samedi 18 juin 2016


La Sardine du Salat



Les musiciens se sont tus, les derniers spectateurs sont partis, dans ma caravane je fais le compte des visages du jour. Aujourd’hui, à Mazères sur Salat a été dévoilée pour la première fois, après d’autres lectures et fantaisies, la légende de la Sardine du Salat. Je peux donc maintenant la publier afin qu’elle se propage.

La sardine du Salat n’est pas aussi grosse que celle qui boucha le port de Marseille, non.
mais elle existe, elle.
Elle se cache sous les herbes d’eau, dans les anfractuosités, se faufile entre les galets et ignore l’appât du pêcheur à la mouche. C’est qu’elle pense la sardine du Salat; pas comme la truite qui n’est bonne qu’à frétiller sur un air de Schubert. Elle réfléchit, elle ruse la sardine du Salat.
Darwin disait: c’est en forgeant qu’on devient forgeron. Face à l’adversité, confrontée aux mille et une épreuves d’un long, très long voyage elle a développé une intelligence hors du commun.
On parle de l’intelligence des dauphins, des lamentins où des baleines mais que sait-on de celle de la sardine du Salat. Elle battrait aux échecs ces patauds aquatiques.
L’oeil vif, elle ne mesure pas plus de dix centimètres. Au repos ses écailles, en forme de losange, sont bleutées sur le dos, jaunes sur le ventre, mais comme le caméléon, elle a la particularité de changer de couleur comme de chemise. Sur l’ardoise elle sera noire, entre les algues elle sera verte, mettez la dans un bocal, placez le bocal devant la télévision, vous pourrez alors suivre le match sur son corps.
La sardine du Salat est musicienne, oh elle ne chante pas, elle n’a que faire de charmer les aventuriers, muette, et sage comme une carpe;  elle s’est essayée à la guitare, la nageoire en médiator, et a cessé quand elle s’est coincée dans les cordes. Pour les vents, c’est une autre histoire, c’est qu’il faut du… vent, et bien que notre sardine ne manque pas d’air, ce n’est tout de même qu’un poisson.  Elle joue du Lithophone, oui, c’est à dire qu’elle tape sur des galets. A la forme et la nature des pierres, instantanément elle sait quelles notes en sortiront, alors elle frappe avec sa queue. C’est ainsi qu’elle communique avec ses congénères.
Sa présence dans le Salat remonte à la renaissance. Une peinture à l’huile de l’illustre peintre Sandro Boticelli en fait état. Il ne s’agit pas de la fameuse Vénus qui repose dans une vulgaire coquille saint Jacques, mais d’un tableau absolument méconnu, peint lors d’un séjour du peintre à Saint Girons, où l’on y voit  une Vénus bien gironde chevauchant une sardine rouge de confusion.
En effet, si le paysage aquatique modifie la sardine, il en est de même de ses émotions. Le mélange paysage émotion crée d’extraordinaires palettes. Ainsi une sardine du Salat ému par un nénuphar prendra-t-elle de délicates teintes mauves. La sardine  à l’huile de Boticelli était donc d’un beau  rouge marbré de blanc et c’était bien une sardine du Salat, et non un misérable  poisson rouge, la forme en losange de ses écailles en faisant foi.
Mais d’où vient elle? Certains disent qu’une sardine de l’atlantique amoureuse folle d’un saumon téméraire l’aurait suivi jusqu’au sources du Salat. Mais une fois à destination le saumon indélicat l’aurait délaissée pour une saumonne à la bouche en coeur. La sardine éplorée n’aurait alors jamais regagné l’océan. Je ne crois guère à cette hypothèse car on sait bien que les chagrins d’amour dessèchent et le poisson séché n’est bon que dans l’assiette.
D’autres parlent d’une grosse sardine des Sargasses totalement stérile; L’animal en manque de maternité aurait alors suivi une bande de civelles - les civelles sont les petits des anguilles ( Vous savez sans doute que l’anguille est thalassotoque et catadrome… oui c’est à dire qu’elle se reproduit en mer , rejoint les cours d’eau où elle grandit gentiment puis regagne la mer), les civelles, que l’on nomme aussi pibale où montinette en Picardie( c’est d’ailleurs absolument délicieux, poêlée avec un doigt de vinaigre ) naissent  donc dans la mer des Sargasses puis portées par les courants rejoignent les côtes européennes et remontent les rivières - La sardine aurait donc suivi ces petits d’anguille jusqu’aux côtes françaises puis, passant à Bordeaux, remonté la Garonne tandis que croissaient les civelles. Les tenants de cette légende disent même qu’une crue aurait vidée les caves d’un grand cru du pays et que les mutations de la sardine serait due au rouge divin.
Cette hypothèse est tout aussi fantaisiste car comment une sardine stérile eut survécu jusqu’à nos jours. Quand aux mutations dues au rouge échappé des tonneaux, tout le monde sait que si l’alcool peut faciliter les rencontres, il affaiblit fortement les capacités reproductrices.
D’autres encore racontent que dans les larmes de la princesse Carmela de Bazano  il y avait une poussière qui devint sardine - Carméla de Bazano suite à un chagrin d’amour avait fui l’Espagne,
son pays, franchi les montagnes par le port de Salau et s’était écroulée épuisée et désespérée sur le versant français; neuf larmes coulèrent sur ses joues pâles, et une fée lui murmura:  « Tes  pleurs seront les sources d’une rivières où se baigneront les muscles de fer ». Ainsi, dit-on, naquit le Salat emportant dans ses eaux la poussière devenue sardine. Mais bon, je crois aux histoires d’amour, mais pas trop aux contes de fées.
La véritable histoire, la voici. C’était au moyen âge; le petit Childeric vivait en pays Basque. C’était un être d’une extrême sensibilité incapable de porter l’épée. Il adorait les animaux. Ses parents devaient se cacher lorsqu’ils préparait du gibier, Childeric ne supportait pas la vue du sang, et d’ailleurs ne mangeait jamais de viande. Bon, de toute façon c’était  très rare qu’il y ait de la viande à la maison car son père était pécheur et piètre chasseur. Mais Childeric ne supportait pas non plus de voir périr les poissons. Il se cachait pour pleurer. Il devint vite la risée du village et de ses  huit frères et surtout la honte de son père. Un jour, revenant de mer, son père avait violemment insisté pour qu’il l’aide à décharger le poisson. Childeric était au bord de la nausée. C’est à ce moment qu’il aperçut deux malheureuses sardines se débattant dans une flaque au fond de la barque. Il prit alors une décision qui allait bouleverser sa vie. Il poussa son père à la baye ( C’est bien là le seul geste de violence qu’il n’eut jamais eu), s’empara de son porro dont il remplaça le vin par de l’eau, y mit le couple de sardines, et partit vers la montagne sans se retourner. Il marcha des jours et des jours. Le soir, avant de s’endormir dans les creux des fossés, il sortait les sardines du porro et les  caressait en leur parlant, pas trop longtemps bien sur; il se nourrissait de plantes, herbes, racines et fruits qu’il partageait avec ses compagnons aquatique et mutiques. C’est au fil de ces tendres échanges et de cette nouvelle alimentation que les sardines mutèrent.
Comme disait Darwin, les voyages forment la jeunesse… Bref leurs écailles s’aiguisèrent et leur conversation s’enrichit, elles apprirent ainsi à frapper le verre de la carafe à la manière du morse  pour répondre à leur compagnon. Et enfin elles prirent goût à l’eau douce.
Childeric gravit des montagnes, franchit les crêtes, fit une pause à Bedous, s’égara dans les Baronnies, monta encore, redescendit . Le premier Avril de l’an 1216 il s’arrêta sur les berges du Salat pour se désaltérer. Quand il se pencha au dessus de l’eau, il aperçut entre les galets une pépite d’or. C’était un  signe. Il sut, alors lui Childeric le vilain petit canard d’une fratrie de huit, qu’il pouvait s’arrêter et se retourner. Il était maintenant suffisamment loin et en sécurité. Et c’est là qu’il devait redonner leur liberté à ses deux amies . Childeric relâcha les sardines dans le courant, non sans un dernier mot d’adieux. Au moment ou il vidait le porro, il aperçut plus loin sur la berge une magnifique jeune fille à la longue chevelure rousse qui peignait ses cheveux mouillés. Il la rejoint et lui raconta son histoire. La jeune femme  s’appelait Magnolia. A force de parler aux sardines, il savait très bien raconter des histoires. Ils se plurent immédiatement, se marièrent et ouvrirent une auberge où on y mangeait végétarien, buvait du bon vin et racontait des histoires.
Les sardines elles se plurent tant à Mazères qu’elles y restèrent, eurent beaucoup, beaucoup
d’enfants…

Nb: À l’auberge de Childeric et Magnolia, chaque premier avril on fêtait la sardine. Et comme bien entendu, il n’était pas question d’y manger du poisson, Magnolia confectionnait des sardines de papier que les convives avaient coutume de s’accrocher dans le dos….



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