait le dossard n°17 et participait à la course des minimes, cinq kilomètres. Il avait gagné malgré ses petites jambes, un long torse et de petites jambes qui faisaient la risée de ses camarades; personne n’aurait misé sur lui et pourtant c’était bien lui le vainqueur. Il avait plu juste avant le départ, il se souvient de l’odeur de la route après la pluie, des guirlandes de fanions jaunes et rouges tendus entre les maisons, des crécelles que les plus petits agitaient le long du parcours, et des encouragements des mères toutes plus fières les unes que les autres de leurs rejetons.  Il savait que l’usine allait fermer. On tentait bien d’épargner les plus jeunes mais comment ne pas voir l’inquiétude et l’agitation des hommes depuis les premiers licenciements. Il avait dit à son père: « si je gagne la course, l’usine ne fermera pas ». Et il avait lancé toutes ses forces dans la bataille, une énergie folle, pour sauver un village, il était comme ça. Il avait gagné. Son père avait pleuré, il l’avait vu.
L’usine avait tenu quelques mois de plus, mais  elle avait tout de même fini par fermer.
Lui avait cessé de courir.
Mais toute sa vie, il n’eut de cesse de se lancer dans des gestes fous pour des causes perdues…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire