mercredi 16 novembre 2016


Josepe



L’été, Josepe tient un petit stand sur la plage. Il loue des tentes et des transats. Les montants des tentes sont bleus, la toile également et les transats de tissu rayé bleu et blanc.
Josepe a repris la petite entreprise de son père. Enfant il trainait toute la journée sur la plage. Il passait derrière les tentes et soulevait légèrement la toile pour admirer les rondeurs des baigneuses en train de se changer. Quand il y avait un Embata, c’est ainsi qu’on appelle ici les brusques coups de vent qui s’annoncent par une barre de nuages sur la montagne voisine, il aidait  son père à vite replier les toiles. Chaque printemps, avant le début de la saison, son père repeignait les montants de métal et le bois des transats, tandis que sa mère recousait ce qui était usé ou déchiré. Avec ce qui restait de peinture on repeignait les volets de la maison. Josepe à toujours adoré cette  forte odeur  qui présageait des après-midis joyeuses.
Josepe n’a jamais quitté cet endroit. Il ne peut en exister de plus beau. La grande plage sur laquelle veillent ces deux grands rochers jumeaux à l’est, la montagne à l’ouest  qui accroche les nuages, et au centre l’ancien casino de style mauresque qu’il a connu blanc, c'est son univers, grand ouvert sur l’océan sans cesse changeant.
Alors Josepe a pris la suite de ses parents. Mais les tentes se louent moins bien. les vacanciers viennent avec leurs sièges de plastique et leurs parasols. Le métier n’est plus ce qu’il était comme on dit et Josepe vit chichement. Cela lui est égal, sur sa plage, il n’a pas besoin de grand chose.
Tant qu’il a des yeux pour voir et un nez pour sentir. Mais qui aurait voulu épouser un rêveur qui loue des transats à huit euros la journée. Alors Josepe vit seul, et quand vient l’automne et que tout le matériel est bien rangé dans le garage, Josepe ferme ses volets et ne sort plus beaucoup jusqu’au printemps. Il hiberne comme un ours des Pyrénées.
Parfois il ne se lève pas avant onze heures. Il saute le repas du midi et le soir dine d’une soupe à l’ail et d’un morceau de fromage de brebis. Il fait une petite marche sur la plage en fin d’après-midi, juste avant la nuit. La lumière y est plus belle.
Ce matin, il fait froid. Josepe est blotti dans son lit, sous d’épaisses couvertures de laine. Il sait que la mer est calme; il habite à une centaine de mètres de l’océan et il en devine à l’oreille son état, même fenêtres et volets fermés. Il est bien, au chaud dans son lit, dans la pénombre. Il ne bouge pas, il écoute les craquements de la maison.
Soudain un chant vient du dehors, une voix ronde, grave, féminine mais grave, une voix d’alto aux accents mexicains, puis anglais, puis créoles.
Josepe s’enfonce sous ses draps, bienheureux dans ce douillet cocon. la voix l’enveloppe, le berce, le pénètre lentement, profondément, jusqu’au lieux de ses quelques regrets. Il sourit et pleure à la fois, et s’enfonce toujours. Qui est cette femme qui chante? Une nouvelle voisine? Juste une femme qui passe dans la rue? Il l’imagine, grande, très grande, de grands yeux tendres et des lèvres comme des fruits murs. Il lui voit de longues mains, gracieuses et infiniment douces, de longues mains qui battent la mesure tandis qu’elle marche comme une reine dans la rue déserte sur un tapis de feuilles rouges.
Il l’imagine et la voix est toujours là, bouleversante. Il se dit alors qu’il devrait se lever et ouvrir les volets, pour voir, pour vérifier. Mais il est si bien là, au fond de son lit…

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