samedi 8 octobre 2016


Bao


Pierre et Jean sont deux frères jumeaux, deux pêcheurs de Honfleur au visage buriné, deux pêcheurs au cœur dur, deux taiseux qui ignorent l’intérieur des terres. Les seuls larmes qu’ils aient jamais versées sont celles soufflées par les vents d’hiver sur leurs yeux plissés.
Et puis un jour ils ont croisé Bao, une jeune chinoise de passage. Elle faisait un selfie devant un vieux gréement baptisé La Petite Chine, ils déchargeaient leur pêche du jour à quelques pas.
Elle avait un léger rouge aux lèvres et souriait, belle de nuit s’ouvrant au crépuscule.
Ils ont chavirés, comprenant immédiatement que leurs deux cœurs étaient saisis.
C’est elle qui est allée vers eux, elle voulait les photographier. Ils ont dit oui en bougonnant , le palpitant sans dessus dessous.
Le soir, dans sa chambre d’hôtel, elle a longuement regardé la photo. Ces visages l’attiraient irrésistiblement, comme l’ont toujours attirée les lointains horizons.
Le lendemain elle est revenue sur le quai, au petit matin. Jean et Pierre s’apprêtaient à embarquer.
Elle leur a demandé dans un français approximatif s’ils pouvaient l’emmener pour la journée. Ils ont accepté sans même se concerter.
Elle est restée une semaine en leur compagnie. Ils ont appris quelques mots de chinois. Bao veut dire trésor. Il est pour certains plus facile de parler dans une langue étrangère.
Un jour de tempête, ils n’ont pas pris la mer, alors ils ont emmené Bao, à la chapelle Notre-Dame-De-Grâce, et là dans l’obscurité Pierre a pris la main de Bao et Bao a pris la main de Jean.
Mais pour Bao, deux hommes pour un seul cœur, deux hommes rugueux pour ce corps frêle, c’était trop, alors elle est partie vers d’autres continents.
Et Pierre et Jean sont allés planter trois roses dans le sable, et les mains dans les poches ils sont retournés au port sans un mot…

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