mardi 4 avril 2017


La Lune à la Fenêtre


« Le voleur parti 
n’a oublié qu’une chose
la lune à la fenêtre »

Il reste encore un peu de lucidité à Nicolas, un peu de force et de lucidité pour murmurer ce Haïku de Ryōkan. Il est là depuis trois jours, dans un réduit de béton, un ancien local à poubelle sans doute, trois murs gris et une porte métallique faussée qui laisse passer l’air froid. Il pensait l’hiver derrière lui, mais il y eut ce glacial et meurtrier sursaut. Un froid traitre qui brûle les bourgeons et gèle les flaques où boivent les oiseaux.
Nicolas ne parle plus à personne depuis longtemps, seuls quelques poèmes parfois s’échappent de ses lèvres gercées, des poèmes de sa vie d’avant, des poèmes qu’il aimait dire à ses jeunes élèves.
Ses méthodes d’enseignement peu orthodoxes ravissaient les enfants et inquiétaient les parents.
Certains se sont plaint, ce n’est pas avec des vers « chinois » que leurs charmants bambins affronteront l’avenir. Et puis il y eut ce jour de printemps où lors d’une sortie au parc, après avoir écouté cet autre haïku de Ryōkan,  « là elle se couche  Reste couchée ainsi  L’herbe du jardin », les élèves se roulèrent dans l’herbe tendre avec leur professeur sous les yeux ébahis d’une mère accompagnatrice. Ils n’en fallait pas plus pour que les ragots commencent à courir, de sales petits bruits qui glissent sous les portes, et s’invitent à l’improviste dans toutes les conversations. Quelqu’un avait vu Nicolas une nuit derrière l’école avec un homme, ils s’embrassaient, il en était sûr. Un autre disait qu’il devait avoir le Sida, ses visites fréquentes à la pharmacie et son visage émacié en attestaient. Que faisait-il avec leurs enfants? Les enfants eux même commencèrent à se poser des questions, le sale petit bruit commençait ce lent travail de sape dans leurs esprits malléables. L’un d’entre eux finit par dire ce qu’on voulait lui faire dire, Nicolas lui avait fait un câlin. Un câlin comment? Ben un câlin quoi. Nicolas avait juste consolé l’enfant qui s’était écorché sur les graviers. Nicolas était un tendre, un fragile qui ne supportait pas de voir quiconque souffrir, un idéaliste qui ne doutait pas de la bonté humaine. Il reçut les coups sans comprendre. L’inspection académique fut saisie, il fut mis à pied. La joie céda la place à la peur et  au doute. Les cris de son père refirent surface. Tout ce qu’il avait patiemment mis en place pour fuir le monde rigide et glacé de son enfance s’écroulait.
À quoi bon… Il renonça à se battre, cessa toute activité. Il resta cloitré chez lui jusqu’à ce que l’on viennent saisir le peu qu’il possédait. Et il partit, quitta définitivement cette ville qui l’avait déclaré coupable. Coupable de quoi? Coupable! C’est tout, coupable!
Il partit sur les routes rejoindre ceux pour qui ça ne collait pas trop ici bas, il partit sur les routes pour n’être plus que dans la marche, mettre un pied devant l’autre et ne penser à rien.
Depuis deux ans, il marchait, deux hivers déjà, son corps trop fragile ne tiendrait pas longtemps. Il passait dans les villes comme une ombre. Son seul réconfort était le chant des oiseaux à l’aube.
Ce matin, aucun oiseau. Dans son réduit, Nicolas à passé la nuit à grelotter, recroquevillé sur des cartons, il n’a pas dormi et pourtant il est épuisé. Il n’y a pas la place pour se tenir allongé, il est adossé au mur du fond, les pieds contre le métal rouillé de la porte. Il sent que le jour se lève, il veut lui aussi se lever, mais il n’en a pas la force. Il pousse la porte avec son pied, la porte grince.
C’est drôle, il fait nettement moins froid. Tiens, La lune est encore là. « Le voleur n’a oublié…. »
La lune roule, une tête  toute ronde qui roule. « Le voleur… ». Enfin Nicolas s’endort.

(Tartas, landes, 13 janvier)

1 commentaire: