mardi 9 août 2016


"Ange"


À Séverac le Chateau, il y'a le haut du village, médiéval, bien entretenu, avec des panneaux qui raconte l’histoire de certaines bâtisses, des gens qui vendent des chapeaux faits main, des vêtements au crochet, des bijoux et céramiques ou des peintures colorées. Il y a même un petit musée archéologique et bien sûr le château avec son son et lumière - « spectacle exceptionnel, 1000 ans d’histoire, 150 figurants, effets pyrotechniques, etc…. ».
Et puis il y a le bas du village avec des gens qui habitent là.  L’été, on n’ouvre pas souvent les volets, et l’hiver on vivote. Le travail se fait rare par ici.
Il se faisait appeler « Ange ». Un surnom acquis au cours d’une période faste pendant laquelle il était roadie pour des chanteurs de variété. Il m’avait contacté par téléphone, via Allostop, l’ancêtre des associations de covoiturage. Sa voix était rugueuse, sa grammaire approximative. Il m’avait dit être archéologue, handicapé, et accompagné d’un chien. Je le retrouvai aux alentours de Rambouillet. Il allait à Ruffec, moi je continuais jusqu’à la frontière espagnole au volant d’une R16.
Il était plutôt jeune mais déjà marqué par la vie. Blond, le nez légèrement épaté, des mains calleuses aux ongles noirs, il portait des vêtement usés, sans couleur et avait pour bagage un gros sac à dos. Le chien était un magnifique chien loup qui est resté bien sage à l’arrière pendant tout le voyage. «Ange» avait l’allure de ces routards qui hante les centres ville avec leurs chiens et le mot archéologue sonnait curieusement dans sa bouche ( combien de temps me faudra-t-il pour me défaire de jugements hâtifs et mal venus).
400 km pour faire connaissance. Jamais je n’oublierai cet homme. Enfant de la DASS, d’échec scolaire en échec scolaire, il avait échoué à l’armée où la seule chose qui l’eut apprise c’est à boire. Après avoir rendu l’uniforme, qui ne lui convenait guère, il suivit les chanteurs, déchargeant les camions et montant  les gradins. Mais l’alcool eut encore raison de lui.
Pendant quelque temps il fut employé municipal dans une petite commune, affecté à l’entretien des parcs. Puis il fut embauché comme homme à tout faire au musée archéologique de Saint Germain en Laye, où l’on peut voir l’extraordinaire Dame de Brassempouy. Et là, entre rangements, balayages et menus bricolages, il se mit à tout observer, à lire tout ce qu’il y avait à lire sous les vitrines et dans les brochures d’information. Petit à petit, il devenait archéologue. Le directeur du musée le remarqua et le prit sous son aile. Il buvait moins, il apprenait. Il s’intéressait plus particulièrement aux lieux des différentes découvertes, à leurs configurations. Le directeur lui dit un jour que certaines personnes parcouraient le pays en quête de vestiges et que chaque objet ramené pouvait rapporter un peu d'argent. Il partit alors sur les routes, attentif au moindre tumulus, espérant dénicher quelque antiquité enfouie.
C’était sa vie à présent, alternant séjours au musée et recherches dans les campagnes. Il me montra sa première découverte, précautionneusement enveloppée au fond de son sac: une lampe à huile romaine, intacte. Celle ci, je la garde, me dit-il avec fierté, c’est ma première. Tout le long du trajet, il me faisait signe lorsqu’il percevait dans le paysage un relief prometteur.
Quand nous arrivâmes à Ruffec, je le conduisis jusque chez lui: une petit cité HLM, tristes bâtiments de deux étages en rase campagne à la périphérie de la ville. Il habitait un deux pièces au rez de chaussée. Il me proposa de venir boire un verre avant de repartir.
L’appartement était quasiment vide. Dans une pièce il y avait un frigidaire volumineux, et une banquette de voiture en skaï brun. C’était tout. La porte de la deuxième pièce était fermée. Il m’offrit une bière ( le frigo en était plein) et me dit avec des airs de conspirateur: « viens voir. »
Il me conduisit dans la deuxième pièce. La porte était verrouillée et les volets clos.
Je découvris alors sous une pâle lumière électrique un amoncellement de boites de polystyrène, toutes de même format, parfaitement rangées. Chaque boite était divisée en petites cases carrées qui contenaient toutes des bouts de ferraille, de terre cuite, ou de pierre. L’empilement des boites montait jusqu’au plafond et il restait très peu de place dans la pièce. Il prit un morceau de métal rouillé dans l’une des boites et me dit de son air halluciné: « ça, tu vois, c’est un clou mérovingien, un clou de ceinture! »
La passion de cet homme était réelle, alors je l’ai cru. Je ne l’ai jamais revu. Il me reste de lui une carte de visite  avec son surnom « Ange » imprimé en lettres gothiques et la vision de cette improbable collection.
Il aurait pu habiter là, en bas du village, à Séverac le Château. Il  aurait été bien là, à deux pas d’un site médiéval…

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