Le Rêve de Rick Delaveine
Elle portait un boa de plumes blanches, une robe fuseau bleue outremer et des boucles d’oreilles touareg. Elle était arrivée dans une Chevrolet Impala cabriolet fuchsia conduite par un homme sans visage. Elle avait des cheveux de jais et des yeux de louve, elle marchait au ralenti, balançant ses longs bras avec désinvolture.
Dans la salle de réception du casino mauresque, Rick se balançait sur un cheval à bascule au milieux d’hommes en smoking qui dansaient avec des poupées russes. Rick avait quinze ans, le cheval était minuscule. Il se balançait au rythme d’un big band qui jouait Take Five sur une scène couverte d’or. Les musiciens en frac portaient des masques sénoufos, ils oscillaient de droite à gauche, leurs pieds chaussés de noir soulevaient la poussière d’or.
La femme avait marché jusqu’à Rick, posé sa main sur sa tête et l’avait longuement caressé. Ses doigts bougeaient au tempo de l’orchestre, elle regardait Rick dans les yeux et lui parlait en créole. Puis elle était sortie, elle avait marché jusqu’à la mer. Rick l’avait suivie, il l’avait vue trébucher sur un rocher, se relever avec élégance, avancer sur le sable en équilibre sur un rayon de lune, disparaître dans l’eau sombre.
Voilà le rêve qu’avait fait Rick la nuit de ses quinze ans. Il s’en souvient encore parfaitement quarante cinq ans après. Le décor correspondait au détail près à la réalité.
Il avait dit à son père quelques jours plus tard qu’il deviendrait musicien, que rien ne le détournerait de cette vocation.
Depuis il écume les scènes du monde entier avec son trio. Sur les pochettes de disque son nom est écrit en bleu outremer.
En route pour Bilbao, il s’arrête à Hendaye, où tant de choses se sont passées. Le casino mauresque est toujours là, maintenant c’est une résidence chic avec des boutiques au rez-de-chaussée, les murs ne sont plus blancs mais gris.
Il revoit son rêve. Il refait le chemin, du casino au rocher. Le rocher est toujours là, une plume blanche mouillée y est accrochée.