Perpignan- Manchester- Méditerranée
Premières chaleurs. 30° hier à midi à Perpignan. Rick a du détendre légèrement les peaux de sa batterie. Ce fut un beau concert hier soir à La Casa Musicale. Une des premières dates de la tournée d’été du Rick Delaveine Trio. Le matin, Rick a été réveillé par la radio qui diffusait en boucle les dernières infos. Vingt deux morts à Manchester. Une bombe, au milieu de très jeunes gens. Avant de descendre rejoindre Phil et Gilberto, le contrebassiste et le pianiste, Rick s’est longtemps regardé dans la glace. Un exemplaire de l’espèce humaine, s’est-il dit. Et il s’est trouvé très fatigué. Chiale pas, t’énerve pas, garde le tempo et joue, putain. Ils n’en n’ont quasiment pas parlé avec ses deux potes, ils ont pris leur petit déjeuner en silence, Et chacun est parti de son coté, avant de se retrouver à quinze heures pour les balances. Rick avait besoin d’air, quitter la ville. Quand il joue dans une ville où il n’a jamais joué, Rick aime trainer dans les rues et s’offrir un nouveau costume, une chemise à fleurs, où des pompes qui te font marcher comme un prince, même si t’as les pieds en canard. Là, non, il a loué une bagnole et s’est cassé vers les montagnes.
Quand sur la route, il a vu indiqué: Ermitage de Galamus, il a été voir. Il y a là à flanc de falaises, dans les gorges de l’Agly, une chapelle dans une grotte et une maison de pierre, une maison qui semble si petite dans cet univers minéral. Rick s’est demandé quelles perceptions les ermites ont du monde; en sont-ils coupés, préservés du tumulte, où à l’inverse ont-ils acquis un état de conscience qui les rend si sensibles que tout leur parvient. Il y a une chose dont Rick est sûr, c’est qu’on est tous reliés, et s’il y en a un qui joue faux, pas commode de tenir le rythme. Bon, mon vieux faut redescendre, il y'a un concert qui t’attend, et puis tu seras jamais ermite, t’aimes trop les filles.
Ce fut un beau concert. Une ambiance, comment dire, musclée, debout, profonde et vive. Il ont commencé par un silence en hommage aux victimes de Manchester, puis ils ont joué pendant deux heures sans s’arrêter. Tout ce qu’ils ne pouvaient se dire était dans la musique.
Après le concert, ils sont allés boire un verre sur la côte avec deux espagnoles aux yeux de braises.
Mais il était trop tard, et fin mai la saison n’a pas vraiment démarré. Il n’ont rien trouvé d’ouvert. Rick voulait rester là, se remplir les poumons de l’air de la Méditerranée, disparaitre au rythme lent du ressac. Les quatre autres sont retournés vers la ville et lui est resté sur la plage assis sur une chaise. Il a fumé une à une les cigarettes de son dernier paquet de Camel sans filtre avec le chameau. Après celui ci il arrête définitivement de fumer. Un paquet de cigarettes avec des photos d’ organes malades! Putain! Quand il fume une cigarette, c’est tout un rituel, sortir lentement le paquet de la poche, le regarder longtemps avant d’en extirper une clope et de l’allumer en tordant légèrement la bouche à la manière de Clint Eastwood. Comment rêver avec ces putain de paquets. Bon, me direz vous, c’est réussi, puisque c’est fait pour vous empêcher de fumer. Empêcher de fumer, à la rigueur, mais pas de rêver! Merde! C’est quoi ce monde qui au fur et à mesure qu’il rétrécit, se recroqueville comme une vieille bigote, engendre les pires des barbaries. Merde!
Rick est resté toute la nuit sur cette chaise, face à la mer, la mer Méditerranée. Il s’est calmé. Il a remarqué que chaque fois qu’il y a des catastrophes, il répète les mots putain et merde en boucle, lui dont on dit qu’il est l’élégance même. Il a dit putain encore une fois, avec un demi sourire cette fois ci. Rick restera toujours un indécrottable optimiste.
Il a dit putain avec un demi sourire et a chialé comme un con face à la Méditerranée.
(Saint-Cyprien, Pyrénées Orientales)