mercredi 12 octobre 2016


Opéra


Dans cette petite maison de Juaye Mondaye vit une cantatrice qui a chanté à Manaus, au Bolchoï ou à la Scala de Milan, une cantatrice qui pourrait couvrir Paris de toutes les fleurs qu’elle a reçues
Tant d’hommes et de femmes se sont pâmés à l’entendre, jusqu’à ce que sa voix lui échappe.
Ce furent d’abord quelques malheureux écarts qui laissèrent ses admirateurs stupéfaits, puis ce fut de plus en plus difficile de monter sur scène, et les rumeurs les plus folles coururent à son sujet. On la disait atteinte d’une maladie orpheline, ou sous la coupe d’un gourou malfaisant, ou sombrant dans une insondable dépression; on l’avait vue en larmes, on l’avait vue chauve, on l’avait vue saoule, on l’avait vue errant pieds nus à Manhattan.
Rien de tout ça. Elle avait juste trop donné aux vivants et sa voix s’était épuisée. Alors elle s’est retirée dans cette petite maison dont personne ne voulait, face à l’ancien cimetière de Juaye Mondaye.
Et chaque soir, quand vient la nuit, elle parait à la fenêtre, impeccablement coiffée, vêtue d’une robe de soie noire, un collier de perles d’Australie autour du cou. À la lumière des réverbères elle parait comme peinte par Vermeer.
Alors, du fragile filet de voix qu’il lui reste elle chante  tous les plus grands airs d’opéra, et les morts se lèvent et l’applaudissent en silence…

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