vendredi 30 novembre 2018


Une feuille


(Vaucresson)

 Hier il restait trois feuilles au noisetier, aujourd’hui il n’y en plus qu’une.
Jean-Albert est sorti à 16h30, quand le soleil éclaire ce coin du jardin. Il s’est assis sur la chaise de fer blanche. Le métal était froid. Il a regardé ses mains tremblantes, couvertes de tâches brunes, les a glissées dans les poches de son gilet de laine.
Un vent léger éprouve la feuille. Jean-Albert repense à toutes ses années de luttes. La résistance à 18 ans. Ce jour où après avoir coupé un chêne au bord d’une route pour bloquer le passage, ils avaient été surpris par une patrouille allemande. Ils avaient fui dans les bois, l’un de ses camarades avait été rattrapé, ils ne l’avaient jamais revu. Ses années de militantisme à la JOC. Le jour où il a rencontré Adeline lors d’un congrès. Il étaient assis côte à côte, il s’était emporté au cours d’un discours, son fauteuil s'était cassé, elle avait eu un fou rire. Toutes ces grèves partagés, le bois cramé dans les bidons sur les piquets, les nuits froides et les matins d’espoir, les rages, les déceptions, les trahisons, les conquêtes.
Jean-Albert ne quitte pas la feuille des yeux. Elle résiste. Seule. l’après-midi est douce. Jean-Albert se dit qu’il va peut-être bien reprendre du service.

jeudi 29 novembre 2018





(Vaucresson, Renoncule)

Au creux de la vague

mercredi 28 novembre 2018


Le jour ou Rick Delaveine a rencontré Roger Boussac


(Frayssinet-le-Gélat, Lot, 20 novembre)

Osez, osez Joséphine, Bashung chante, la Citroën roule paresseusement, l’automne défile.
Soudain, l’éclat d’un feuillage adossé à la pierre, un passage de bêtes sauvages entrevu, Rick fait demi tour, revient sur ses pas. À l’instant où il coupe le contact, il se rend compte que l’arbre et la pierre surplombent un petit cimetière. De la route, on n’en aperçoit que le mur gris.
Rick regarde les feuilles jaunes, la roche bleue. La lumière baisse, il entre dans le cimetière.
En lettres d’or sur le marbre clair: Roger Boussac. Il ne voit que cette tombe, ce nom.
Un nom qui lui évoque quelque chose… Il cherche… Roger… Il a bien eu un ami qui s’appelait Roger, mais pas Boussac… Il en connaît des Roger, tous bien vivants …Tous bien sympathiques, aimants, se dit-il, ce doit être le prénom qui veut ça.
Mais Boussac, connais pas… Sans doute ce monsieur m’a-t’il fait un clin d’œil pour une conversation. Il s’ennuie sous la terre, il y a longtemps qu’il n’a pas eu de visite.
Bonjour Roger, je m’appelle Rick Delaveine, je passais par là par hasard, il m’arrive de rouler au hasard, je suis batteur, les paysages m’inspirent, la route est ma rythmique, je viens de l’Atlantique. Comment vas tu? Ça fait un bail que t’es là à ce que je vois. Que faisais tu, agriculteur, éleveur, ferronnier, charpentier? Roger Waters, tu connais?  C’est calme ici, il n’y a pas beaucoup de passage. La campagne a pris ses couleurs d’un coup, dominante jaune. Sur les rond-points aussi. Ça s’agite. Un coup je suis d’accord, un coup je ne suis pas d’accord. On ne peut plus se parler, juste s’engueuler, balancer des discours tous faits. Il nous faudrait la douceur des filles, l’amitié des arbres, l’insouciance du canard sauvage. As tu été chasseur? As tu déjà tué? J’ai tué un chat, une fois, un chaton abandonné par sa mère, je pensais bien faire, j’y pense encore. Qu’entends tu là dessous, ou là haut? Je ne sais pas vraiment où tu es, peut-être partout en même temps? Bashung, Higelin, tu les vois, tu les entends? Et mon père? Tu dis rien. Je parle trop, encore une fois. iI faudra que j’apprenne à me taire. Ce n’est pas si facile. Je suis resté longtemps muet, alors quand j’ai osé parler…Taper sur la peau, ça remplace. Batteur, c’est mon métier, je viens de composer un morceau, une valse pour deux vaches et un héron, ça commence dans le brouillard. Si ça se trouve tu n’aimes ni le rock ni le jazz. Peut-être même que tu t’en fous de la musique et des mots. Moi ça me tient debout, c’est mon carburant, c’est pas taxé, je fais le plein partout où il y a de l’air, au soleil ou sous la pluie. Tu connais l’histoire du fou qui se prenait pour un grain de riz? Peut-être bien que tu n’aimes pas les histoires drôles non plus? Il doit y en avoir un paquet à se raconter là bas à nous voir marcher cul par dessus tête. Bon, tu ne dis toujours rien. Je vais te laisser. Content de t’avoir rencontré Roger. Je ne sais pas pourquoi mais je t’imagine avec de grandes mains rugueuses et un rire tonitruant, un rire bien plus fort que tous les babillages autour de la table. Allez, salut, je m’en vais. Oh juste une dernière phrase avant de partir, quelques mots d’un poète que j’aime bien, Pierre Albert Jourdan, un gars discret: « Le papillon applaudit la fleur qui consent ». Voilà, une phrase comme ça, qui passe, comme cet éclat que tu as mis dans les feuilles. Salut Roger.
Rick a refermé soigneusement la grille du cimetière, a jeté un dernier regard sur l’arbre, sur le passage, cherchant les traces d’un quelconque animal, puis a repris sa route en se jurant d’être moins bavard la prochaine fois qu’il rencontrerait un mort.

mardi 27 novembre 2018



Trois corbeaux


(D46, Montgesty, Lot, 20 novembre)

Un rayon de soleil, trois corbeaux sur les branches mortes d’un arbre vrillé, je me suis arrêté, j’ai claqué la portière, les corbeaux se sont envolés, un nuage est passé, je me suis senti infiniment seul, et très con.

lundi 26 novembre 2018


Je vais tranquille


(Les Quatre-Routes-du-Lot, Lot, 9 novembre)

Les amis lointains, les morts et les vivants,
des fragments de vie, des fragments de nuit,
j’écoute JJ Cale dans une R5 bleu-ciel,
j’embrasse Sophie au mitan du lit,
je ferme la porte sans faire de bruit,
je laisse trois mots au matin discret,
trois mots plus petits qu’une goutte d’eau,
je vais tranquille.

dimanche 25 novembre 2018



Miniatures éphémères


(Vaucresson, 9 novembre)

Clef de sol

samedi 24 novembre 2018


Le regard du poisson


(D80, Pont suspendu de Carennac sur la Dordogne, Lot, 22 novembre)

Un pont suspendu, le bois claque, la brume avale, Rick va piano, il ne sait pas trop où, la vie en sourdine.
Un dé qui vrille, l’as à l’est, le trois au sud, le six à l’ouest, le quatre au nord, le cinq au sol, le deux au ciel, un coup de dé, pour une histoire d’amour, ou pour rien, pour s’effacer, laisser faire, retourner à la terre.
Rick ne sait vraiment pas où il va. Il y a un passage dans ce bouquin, La Rage de Vivre de Mezz Mezzrow, des mecs chargés à bloc dans le brouillard, une bagnole, une vache, il ne sait plus trop, faudra qu’il le relise, un bon bouquin.
C’est bien parfois de ne pas savoir, même si ça fait peur. Un jour, parti en retard pour un concert, à cause d’une fille, encore, il a pris un  raccourci, une piste boueuse en pleine forêt. Fallait pas traîner, sinon tu restais scotché dans les ornières avec la voiture de loc dernier cri. Il a foncé en espérant bien tomber sur du bitume. Y a le cœur qui tape aussi vite que la caisse et de la joie qui monte. C’est un peu ça ce matin, mais tout au ralenti, une douce incertitude.
Au bout du pont, Rick s’arrête.  Il descend au bord de la rivière, ses mocassins sont trempés. Accroupi il plonge ses mains dans l’eau, s’asperge le visage, l’eau est glacée. Un poisson saute, juste devant lui. Il jurerait avoir vu son regard, un clin d’œil fraternel.

vendredi 23 novembre 2018


Une si faible lueur


(Route de Saint-Céré, Gramat, Lot)

Une si faible lueur
Un trait de khôl
Au regard fatigué

jeudi 22 novembre 2018



Un grand soleil blanc


(Les-Quatre-Routes-du-lot, Lot)

Un grand soleil blanc
Il n’y a pas trente six chemins
Aux quatre routes du Lot
Je suis oiseau
Je suis roseau
Un poker d'as entre les mains

mercredi 21 novembre 2018


Ghislaine


 (Saint-Céré, Lot)

Huit heures, pieds gelés, premiers froids, la voiture démarre en toussant, elle veut pas. C’est comme Ghislaine, pas envie, rester au lit, penser à rien, la nuit trop chaude, le pyjama mouillé, la ménopause, la paupière qui gonfle, la vie fripée. Il a bien fallu, elle s’est levée, manque des trimestres, on est pas au bout, faut y aller, le café qui brûle, la porte qui grince, la bagnole qui tousse.
Il y a la piqure de madame Cheval, la toilette d’Armand, le pansement d’Adrien, la prise de sang d’Étienne, la glycémie de Caroline, les escarres de monsieur Jean, les ulcères de Marie-Christine,
les levers, les contrôles, les couchers, Josiane, Éléonore, Gustave, le petit Paul, madame Chafoin,
Django, Jo le bougon, les papiers, les confidences, les remontrances, et parfois un baiser, un sourire, une étreinte, quelque chose de chaud, quelque chose qui dure, un peu.
Dix neuf heures, faut rentrer, dernière mise au lit, Ghislaine est décoiffée, elle a le dos cassé, le cœur griffé. Elle embrasse le vieux Django, un baiser sur le front, il la demande en mariage, encore une fois, elle s’en va.
Vingt deux heures, la voiture est garée, premier gel, y a le carton sur le pare-brise, demain faudra refaire le plein, c’est pas gagné.
 Ghislaine s’endort en regardant les Soprano à la télé, Ghislaine s’endort, elle repense à Django, était-il beau, était-il doux? Ghislaine s’endort, un petit quelque chose de chaud au creux du ventre, un tout petit quelque chose de chaud.
Ghislaine s’endort.

mardi 20 novembre 2018



Un petit tas de caillou


(Plage de Cenitz, Guethary, 14 novembre)

Dans le creux d’un gros caillou, 
un petit tas de cailloux, 
pour ne pas se perdre.

lundi 19 novembre 2018



Au bout de la digue


(Hendaye)

On vient au bout de la digue
pour s’embrasser
pour se délester
pour se marier
pour repartir
pour en finir
pour déglutir
On vient au bout de la digue
pour rêver
pour pêcher
pour le chien
pour le père
pour commencer
pour recommencer
On vient au bout de la digue
pour rien 
pour regarder
pour exister
Dans chaque maison
il faudrait la mer
il faudrait une digue
pour aller au bout
chaque soir 
au bout de la digue

dimanche 18 novembre 2018


Miniatures éphémères


(Vaucresson, 9 novembre)

À quai

samedi 17 novembre 2018


Cocaïne


(Vaucresson, 5 novembre)

Elle tenait le mur du vingt-cinq rue Saint-Denis. Ses fidèles l’appelait cocaïne. Elle était une anomalie sur le trottoir. Elle s’offrait aux bègues et aux sans papiers. Pour chacun elle avait la tendresse d’une amoureuse. Rousse et veloutée, elle ravivait les feux éteints, ses baisers donnaient de la voix aux taiseux, ses caresses étaient des prières, son sexe un sanctuaire.
On l’appelait cocaïne, c’était une pute, c’était une sainte.
Un jour, on ne l’a plus revue, pas même une ombre sur le mur du 25 rue Saint-Denis.
Les hommes passaient et repassaient, la tête basse, un voile dans le regard, n’osant demander des nouvelles. En auraient-ils eu?
On ne l’a plus revue, ils l’appelaient cocaïne, c’était une sainte.

vendredi 16 novembre 2018



Soublecause, Valse pour deux vaches et un héron


(Sur la D37, Lupiac, Gers)

Soublecause. C’est là que Rick a échoué hier soir. Un drôle de nom, pas musical pour deux sous, mais plein de sous entendus. Échoué là, sur les côtes de Madiran, comme un saumon désorienté.
C’était une période sans, entre deux. Une tournée qui s’était achevée en beauté, un disque dans les bacs. Fallait passer à autre chose, changer de costume, pourquoi pas de coiffure. Chaque fois la même difficulté entre deux projets, une cigale qui aurait du mal à muer.
Soublecause. Saoul, soluble,  noble cause. Se dissoudre dans la terre grasse du Gers avec quelques verres de Floc ou d’Armagnac.
Il y a quelques années il avait joué au festival de jazz de Marciac, sous le grand chapiteau. Il y avait eu un orage apocalyptique, le concert avait été interrompu. Il avait fini la nuit avec une bénévole trempée qui connaissait tous ses morceaux. Ils s’étaient promis de se retrouver ici en hiver quand la ville est déserte. On dit, on promet et puis, le temps passe…
Soublecause. Quelles causes? il y en avait tant qui le mettaient en rage. Alors dans ces moments d’entre deux, il ne choisissait pas, il baissait les bras. Trop facile! Il n’allait quand même pas enfiler un gilet jaune. Mauvais goût. Pas les bons combats. En mauvaise compagnie.
Ben tiens, je vais rouler, je vais voir le Gers en Automne, faut que je me défeuille. Il s’est tiré, dans sa vieille Citroën, il a tracé tout droit vers le pays du foie gras.
Une douceur exceptionnelle. Il a roulé vitre baissées avec un CD de Mélanie de Biasio. Il aimerait la rencontrer, elle a un truc, cette beauté des matins brumeux où on peut tout imaginer, la mélancolie d’une nappe de brouillard qui lentement se dissipe, laisse entrevoir ce qu’on n'attendait plus.
Il roulait. Les arbres, les vignes, jaunes, jaunes, rouges, fauves. La voix de Mélanie de Biasio.
Un héron qui s’envole, large. Des nuages comme un matelas dans le ciel.
Soublecause. C’est là qu’il s’est arrêté. À cause du nom, à cause… Ça tombait bien, il y avait une auberge. Les patrons étaient sympas, elle, avait un accent belge, tous les deux bien en chair, deux lunes pour veiller sur les voyageurs. Il n’y avait que deux clients, lui et un représentant en produits agricoles. Rick a préféré ne pas engager la conversation au dîner, l’homme avait un air à frayer avec le chimique, fallait pas troubler l’harmonie du lieux.
Dans la chambre, il  a eu un choc. Au dessus du lit, la reproduction d’un tableau de Paul Delvaux, Nuit de Noël, un train, un quai de gare, la lune pleine, une femme, une femme enfant, de dos sur le quai, blonde, en robe rouge, au premier plan. L’un de ses tableaux préférés. Souvent il s’était dit qu’il chercherait cette femme toute sa vie. Elle existait forcément.
Plus Rick regardait le tableau, plus il pensait à la jeune femme de Marciac, c’était loin, mais il se souvenait maintenant de sa taille fine et de sa robe mouillée, une robe rouge.
Rick n’a pas fermé l’œil de la nuit, il entendait des trains, des sifflements de locomotive. C’était le bruit des trains d’avant, un rythme qui balance, pas comme ceux de maintenant qui foncent dans un souffle. Il a pensé à Gabin dans la Bête Humaine, cet homme persuadé que l’alcool qui coulait dans les veines de ses géniteurs était la cause de sa folie meurtrière.
Ça valsait dans sa tête, des idées noires puis des femmes, des femmes puis des idées noires, des idées noires puis des femmes, toute vêtues de rouge, blondes, une taille de guêpe.
Au petit matin les idées noires s’en allèrent à l’instant où il se souvint précisément de la sensation de sa main sur la taille de la femme de Marciac, un accord parfait.
Dehors le paysage s’était dissout dans le brouillard, un chien aboyait, des oiseaux chantaient, des oiseaux de printemps en novembre.
Rick a repris la route. Doucement, visibilité quasi nulle. Il tapotait sur le volant. Pas de radio, ni CD. C’était dans sa tête que ça prenait corps. Le train qui balance, les talons sur le quai, le chien, les oiseaux, la mélodie qui se met en place, une mélodie qui lisse, qui tire et qui resserre.
Il le tenait, c’était parti, la cigale muait, un disque à dédier à la fille de Marciac.
Il roulait depuis une bonne heure quand le brouillard s’est levé.
 Il s’est arrêté sur le bord  de la route, Il a fait trois pas dans l’herbe humide, il a pissé dans un ruisseau en regardant le paysage, il a pensé à un titre: Soublecause, Valse pour deux vaches et un héron.


jeudi 15 novembre 2018


Un peu bancal


(Sur la D142 entre Lembeye et Monpezat, Pyrénées-Atlantiques)

Pourquoi cet arbre, un peu bancal, un peu foutraque, avec un brin de fantaisie?
Parce qu’il me plaît, c’est tout. Alors je me suis arrêté là pour mieux le regarder.
C’est comme les gens, je les aime un peu de traviole, un peu gauches, les pieds en canards ou en dedans, l’air pas très sûr.
Si j’avais croisé là un vieux en chemise à fleurs tirant un chien à trois pattes, je me serais arrêté pareil. On aurait pas osé parler, alors on aurait regardé l’arbre ensemble.

mercredi 14 novembre 2018


L'enfant au bâton


 (Plage de Cenitz, Guethary)

Il semble venir de très loin,
l’enfant au bâton
qui court sur la plage.

mardi 13 novembre 2018


Les cendres de mon père


(Hendaye, 15h)

Ils sont toujours là, les deux rochers.
Il y a quelques mois, à un mile au large, d’un geste ample je lançai l’urne contenant les cendres de mon père. Il y a eu un grand plouf, ma mère et mes sœurs ont jeté des fleurs, chacun, discrètement, essuyait ses larmes.
L’urne s’est posée sur le fond puis s’est lentement désagrégée, les cendres s’en allant dans le courant.
Ce matin la mer était belle, un beau swell d’automne, j’ai surfé, j’ai gueulé comme un môme à Noël, et dans l’eau froide, j’ai pensé aux cendres de mon père.
Il y a cinquante ans, il m’offrait ma première planche.

lundi 12 novembre 2018


11 novembre


(Vayrac, Lot, 18 octobre)

Elle l’appelle mon grand, mon pioupiou, mon artilleur. Depuis qu’il est rentré du désert, il ne supporte ni le bruit, ni la lumière, il a la main qui tremble comme s’il jouait de la guitare.
C’est dimanche, 11 novembre. Elle est assise, bien droite, immobile, devant le poste de radio. Son grand est debout derrière elle, bien droit lui aussi. Il a posé sa main calme sur l’épaule de sa mère, l’autre ne cesse de s’agiter, bat des ailes contre son ventre. Tout semble figé dans l’obscurité du salon hormis cette main incontrôlable.
À la radio, le discours du président, la sonnerie aux morts, et puis la voix de la béninoise Angélique Kidjo:
Blewu wi iih
Doucement
Blewu wi iih
Doucement
Blewu wi mianda kpélo
Doucement, rentrez chez vous sain et sauf

Alors son grand, son pioupiou, son artilleur parle:
« Je me souviens de ma joue sur le gravier, le gravier brûlant, de la poussière blanche sur les rangers, je me souviens du sable dans la bouche, du sang sur le rocher, je me souviens du souffle des pales de l’hélicoptère. »

Ce sont ses premiers mots depuis sont retour.
Elle ne veut pas qu’il la voit pleurer.
Elle se lève et arrange le bouquet d’hortensias à la fenêtre.


dimanche 11 novembre 2018



Miniatures éphémères


(Vaucresson, 3 novembre)

Échouée sur la table du jardin

samedi 10 novembre 2018


"Cold War"


(Vaucresson, 25 octobre)

Journée d’automne, vent et pluie.
Nous allons au cinéma, à Marly-le-Roi. La route passe par la forêt, lumineuse.
Cold War de Pawel Pawlikowski. Noir et blanc, format carré. Une histoire d’amour, d’empêchement, de frontières, d’impasses. Somptueux et mélancolique.
Parmi tant d’images inoubliables, celle de l’héroïne, Zula, chantant Dwa Serduszka (Deux petits cœurs), sur le dos, bras ouverts, portée par le courant de la rivière. Seuls émergent son visage et ses mains.
À cet instant je pleure, comme à la dernière séquence, et c’est si doux de pleurer. Ce n’est pas la tragédie qui me fait pleurer, mais la beauté de la tragédie ainsi filmée, ou les deux en même temps. Le cinéaste transfigure l’impossible, jusqu’à l’abolir en imprimant ces images sur nos rétines.
Abolir l’impossible. La force de l’art, sans doute.

vendredi 9 novembre 2018


En équilibre précaire


(Lac de Drennec, Finistère, 20 septembre)

En équilibre précaire,
entre deux rives.

Dans l’obscurité,
un homme du magdalénien
plaque sa main sur la roche.
Dans la lumière,
Un dragon de Komodo s’abreuve.

Un chien boit l’eau contaminée
d’un lac aux eaux basses.
Des enfants sans bras 
courent sur une plage
de pierres.

jeudi 8 novembre 2018


Tiens toi droit!

 
( Versailles, Yvelines)

Tiens toi droit!
Passant devant les hauts peupliers, le ton péremptoire du père.
Tiens toi droit!
Il y a si longtemps. Sa voix, son visage, comment était-ce?
Tiens toi droit!
Il a beau chercher, il ne lui reste à cet instant que cette injonction.
Il donne un joyeux coup de pied dans un marron et s’en va vers un arbre plus rond.



(Versailles, Yvelines)

mercredi 7 novembre 2018



Pluie d'Automne


 (Vaucresson, 8h45)

Il pleut.
C’est doux.
La terre avait soif. Elle est dure. Il lui faut un peu de temps pour recevoir la tendresse de la pluie.
L’érable  du japon ne rougira pas, les feuilles se sont recroquevillées avant le dernier éclat qui précède leur chute, elles se sont repliées en coupelles brunes qui à présent débordent. L’arbre se saoule.
Au cerisier les feuilles brun-rouge pendent sans vigueur. Lui est inconsolable.
Le néflier amaigri est en fleurs. Un parfum du sud, et pourtant…
Alourdies, les dernières feuilles du figuier tombent, libèrent l’épure de ses courbes.
Il n’y a personne à la table du jardin. Les oiseaux se cachent.
Et les jaunes tanguent sous le vent.

mardi 6 novembre 2018


Inexploré


(Vaucresson, 8h30)

Dans ses derniers instants, il se souvient du vent,
de l’eau qui ruisselle,
du gel qui enserre,
de la lumière qui vibre.
Dans les draps blancs il se laisse aller à cette douce oscillation.
Un battement de cil,
un peu d’air qui s’échappe,
un frémissement,
il s’en va, 
il se retire,
il s’éclipse.
À son chevet
une fleur fanée 
ouvre ses bras,
lui murmure
un mot d’amour.
Il lève l’ancre,
il décroche,
il se livre,
à l’inexploré.

lundi 5 novembre 2018


Retenir


(Arborétum de Chèvreloup, Rocquencourt, Yvelines, 23 octobre)

Comme la feuille retenue dans sa chute, il y a dans les livres des phrases que l’on lit et relit mille fois pour les garder.

Le cœur est une menthe sauvage. Quand deux mains le frottent, il donne tout son parfum.
                                                    (La Nuit du Cœur, Christian Bobin, Gallimard)

dimanche 4 novembre 2018


Miniatures éphémères


(Vaucresson, 3 novembre)

Vendanges tardives

samedi 3 novembre 2018


Scène champêtre


(Domaine du Château de Chantilly, Oise, 1ier novembre)

Alain est très grand, très gros, les doigts comme de petits boudins antillais, des doigts bien maladroits pour dessiner mais épicés pour caresser. Josiane est très petite, un long nez et une grande bouche, bien maladroite pour disserter mais si douce pour embrasser.
Ils ont bu un chocolat chaud avec un grand bol de Chantilly, de la vraie, onctueuse, grasse, de la crème fait maison qui fond sous le palais comme une oraison à la gloire de leur passion. Elle s’en est mis sur le bout du nez, il s’en mis sur le menton, il se sont regardés comme deux fauves affamés, ils se sont retenus.
Ils ont marché dans le parc du château, main dans la main, mouillés par le crachin d’automne.
Ils ont regardé les culs renversés des cygnes dans l’eau noire. Une mouette a plongé, saisit un poisson, s’en est allée pourchassée par d’autres qui lui disputaient sa proie. Alain et Josiane se sont embrassés à pleine bouche. ils avaient le goût de la crème et le nez froid.
Ils se sont arrêtés les pieds dans les crottes de bernaches qui jonchent les berges du grand canal.
Alain se rêve en peintre romantique. Il mettrait un grand cerf au centre du paysage, un grand cerf portant sur ses bois Josiane blanche et nue.
À cet instant Josiane saute sur le dos d’Alain qui part courant et bramant dans la prairie humide sous les yeux effarés d’une famille de touristes québécois.

vendredi 2 novembre 2018


Tulipes


(Vaucresson, 8h20)

Premiers rayons sur le bouquet de tulipes
trois couleurs d’enfance
dehors passe un vol d’oies sauvages
très bas
les fleurs tardent à s’ouvrir
c’est inouï ce qu’elles retiennent 
en leur cœur

jeudi 1 novembre 2018


Au fond de l'eau


 (Oinville-sur-Moncient, Yvelines, 27 septembre)

Le saule pleure
les larmes montent
au fond de l’eau 
s’écrivent des livres
de joie