lundi 31 décembre 2018


Au nouvel an


(Travaillan, Vaucluse, 28 décembre)

Au nouvel an
je ferai allégeance
au panache des hautes herbes
au panache du Manakin doré
au panache des mouchoirs agités
sur les quais, dans les ports, dans les gares
au panache des derniers 
qui ne savent que danser 
dans le vent violent

dimanche 30 décembre 2018


Miniatures éphémères


(Travaillan, 28 décembre)

Anne ma sœur Anne, ne vois tu rien venir…

samedi 29 décembre 2018



Boucles et déliés


(Travaillan, 28 décembre)

Boucles et déliés,
souvenir de l’encrier au coin de la table.
Combien de temps a-t-il fallu pour que viennent les mots?
Combien de temps encore pour atteindre la légèreté des herbes?

vendredi 28 décembre 2018


À l'ami qui aime le vin


(Travaillan, Vaucluse)

À l’ami qui aime le vin,
aux pieds de jeunes bouleaux,
ces lignes de vigne au repos
et là-bas la montagne, lointaine promesse
d’ivresse.

jeudi 27 décembre 2018


Par quoi faut-il commencer?


(Travaillan, Vaucluse)

La chaudière est en panne. Depuis quelques jours Célestin a le droit de ne pas se laver et de dormir tout habillé. Il ne quitte ni l’écharpe, ni le bonnet que lui a tricotés sa grand-mère.
Il se sent invulnérable dans son armure de laine.
 Alors quand ce matin il entend son père dire quatre fois merde en ouvrant le courrier, quand il voit son père et sa mère se serrer très fort l’un contre l’autre et ne plus bouger pendant un temps qui lui  semble interminable, il empoigne son épée de bois et s'élance dans les herbes saisies par le givre, décidé à changer le monde.
Arrivé au bout du champ où coule un large ruisseau aux eaux glacées bordées de roseaux, il s’arrête net. Par quoi faut-il commencer?

mercredi 26 décembre 2018


À l'arbre de la mémoire


(Plage de Cenitz, Guethary, 14 novembre)

Les cailloux du Petit Poucet
pierres polies
roches ébréchées
grains de sable
éclats de gemmes
à l’arbre
de la mémoire

mardi 25 décembre 2018


Un coin de bibliothèque


(Vaucresson)

Ce matin, je me suis posé sur un coin de bibliothèque,
comme un oiseau sur sa branche.

lundi 24 décembre 2018



Un passage


 (Arboretum de Chèvreloup, Rocquencourt, Yvelines, 23 octobre)

Il a posé son sac au pied d’une arche de lierre,
il a ôté ses godillots comme on fait en rentrant
pour ne pas réveiller ceux qui dorment
et il est passé de l’autre côté.

dimanche 23 décembre 2018



Miniatures éphémères


(Saint-Bertrand-de-Comminges, Haute-Garonne, 20 mars)

Exploration

samedi 22 décembre 2018


À l'hôtel des rêves brisés


(Landévénnec, Finistère, 3 septembre)

À l’hôtel des rêves brisés un homme est passé. Il ne laisse pas de trace, sa peau est sans couleur, il vient sans forcer où n’entre que le vent. Il se repose avant de reprendre la route, il ne sait pas où il va, il cherche une place.


(Hendaye, 17 décembre)

vendredi 21 décembre 2018


Un mauvais pressentiment


(Paris, 13ième, Bd de l’Hopital, 20 décembre)

Thierno aurait presque chaud dans la doudoune que lui a donnée un bénévole à Bayonne. L’air est doux à Paris. Il en rêvait depuis si longtemps. Paris. Il est parti  il y a six mois. Il a passé la frontière à Hendaye. La première fois fut la bonne. Certains pourtant s’étaient faits refouler plusieurs fois. Il a traversé la Bidassoa sur le pont Saint-Jacques. Les noms des rivières et des ponts restent gravés dans sa mémoire. Il faisait nuit, un fort vent de sud soufflait, il étaient cinq, surpris de passer aussi facilement. 
À Bayonne il a pris un Ouibus pour la capital. Le premier livre qu’il avait lu en français lorsqu’il était enfant s’intitulait Oui Oui décroche la lune, un livre rose tout usé.
Il est descendu à Montparnasse-Bienvenue.
Un ami déjà à Paris lui avait dit qu’il le trouverait à la station de métro Saint-Marcel alors il est parti à pied, d’un pas vif.
À Saint-Marcel il n’a trouvé qu’un hôpital et des tentes le long d’un mur tagué. Il a questionné ceux qui semblaient habiter sous ces toiles sommaires, personne ne connaissait son ami Boubakar. Il s'est dit que dès qu’il trouverait un endroit où recharger son téléphone, il tenterait de le joindre.
Il hésitait entre aller vers la Tour Eiffel ou la place de la République. On parlait beaucoup de la place de la République, ce devait être un lieu important.
Et le voilà qui marche vers République.
En passant devant le Jardin des Plantes, il aperçoit de grandes structures de couleurs vives. Il s’approche, ce sont des dinosaures. Tyrannosaure, vélociraptor, diplodocus, spinosaure, tricératops, bleu, jaune, vert, rouge, violet, ce parc est magique. Ah, Paris!
Thierno retrouve son âme d’enfant, l’enfant qui lisait Oui Oui, son âme d’enfant qu’il croyait avoir perdue en traversant les mers et les déserts.
Il s’approche d’un tyrannosaure bleu.
La bête se révèle fragile, une sorte de papier toilé sur un squelette de métal léger. Sur son dos la toile a craqué. Thierno fixe la déchirure, les fibres dans le vent. Soudain un doute l’étreint, une mélancolie profonde, un mauvais pressentiment.


(Paris, 5ième, Jardin des Plantes, 20 décembre)

jeudi 20 décembre 2018




(Paris, 13ième, Bd de l’Hopital)

En ville

mercredi 19 décembre 2018




Cultiver le sourire


(Hendaye, 18 décembre, 8h )

Mardi matin il y eut dans le ciel ce doigt sur un bouton de rose, puis la montagne qui s’embrase.
Mardi soir il y eut à la radio le rire de Christian Bobin et cette phrase: « C’est le sourire qui fait le lien entre les vivants et les absents. »
Ce matin, encore à la radio, le rire de Calypso Rose, le rire d’une femme debout.
Alors oui, il faut cultiver le sourire, et ces levers de soleil qui ne cessent de m’émerveiller en sont l’une de ses eaux les plus pures.
Et l’écrire en prolonge le dessin.



(8h15)

mardi 18 décembre 2018



Une évidence


(Hendaye, 8h30)

L’homme et l’oiseau vont ensemble,
la houle est tombée, soufflée par un vent de terre,
le contour des falaises au levant impose une évidence,
celle d’un amour qui ne craint ni le grain, ni le temps.

lundi 17 décembre 2018



Haïku du surfeur


(Hendaye, 16 décembre)

L’averse là-bas
et pourtant ce calme
au sortir de l’eau

dimanche 16 décembre 2018


Miniatures éphémères


(Vaucresson, 28 octobre)

« Mon père m’a donné un mari,
Mon dieu quel homme, quel petit homme!
Mon père m’a donné un mari
Mon dieu, quel homme, qu’il est petit!
… »

samedi 15 décembre 2018



Une boite en galuchat


(D100 entre Saint-Denis-lès-Martel et les Quatre-Routes-du-Lot, Lot, 13 décembre)

Il allait à pied le long des voies, le vague à l’âme en bandoulière. Il cherchait dans ses souvenirs
pourquoi cette boite en galuchat qu’il serrait contre son cœur lui faisait tourner la tête. Il n’avait plus rien, il n’avait qu’une boite, et il marchait dans le brouillard.
Il était né il y a longtemps  dans un train entre deux gares, c’est ce qu’on lui avait dit, alors il était parti le long des voies pour savoir où.
Il était parti avec sa boite en galuchat, pour savoir quoi, pour savoir qui. Il n’y avait dans la boite que quelques grains de poudre et un parfum de femme. Il n’y avait dans sa tête blanche plus rien qui tienne, il y avait dans ses jambes frêles la force d’un mot qui jaillit après s’être dérobé sur le bout de la langue.

vendredi 14 décembre 2018



Nuit agitée


(Saint-Denis-Lès-Martel, lot, 13 décembre)

C’est un petit chef de gare au visage d’adolescent, une grande casquette lui tombe sur les yeux, il transpire à grosses gouttes. Le mode d’emploi du poste d’aiguillage est en chinois, la sirène municipale joue la Walkyrie, les alarmes se déchaînent, un train jaune file à toute allure, les manettes vont et viennent, les Beattles traversent la voie. Le chef de gare fait la girouette, un contrôleur lui demande ses papiers. Ses poches sont vides, il n’a plus ses mains, sa casquette lui tient chaud, il ne peut plus l’enlever, ni saluer la maréchaussée qui défile au pas de l’oie. Il appelle Brigitte, elle est avec Nicolas, ils boivent le thé au zoo de Vincennes. La neige tombe, il tremble, son nez coule et se glace, la banquise craque sous ses pas. Un ours blanc fait la manche, il lui donne les horaires des trains, l’ours ouvre grand sa gueule, lui balance un coup de patte. Il atterrit au centre d’un rond point, on lui pique sa casquette, on se la lance, on se moque, il n’a plus de cheveux, il n’a plus de dents.
Emmanuel crie, s’agite et tombe du lit.

jeudi 13 décembre 2018


Une fille que j'aime


(D 32 entre Saint-Denis-Lès-Martel et les Quatre-Routes-du-Lot, lot,  8h 30)

Une cabane de guingois,
une bouteille de Knockando,
single malt douze ans d’âge,
un cheval bai et trois oranges,
une fille qui chante dans la paille,
on s’aime encore, ça fait un bail,
j’suis son cowboy, c’est ma raison,
j’sais faire que ça, l’aimer encore
le 13 ça porte bonheur,
c’est son anniversaire,
il y a de l’eau dans l’ciel,
du ciel dans l’eau,
et une fille que j’aime.

mercredi 12 décembre 2018



Quand ça cloche


(Lac de Bournazel, Seilhac, Corrèze, 11 décembre)

17h, temps frais et clair, pas le moindre frémissement ni sur l’eau, ni dans les herbes.
Un souvenir, un souvenir de tempête, de pantalon mouillé, de course, du craquement des joncs arrachés.
Marc est rentré plus tôt que d’habitude. Il n’a rien dit, il n’a pas ôté ses chaussures de sécurité, ni sa veste à bandes réfléchissantes. Il a posé la lettre de licenciement sur la table, il a regardé Martine et il est ressorti.
Elle l’a trouvé au bord du lac, près de l’arbre mort, un bon coin pour pêcher, c’est là qu’il vient quand ça cloche.
Marc ne bouge pas. Il mâchonne une brindille, les mains dans les poches, les poings serrés. Il fixe l’eau dormante, si lisse, si bleue. Il pense un bref instant à la galerie des glaces du château de Versailles, ils y ont été l’année dernière avec Martine, un voyage organisé par le comité d’entreprise. C’était beau, après il y a eu les grandes eaux, ils ont mangé des gaufres, un chouette voyage.
Martine s’approche sans un mot. De sa main chaude, elle ébouriffe la tignasse rêche de son homme.
Le même geste, exactement le même geste que faisait sa mère quand il rentrait de l’école la tête baissée, les cheveux en bataille, ses deux petits poings tachés d’encre serrés au fond des poches.
Marc fixe les reflets dans les eaux bleues. Il retient ses larmes.

mardi 11 décembre 2018


Au bord du ciel


(Lac de Bournazel, Seilhac, Corrèze)

Ici, au bord du ciel, rien ne pourra enflammer ce bouquet d’herbes sèches,
si ce n’est l’amour qui me porte, toujours plus vif à l’heure des biches.

lundi 10 décembre 2018




(Vaucresson, 9 décembre)

Et toujours cette fascination du brasier...

dimanche 9 décembre 2018


Miniatures éphémères


(Vaucresson, 9 novembre)

Le salut de l'hibiscus

samedi 8 décembre 2018


Rick se fait tortue


(D142, Monpezat, Pyrénées-Atlantiques, 15 novembre)

Après avoir bu un verre de Madiran, 
Rick s’endort sous une demi lune. 
Il a laissé ses chaussures et sa voiture 
aux poules et aux fourmis. 
Pourquoi la haine court plus vite que l’amour? 
Rick se fait tortue, il y a de la place sous sa carapace.

vendredi 7 décembre 2018


Un rêve naïf


(Paris, les Halles)

Le commerce se porte bien, la foule va et vient.
Son visage se détache des fourmis noires. La jeune femme flotte. Elle ignore que dans quelques instants elle rencontrera l’homme qui va, dans le carré de lumière au fond de l’image. Ce sera au rayon des écrivains voyageurs de la Fnac. Ils se cogneront à quatre pattes voulant chacun saisir un livre tout en bas des étagères. Aventures en Guyane de Raymond Maufrais, un seul exemplaire, ils le feuilletteront ensemble. Quelques années plus tard, le projet Montagne d’or aura été abandonné, les forages pétroliers aussi, les vagues de suicide chez les jeunes amérindiens auront cessé, nos deux jeunes gens s’aimeront sur les bords du  haut Maroni dans une tribu Wayana.
Voilà le rêve naïf que je fais en prenant cette photo, j’aurai voulu voir apparaître une toile du Douanier Rousseau, l’homme et la femme sur le dos d’un tigre, heliconia, passiflore, fleur cacao sur  variations de verts.
Je m’engouffre dans le métro, me disant que décidément nous ne sommes pas prêts de changer de mode de vie.
Demain, j’irai marcher pour le climat.

jeudi 6 décembre 2018


Tête de veau sauce gribiche


(Camaret-sur-Mer, Finistère, 18 septembre)

Tête de veau sauce gribiche, crème caramel, c’est le plat du jour. Jean s’est régalé. La patronne est de bonne humeur, aujourd’hui il a de quoi payer. On est le 5. Il va peut-être même acheter des leds pour décorer son fauteuil roulant, c’est bientôt Noël. Pourquoi pas le peindre en bleu, comme le bateau en chantier là bas, bleu outremer, pour rêver un peu, naviguer à quai? Ou en jaune, ça claque à côté du bleu, c’est plus concret, non?

mercredi 5 décembre 2018



Prendre l'air


(Feucherolles, Yvelines)

Lâcher les infos, sortir, prendre l’air, marcher dans la boue, s’émouvoir de la douceur de la terre, des feuilles qui résistent au gris, de l’envol d’un corbeau.

« Rien ne vit longtemps
Que la terre
Et les montagnes »
                           
                ( Chant de mort de l’antilope blanche, Partition rouge, Poèmes et chants des indiens d’Amérique du Nord, édition Points)

mardi 4 décembre 2018


Le Grand Capitaine


(Arborétum de Chèvreloup, Rocquencourt, Yvelines, 23 octobre)

Il y a un monstre au fond du jardin, un arbre mort. Le grand capitaine, c’est comme ça qu’on l’appelle. Il dévore les enfants pas sages. C’est ce qu’on dit. J’ai cinq ans et j’ai pas peur. Je fais comme grand père, je met un gilet jaune celui que maman me met quand elle m’emmène à vélo,  et je lui tire la langue. Je m’appelle Aurélien, je ne crains ni le loup, ni le grand capitaine.

lundi 3 décembre 2018



Décembre en poésie


(Vaucresson, 30 novembre)

Éléonore perd le nord, 15° en décembre, des lacrymos pour des nèfles, elle s’accroche au branche, elle se déhanche. 
Gédéon tourne en rond, y a plus de saison, que des citrons, il marche au pas, il en peut plus, faut changer d’boulot, sans casque et sans bâton.
Anatole se console, il vend des gilets, ça marche fort, y a du bénef.
Cyprien n’y est pour rien, l’a perdu la main, voulait juste en être, lui en reste une, c’est pour demain.
Nathalie reste dans son lit, Mouton Rothshild, madame est servie, faut faire passer.
Aldebert y va pépère, l’a rien à perdre, l’en a vu d’autres, y a plus d’oseille, que des groseilles.
Micheline dégouline, sans parapluie, elle y est allée, pour pas pleurer au fond d’ la piscine.
Emmanuel n’a plus d’cervelle, l’a trop tiré sur la ficelle, faut changer d’ritournelle pour pas couler une bielle.

dimanche 2 décembre 2018



Miniatures éphémères


(Vaucresson, 1er décembre)

Le Samouraï

samedi 1 décembre 2018



Sous la couette


 (Vaucresson, 29 novembre)

La pluie tape aux carreaux.
Elle fixe le bouquet de fleurs, se noie dans la couleur, comme on s’enfouit sous la couette.

vendredi 30 novembre 2018


Une feuille


(Vaucresson)

 Hier il restait trois feuilles au noisetier, aujourd’hui il n’y en plus qu’une.
Jean-Albert est sorti à 16h30, quand le soleil éclaire ce coin du jardin. Il s’est assis sur la chaise de fer blanche. Le métal était froid. Il a regardé ses mains tremblantes, couvertes de tâches brunes, les a glissées dans les poches de son gilet de laine.
Un vent léger éprouve la feuille. Jean-Albert repense à toutes ses années de luttes. La résistance à 18 ans. Ce jour où après avoir coupé un chêne au bord d’une route pour bloquer le passage, ils avaient été surpris par une patrouille allemande. Ils avaient fui dans les bois, l’un de ses camarades avait été rattrapé, ils ne l’avaient jamais revu. Ses années de militantisme à la JOC. Le jour où il a rencontré Adeline lors d’un congrès. Il étaient assis côte à côte, il s’était emporté au cours d’un discours, son fauteuil s'était cassé, elle avait eu un fou rire. Toutes ces grèves partagés, le bois cramé dans les bidons sur les piquets, les nuits froides et les matins d’espoir, les rages, les déceptions, les trahisons, les conquêtes.
Jean-Albert ne quitte pas la feuille des yeux. Elle résiste. Seule. l’après-midi est douce. Jean-Albert se dit qu’il va peut-être bien reprendre du service.

jeudi 29 novembre 2018





(Vaucresson, Renoncule)

Au creux de la vague

mercredi 28 novembre 2018


Le jour ou Rick Delaveine a rencontré Roger Boussac


(Frayssinet-le-Gélat, Lot, 20 novembre)

Osez, osez Joséphine, Bashung chante, la Citroën roule paresseusement, l’automne défile.
Soudain, l’éclat d’un feuillage adossé à la pierre, un passage de bêtes sauvages entrevu, Rick fait demi tour, revient sur ses pas. À l’instant où il coupe le contact, il se rend compte que l’arbre et la pierre surplombent un petit cimetière. De la route, on n’en aperçoit que le mur gris.
Rick regarde les feuilles jaunes, la roche bleue. La lumière baisse, il entre dans le cimetière.
En lettres d’or sur le marbre clair: Roger Boussac. Il ne voit que cette tombe, ce nom.
Un nom qui lui évoque quelque chose… Il cherche… Roger… Il a bien eu un ami qui s’appelait Roger, mais pas Boussac… Il en connaît des Roger, tous bien vivants …Tous bien sympathiques, aimants, se dit-il, ce doit être le prénom qui veut ça.
Mais Boussac, connais pas… Sans doute ce monsieur m’a-t’il fait un clin d’œil pour une conversation. Il s’ennuie sous la terre, il y a longtemps qu’il n’a pas eu de visite.
Bonjour Roger, je m’appelle Rick Delaveine, je passais par là par hasard, il m’arrive de rouler au hasard, je suis batteur, les paysages m’inspirent, la route est ma rythmique, je viens de l’Atlantique. Comment vas tu? Ça fait un bail que t’es là à ce que je vois. Que faisais tu, agriculteur, éleveur, ferronnier, charpentier? Roger Waters, tu connais?  C’est calme ici, il n’y a pas beaucoup de passage. La campagne a pris ses couleurs d’un coup, dominante jaune. Sur les rond-points aussi. Ça s’agite. Un coup je suis d’accord, un coup je ne suis pas d’accord. On ne peut plus se parler, juste s’engueuler, balancer des discours tous faits. Il nous faudrait la douceur des filles, l’amitié des arbres, l’insouciance du canard sauvage. As tu été chasseur? As tu déjà tué? J’ai tué un chat, une fois, un chaton abandonné par sa mère, je pensais bien faire, j’y pense encore. Qu’entends tu là dessous, ou là haut? Je ne sais pas vraiment où tu es, peut-être partout en même temps? Bashung, Higelin, tu les vois, tu les entends? Et mon père? Tu dis rien. Je parle trop, encore une fois. iI faudra que j’apprenne à me taire. Ce n’est pas si facile. Je suis resté longtemps muet, alors quand j’ai osé parler…Taper sur la peau, ça remplace. Batteur, c’est mon métier, je viens de composer un morceau, une valse pour deux vaches et un héron, ça commence dans le brouillard. Si ça se trouve tu n’aimes ni le rock ni le jazz. Peut-être même que tu t’en fous de la musique et des mots. Moi ça me tient debout, c’est mon carburant, c’est pas taxé, je fais le plein partout où il y a de l’air, au soleil ou sous la pluie. Tu connais l’histoire du fou qui se prenait pour un grain de riz? Peut-être bien que tu n’aimes pas les histoires drôles non plus? Il doit y en avoir un paquet à se raconter là bas à nous voir marcher cul par dessus tête. Bon, tu ne dis toujours rien. Je vais te laisser. Content de t’avoir rencontré Roger. Je ne sais pas pourquoi mais je t’imagine avec de grandes mains rugueuses et un rire tonitruant, un rire bien plus fort que tous les babillages autour de la table. Allez, salut, je m’en vais. Oh juste une dernière phrase avant de partir, quelques mots d’un poète que j’aime bien, Pierre Albert Jourdan, un gars discret: « Le papillon applaudit la fleur qui consent ». Voilà, une phrase comme ça, qui passe, comme cet éclat que tu as mis dans les feuilles. Salut Roger.
Rick a refermé soigneusement la grille du cimetière, a jeté un dernier regard sur l’arbre, sur le passage, cherchant les traces d’un quelconque animal, puis a repris sa route en se jurant d’être moins bavard la prochaine fois qu’il rencontrerait un mort.

mardi 27 novembre 2018



Trois corbeaux


(D46, Montgesty, Lot, 20 novembre)

Un rayon de soleil, trois corbeaux sur les branches mortes d’un arbre vrillé, je me suis arrêté, j’ai claqué la portière, les corbeaux se sont envolés, un nuage est passé, je me suis senti infiniment seul, et très con.

lundi 26 novembre 2018


Je vais tranquille


(Les Quatre-Routes-du-Lot, Lot, 9 novembre)

Les amis lointains, les morts et les vivants,
des fragments de vie, des fragments de nuit,
j’écoute JJ Cale dans une R5 bleu-ciel,
j’embrasse Sophie au mitan du lit,
je ferme la porte sans faire de bruit,
je laisse trois mots au matin discret,
trois mots plus petits qu’une goutte d’eau,
je vais tranquille.

dimanche 25 novembre 2018



Miniatures éphémères


(Vaucresson, 9 novembre)

Clef de sol

samedi 24 novembre 2018


Le regard du poisson


(D80, Pont suspendu de Carennac sur la Dordogne, Lot, 22 novembre)

Un pont suspendu, le bois claque, la brume avale, Rick va piano, il ne sait pas trop où, la vie en sourdine.
Un dé qui vrille, l’as à l’est, le trois au sud, le six à l’ouest, le quatre au nord, le cinq au sol, le deux au ciel, un coup de dé, pour une histoire d’amour, ou pour rien, pour s’effacer, laisser faire, retourner à la terre.
Rick ne sait vraiment pas où il va. Il y a un passage dans ce bouquin, La Rage de Vivre de Mezz Mezzrow, des mecs chargés à bloc dans le brouillard, une bagnole, une vache, il ne sait plus trop, faudra qu’il le relise, un bon bouquin.
C’est bien parfois de ne pas savoir, même si ça fait peur. Un jour, parti en retard pour un concert, à cause d’une fille, encore, il a pris un  raccourci, une piste boueuse en pleine forêt. Fallait pas traîner, sinon tu restais scotché dans les ornières avec la voiture de loc dernier cri. Il a foncé en espérant bien tomber sur du bitume. Y a le cœur qui tape aussi vite que la caisse et de la joie qui monte. C’est un peu ça ce matin, mais tout au ralenti, une douce incertitude.
Au bout du pont, Rick s’arrête.  Il descend au bord de la rivière, ses mocassins sont trempés. Accroupi il plonge ses mains dans l’eau, s’asperge le visage, l’eau est glacée. Un poisson saute, juste devant lui. Il jurerait avoir vu son regard, un clin d’œil fraternel.

vendredi 23 novembre 2018


Une si faible lueur


(Route de Saint-Céré, Gramat, Lot)

Une si faible lueur
Un trait de khôl
Au regard fatigué

jeudi 22 novembre 2018



Un grand soleil blanc


(Les-Quatre-Routes-du-lot, Lot)

Un grand soleil blanc
Il n’y a pas trente six chemins
Aux quatre routes du Lot
Je suis oiseau
Je suis roseau
Un poker d'as entre les mains

mercredi 21 novembre 2018


Ghislaine


 (Saint-Céré, Lot)

Huit heures, pieds gelés, premiers froids, la voiture démarre en toussant, elle veut pas. C’est comme Ghislaine, pas envie, rester au lit, penser à rien, la nuit trop chaude, le pyjama mouillé, la ménopause, la paupière qui gonfle, la vie fripée. Il a bien fallu, elle s’est levée, manque des trimestres, on est pas au bout, faut y aller, le café qui brûle, la porte qui grince, la bagnole qui tousse.
Il y a la piqure de madame Cheval, la toilette d’Armand, le pansement d’Adrien, la prise de sang d’Étienne, la glycémie de Caroline, les escarres de monsieur Jean, les ulcères de Marie-Christine,
les levers, les contrôles, les couchers, Josiane, Éléonore, Gustave, le petit Paul, madame Chafoin,
Django, Jo le bougon, les papiers, les confidences, les remontrances, et parfois un baiser, un sourire, une étreinte, quelque chose de chaud, quelque chose qui dure, un peu.
Dix neuf heures, faut rentrer, dernière mise au lit, Ghislaine est décoiffée, elle a le dos cassé, le cœur griffé. Elle embrasse le vieux Django, un baiser sur le front, il la demande en mariage, encore une fois, elle s’en va.
Vingt deux heures, la voiture est garée, premier gel, y a le carton sur le pare-brise, demain faudra refaire le plein, c’est pas gagné.
 Ghislaine s’endort en regardant les Soprano à la télé, Ghislaine s’endort, elle repense à Django, était-il beau, était-il doux? Ghislaine s’endort, un petit quelque chose de chaud au creux du ventre, un tout petit quelque chose de chaud.
Ghislaine s’endort.

mardi 20 novembre 2018



Un petit tas de caillou


(Plage de Cenitz, Guethary, 14 novembre)

Dans le creux d’un gros caillou, 
un petit tas de cailloux, 
pour ne pas se perdre.

lundi 19 novembre 2018



Au bout de la digue


(Hendaye)

On vient au bout de la digue
pour s’embrasser
pour se délester
pour se marier
pour repartir
pour en finir
pour déglutir
On vient au bout de la digue
pour rêver
pour pêcher
pour le chien
pour le père
pour commencer
pour recommencer
On vient au bout de la digue
pour rien 
pour regarder
pour exister
Dans chaque maison
il faudrait la mer
il faudrait une digue
pour aller au bout
chaque soir 
au bout de la digue

dimanche 18 novembre 2018


Miniatures éphémères


(Vaucresson, 9 novembre)

À quai

samedi 17 novembre 2018


Cocaïne


(Vaucresson, 5 novembre)

Elle tenait le mur du vingt-cinq rue Saint-Denis. Ses fidèles l’appelait cocaïne. Elle était une anomalie sur le trottoir. Elle s’offrait aux bègues et aux sans papiers. Pour chacun elle avait la tendresse d’une amoureuse. Rousse et veloutée, elle ravivait les feux éteints, ses baisers donnaient de la voix aux taiseux, ses caresses étaient des prières, son sexe un sanctuaire.
On l’appelait cocaïne, c’était une pute, c’était une sainte.
Un jour, on ne l’a plus revue, pas même une ombre sur le mur du 25 rue Saint-Denis.
Les hommes passaient et repassaient, la tête basse, un voile dans le regard, n’osant demander des nouvelles. En auraient-ils eu?
On ne l’a plus revue, ils l’appelaient cocaïne, c’était une sainte.

vendredi 16 novembre 2018



Soublecause, Valse pour deux vaches et un héron


(Sur la D37, Lupiac, Gers)

Soublecause. C’est là que Rick a échoué hier soir. Un drôle de nom, pas musical pour deux sous, mais plein de sous entendus. Échoué là, sur les côtes de Madiran, comme un saumon désorienté.
C’était une période sans, entre deux. Une tournée qui s’était achevée en beauté, un disque dans les bacs. Fallait passer à autre chose, changer de costume, pourquoi pas de coiffure. Chaque fois la même difficulté entre deux projets, une cigale qui aurait du mal à muer.
Soublecause. Saoul, soluble,  noble cause. Se dissoudre dans la terre grasse du Gers avec quelques verres de Floc ou d’Armagnac.
Il y a quelques années il avait joué au festival de jazz de Marciac, sous le grand chapiteau. Il y avait eu un orage apocalyptique, le concert avait été interrompu. Il avait fini la nuit avec une bénévole trempée qui connaissait tous ses morceaux. Ils s’étaient promis de se retrouver ici en hiver quand la ville est déserte. On dit, on promet et puis, le temps passe…
Soublecause. Quelles causes? il y en avait tant qui le mettaient en rage. Alors dans ces moments d’entre deux, il ne choisissait pas, il baissait les bras. Trop facile! Il n’allait quand même pas enfiler un gilet jaune. Mauvais goût. Pas les bons combats. En mauvaise compagnie.
Ben tiens, je vais rouler, je vais voir le Gers en Automne, faut que je me défeuille. Il s’est tiré, dans sa vieille Citroën, il a tracé tout droit vers le pays du foie gras.
Une douceur exceptionnelle. Il a roulé vitre baissées avec un CD de Mélanie de Biasio. Il aimerait la rencontrer, elle a un truc, cette beauté des matins brumeux où on peut tout imaginer, la mélancolie d’une nappe de brouillard qui lentement se dissipe, laisse entrevoir ce qu’on n'attendait plus.
Il roulait. Les arbres, les vignes, jaunes, jaunes, rouges, fauves. La voix de Mélanie de Biasio.
Un héron qui s’envole, large. Des nuages comme un matelas dans le ciel.
Soublecause. C’est là qu’il s’est arrêté. À cause du nom, à cause… Ça tombait bien, il y avait une auberge. Les patrons étaient sympas, elle, avait un accent belge, tous les deux bien en chair, deux lunes pour veiller sur les voyageurs. Il n’y avait que deux clients, lui et un représentant en produits agricoles. Rick a préféré ne pas engager la conversation au dîner, l’homme avait un air à frayer avec le chimique, fallait pas troubler l’harmonie du lieux.
Dans la chambre, il  a eu un choc. Au dessus du lit, la reproduction d’un tableau de Paul Delvaux, Nuit de Noël, un train, un quai de gare, la lune pleine, une femme, une femme enfant, de dos sur le quai, blonde, en robe rouge, au premier plan. L’un de ses tableaux préférés. Souvent il s’était dit qu’il chercherait cette femme toute sa vie. Elle existait forcément.
Plus Rick regardait le tableau, plus il pensait à la jeune femme de Marciac, c’était loin, mais il se souvenait maintenant de sa taille fine et de sa robe mouillée, une robe rouge.
Rick n’a pas fermé l’œil de la nuit, il entendait des trains, des sifflements de locomotive. C’était le bruit des trains d’avant, un rythme qui balance, pas comme ceux de maintenant qui foncent dans un souffle. Il a pensé à Gabin dans la Bête Humaine, cet homme persuadé que l’alcool qui coulait dans les veines de ses géniteurs était la cause de sa folie meurtrière.
Ça valsait dans sa tête, des idées noires puis des femmes, des femmes puis des idées noires, des idées noires puis des femmes, toute vêtues de rouge, blondes, une taille de guêpe.
Au petit matin les idées noires s’en allèrent à l’instant où il se souvint précisément de la sensation de sa main sur la taille de la femme de Marciac, un accord parfait.
Dehors le paysage s’était dissout dans le brouillard, un chien aboyait, des oiseaux chantaient, des oiseaux de printemps en novembre.
Rick a repris la route. Doucement, visibilité quasi nulle. Il tapotait sur le volant. Pas de radio, ni CD. C’était dans sa tête que ça prenait corps. Le train qui balance, les talons sur le quai, le chien, les oiseaux, la mélodie qui se met en place, une mélodie qui lisse, qui tire et qui resserre.
Il le tenait, c’était parti, la cigale muait, un disque à dédier à la fille de Marciac.
Il roulait depuis une bonne heure quand le brouillard s’est levé.
 Il s’est arrêté sur le bord  de la route, Il a fait trois pas dans l’herbe humide, il a pissé dans un ruisseau en regardant le paysage, il a pensé à un titre: Soublecause, Valse pour deux vaches et un héron.