jeudi 31 janvier 2019



Un peu de vert


(Collonge-la-Rouge, Corrèze, 24 janvier 2019)

Un peu de vert sur la pierre en hiver,
la joie de quelques vieux amis qui se retrouvent,
les dictateurs sont sur Mercure, la terre est à l’endroit,
on y boit de l’eau claire, on applaudit pour un rien.

mercredi 30 janvier 2019


Ploc


(Vaucresson)

Au fond du jardin
j’écoute fondre la neige
ploc


ploc


ploc
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mardi 29 janvier 2019



Une bouteille de Rakia et un Christ en ivoire


(Sur l’A10, 24 février 2018)

Ils étaient une petite communauté installée sous un périphérique. On tenait le coup en se racontant ses exploits, en dévoilant les trouvailles de la journée, un christ en ivoire sans tête pour l’un, un porte feuille contenant trente euros et la photo d’une starlette pour l’autre, ou encore un lot d’assiettes de Lunéville aux motifs de chasse, un blouson de cuir avec un prénom inscrit sur le dos, un numéro de Point de Vue et Images du Monde, une couverture de laine, un nain de jardin, une poupée Barbie, une chaise en parfait état, un sapin artificiel et quelques guirlandes. On décorait la place, on comptait ses pièces, on buvait de la mauvaise bière, on jouait aux cartes, on  vivait, on ne rêvait pas, on profitait de chaque instant pris sur l’hiver.
Ce matin la troupe les a chassé. Tout a été détruit, les tentes, les abris de fortune, les décorations.
Les hommes en uniforme leur ont à peine laissé le temps de réunir quelques affaires. Ils ont été conduits hors de la ville.
Justin s’est retrouvé seul en rase campagne. Un chauffeur routier l’a emmené vers le sud. C’était un serbe qui parlait mal le français. Il transportait du matériel électroménager, des grille-pain, des robots mixeurs et des aspirateurs. Il lui a parlé de sa femme et de ses enfants qu’il ne voyait pas souvent. Il y avait leurs photos sur le pare-soleil. Il y avait aussi un christ en plastique, entier celui-ci, accroché au rétroviseur. La radio marchait en continu. Elle annonçait de fortes chutes de neige et des vents violents.
Justin écoutait d’une oreille distraite. Il somnolait dans la chaleur de l’habitacle. Parfois il acquiesçait en souriant. Justin connaît les solitaires qui ont besoin de parler.
Ils se sont séparés sur une aire de repos. Le chauffeur a offert une bouteille de Rakia à Justin, celui-ci lui a donné le christ en ivoire décapité sauvé du désastre. Ils se sont souhaité bonne chance et le  camion a repris la route.
Il faisait beau, difficile d’imaginer la tempête annoncée. Les vestiges en bétons de constructions abandonnées feraient un excellent abri. Et puis il y avait des arbres, de quoi se faire un lit de feuilles mortes. Justin avait besoin de ce parfum d’humus. Désormais il ne mettrait plus les pieds en ville. Trop violent.
Justin est blotti dans son vieux sac de couchage. Il boit le Rakia à petites gorgés. L’alcool brûle la gorge. Deux blocs de béton en forme d’enclume lui rappelle son grand-père, un maréchal-ferrant qui lui a donné l’amour des chevaux. La première fois que le vieux lui a laissé limer les sabots d’un cheval, il était terrifié à l’idée de faire mal à l’animal. Il lui a fallu du temps pour comprendre qu’il n’y avait rien à craindre. Du temps pour comprendre que la douleur ne se logeait pas toujours où l’on croit.
Justin s’endort lentement rêvant de chevauchées aux pieds de monts enneigés. Il y a longtemps qu’il n’avait pas rêvé. C’est bon. C’est la première fois qu’il boit du Rakia. Puisse l’hiver l’épargner encore.

lundi 28 janvier 2019


Il suffit de s'organiser


(Venise, 23 janvier 2018)

Enzo aime sa femme Balbina tendre et sucrée comme un Tiramisu. Dallila aime son mari Iacomo vigoureux comme un chêne. Mais Balbina n’est pas vorace,  Iacomo est représentant de commerce, et Enzo et Dallila s’aiment aussi. Ils s’aiment à pierre fendre, à bois briser, ils s’aiment en loucedé, dans l’escalier, derrière la porte, ils s’aiment dès qu’ils peuvent.
Y a pas de souci, suffit de s’organiser. Enzo et Dallila habitent de part et d’autre du canal. une corde à linge coulissante relie leurs appartements. On invente des stratagèmes. Le nombre de maillots de corps à sécher dira le nombre de jours d’absence de Iacomo, le slip bleu outremer indiquera le jour de son départ.
Cette fois ci Enzo devra attendre jusqu’à dimanche. Y a pas de souci, suffit de s’organiser, et l’on s’aimera toujours comme l’a dit l’curé.

dimanche 27 janvier 2019


Miniatures éphémères
La neige


(Vaucresson, 10 février 2018)

Il voulait voir tomber la neige. 
On l’a oublié devant la fenêtre. 
Il regarde fondre la neige.

samedi 26 janvier 2019


L'ombre de la grange


( Curemonte, Corrèze, 24 janvier)

La grange de Fernand surplombe la route, près du cimetière à la sortie du village. C’est son coin, son observatoire. Il ne se mêle pas au monde, il le regarde de loin. Depuis la mort du père c’est le frère qui s’occupe de la ferme. Fernand ne s’occupe que des bêtes, à sa façon. Il bichonne Bernard, le taureau, pour les concours. Les concours agricoles sont les seuls moments où Fernand consent à s’éloigner de la ferme. Il n’y a que les mains et la voix de Fernand qui calment Bernard lorsqu’il a un coup de sang. Et à Paris Bernard risque bien d’en avoir des coups de sang. Il fait parti des bovins sélectionnés à Lubersac pour le concours général de la race limousine au salon de l’agriculture de Paris. Bernard, un taureau limousin de trois ans, une masse brune impressionnante qu’il va falloir conduire à la capitale.
Le village est très visité en été. Caché dans l’ombre de la grange, Fernand observe les marcheurs sur la route en contrebas. Il les compte, il évalue leur âge et leur poids, note les couleurs et les formes des vêtements, la taille des sacs. Les voitures ne l’intéressent pas, seuls les hommes et les femmes qui vont à pied participent au décompte qui de saison en saison construit  sa représentation mentale de l’au-delà de la ferme.
Aujourd’hui c’est l’hiver, personne ne passe sur la petite route en lacets. Fernand a le temps de penser. Paris. Il va monter à Paris avec son frère, et avec Bernard. Fernand est fier, excité, mais il a aussi très peur. Il y a tant de monde là bas, loin de l’ombre de sa grange.

vendredi 25 janvier 2019



La lune sur le pont


(D80, Pont suspendu de Carennac sur la Dordogne, Lot, 23 janvier)

Jeudi matin j’ai trébuché en regardant la lune sur le pont, dérangeant une chouette effraie. Elle s’est envolée, tâche blanche dans la nuit.
Vendredi il neige sur le causse de Gramat. Je retrouve les résidents du foyer Marthe Robin  avec qui nous inventons des histoires. Ils sont pour la plus part autistes et non-voyants. Agnes me raconte le bruit des feuilles qui tombent et des pas dans la neige, scroutch, scroutch. Steven me raconte la neige qui tombe, ffffft, fffft, et il se caresse le visage, les deux mains comme les ailes de la chouette devant ses yeux. Ils m’invitent dans leurs nuits, nous y chanterons les amours et les saisons.

jeudi 24 janvier 2019


Dualité


(Collonge-la-Rouge, Corrèze)

Collonge-la-Rouge, un vent froid, du givre sur les toits, des rues désertes,  portes et volets fermés. Soudain, dans un recoin de pierres rouges, à l’auberge de la sorcière, derrière une fenêtre sans protection, le regard perçant d’une marionnette, un diable paillard, une poupée  sybarite qui me chatouille à l’intérieur. Le même visage exactement sur le fourneau en écume d’une pipe à kif que je tiens de ma grand-mère, ou sur le pommeau de bois d’une canne brisée par un lointain ancêtre, deux objets que je conserve précieusement aux cotés d’un Bouddha de bronze et d’un autre de bois doré.
La marionnette m’invite à entrer. À l'auberge de la sorcière je vais retrouver mes diables complices, les parties manquantes de la pipe à kif et de la canne brisée. Nous lirons de sombres faits divers sur les journaux jaunis, nous nous adonnerons à d'obscène pratiques, tandis qu’à la maison sur les étagères les deux Bouddha patienteront en lisant Christian Bobin.

mercredi 23 janvier 2019


Une Brindille


(Travaillan, Vaucluse, 27 décembre 2018)

À cinq heures ce matin je prenais la route.
Il pleuvait à verse, la pluie claquait, le vent gueulait, la voiture tanguait.
D’Hendaye à Tulle, les yeux qui piquent à regarder entre les gouttes.
À Tulle je retrouvai les compagnons d’une aventure au long cours.
Nous établissons des plannings, nous parlons de l’âge et de la mort.
À cinq heures le soir je repartais vers le Lot.
La neige se collait aux troncs, s’accrochait au bitume, la voiture glissait.
De Tulle à Prudhomat, les épaules nouées à ne pas dévier de la trajectoire.
Et ce soir je m’endors comme une brindille amoureuse.

mardi 22 janvier 2019


Fils de marin


(Saint-Jean-de-Luz, Pyrénées-Atlantiques, 19 janvier)

Ce sont les fêtes de la Bixintxo à Ciboure, Patxi est sur le manège avec son père, de là haut il voit le port et les bateaux qui partiront au petit matin. Patxi a un peu mal au cœur, il ne faut surtout pas le montrer. Il est pâle mais il résiste, il force le rire. Lui aussi sera marin, il affrontera les tempêtes et les creux de dix mètres. Il voudrait tant embarquer avec son père au petit matin.

lundi 21 janvier 2019


Résilience


(Au pied du Jaizkibel, Espagne, 1er novembre 2017)

La main sur la pierre 
caresse le temps
effleure les blessures anciennes
l’infime vibration
au bout des doigts
dénoue le regard
ouvre le visage


(Entre Camaret-sur-Mer et la Pointe de Pen-Hir, Finistère, 18 septembre 2018)

dimanche 20 janvier 2019



Miniatures éphémères


(Hendaye)

Le jour des oiseaux

samedi 19 janvier 2019


Respiration


(Hendaye, 17h)

Au même instant
à quelques centaines de kilomètres
quelqu’un regarde passer
ces mêmes nuages
et respire doucement

vendredi 18 janvier 2019


Théâtre, pigeons et tourterelles


(Vaucresson, 11 mars 2017)

 "Toutes les femmes portaient des châles lâchés dans le dos dont elles tenaient les bouts sur les bras avec cérémonie. Ils étaient rouges, bigarrés, flamboyants, ces châles et leur éclat semblaient étonner les poules noires sur le fumier, les canards au bord de la marre et les pigeons sur les toits de chaumes." 

C’est dans « Une Farce Normande » de Maupassant. Je marche Boulevard des Pyrénées à Pau en répétant le texte du spectacle que je jouerai ce soir.
Au loin les montagnes sont couvertes de neige, le ciel est cotonneux, la lumière douce. À l’angle d’une rue, j’entends roucouler un pigeon. Cela pénètre en moi comme une liqueur savoureuse qui met en joie.
Le chant des pigeons me conduit chaque fois au même endroit, rue Cantegril à Toulouse, où habitait ma grand-mère. C’était un grand appartement au fond duquel un petit escalier menait à l’atelier de mon oncle, le peintre Pierre Igon pour qui j’ai toujours eu une profonde affection.
Ma grand-mère et mon oncle avaient en commun ce sourire qui éclaire encore le visage de ma vieille mère, ce sourire que je partagerai ce soir en disant les mots de Guy de Maupassant.
Le sourire d’un appétit de vie quelque soient les circonstances, aussi funestes soient-elles.
Je marche Boulevard des Pyrénées. Je perçois la tendre présence de ma mère et mon oncle avec qui je marchais, enfant, dans la montagne. Notre madeleine, c’est un petit coin d’Ariège qui sent bon le fumier, où les poules caquettent et les mouches taquinent.
Je marche Boulevard des Pyrénées heureux de jouer au théâtre ce soir. C’est inimaginable le monde qui m’accompagnera sur scène: mon oncle, ma mère, mes ancêtres, chaque visage à qui j’ai porté attention aujourd’hui dans la rue, un indien portant une barbe blanche comme neige et un long manteau, un mendiant au visage tatoué de lignes en pointillé, une vieille dame encourageant deux ouvriers sur un chantier, une grande blonde portant un large pantalon bleu , un petit homme rougeaud qui me dit en regardant les fontaines jaillir dans un bassin :  "Ça donne envie de nager!"
Avant de jouer mon amoureuse appellera et me dira un gros merde, elle sera là elle aussi, présence discrète sur mon épaule. Elle qui rouspète gentiment quand les tourterelles sur le toit de la maison la réveillent au petit matin.
Deux tourterelles sur une carte porte bonheur.

jeudi 17 janvier 2019


Coffres-forts


(Verteuil-sur-Charente, Charente, 7 avril 2017)

Chez les Giffard, on vendait des coffres forts depuis plus d’un siècle. Lucien avait pris la relève de son père, non sans hésitation. Il pressentait qu’un jour la monnaie ne serait plus que virtuel et les coffres numériques. La maison Phoenix. C’est son arrière arrière grand-père qui avait baptisé ainsi l’entreprise. Œuvrant auparavant dans les vins et spiritueux, ses entrepôts et sa maison avait pris feu. N’avait été épargnée qu’une boite de métal contenant une forte somme d’argent. C’est ainsi  qu’il put renaître de ses cendres en créant sa fabrique de coffres-forts.
Pour Lucien, ces dernières années furent catastrophiques. Il se sentait de plus en plus seul, passé de mode. Il n’osait même plus dire qu’il vendait des coffres-forts, il se sentait ridicule, les femmes se moquaient de lui, il se renfermait dans sa boutique dont la porte et le téléphone ne tintaient que très rarement. Il ne tarderait pas à bientôt déposé le bilan. Il serait alors celui qui mettrait fin à cette dynastie d’entrepreneurs.
Il passait de plus en plus de temps devant son ordinateur à regarder les mêmes images en boucle.
Depuis un mois c’était des images de rond-points occupés, de manifestations violemment réprimées, de discours à sens unique, des images souvent violentes, de moins en moins de chats, quelques dessins humoristiques parfois, et ces demandes d’amies  sur Facebook de jeunes femmes publiant des photos pornos.
Et puis l’autre jour après avoir entendu pour la Nième fois le président de la république remettre un peu d’huile sur le feu, il lu quelques billets où certains appelaient à retirer leur argent des banques.
Soudain il reprit espoir. Il lâcha son ordinateur, fit du ménage dans sa boutique. Les affaires allaient reprendre, il en était sûr, la situation allait empirer et il y aurait beaucoup de choses à mettre en sûreté. On reviendrait le voir, on viendrait de tous bords, riche ou pauvre. Il serait prêt à faire crédit à un pauvre qui veut préserver ses maigres économies, avec intérêt bien sûr, il faudrait créer de nouveaux modèles, plus grand, plus résistants pour les puissants. Bientôt les femmes cesseraient de se moquer de lui.
Lucien se frottait les mains, la maison Phœnix n’était pas morte.

mercredi 16 janvier 2019


La Fin


(Villa d’Este, Tivoli, 11 avril 2017)

Vaincus par les algorithmes, hommes et bêtes agonisants, pétrifiés sous les mousses, lançaient leurs derniers cris

mardi 15 janvier 2019



Couleurs


Le linge aux fenêtres s’accordait aux murs des maisons. Tout semblait avoir été posé là pour sa venue comme si la ville entière connaissait son amour pour les aplats de couleurs.
Derrière les portes les yeux avaient la couleurs des murs. C’était un jeu de piste. Au seuil d’une maison verte, elle retrouverait son amant aux yeux verts.





(Burano, Italie, 24 janvier 2018)

lundi 14 janvier 2019



Donner du sang de son âme


(Vaucresson, 30 novembre 2018)

À quelques jour de la reprise d’un spectacle que je n’ai pas joué depuis deux ans, je repense à une phrase de Gilles Baudry qui lui-même citait un autre poète dont j’ai oublié le nom: « Prier pour quelqu’un c’est donner du sang de son âme. »
Donner du sang de son âme, voilà une belle définition pour le métier d’acteur.

dimanche 13 janvier 2019


Miniatures éphémères


(Vaucresson, 8 janvier)

Ivresse

samedi 12 janvier 2019


Cheng


(Amsterdam, 31 octobre 2015)


C’était à Amsterdam.
Nous regardions nos reflets enlacés sur l’eau noire.
Un vieux chinois s’est approché.
Je m’appelle Cheng, je viens d’épousseter la lune, nous a-t-il dit,
en nous souhaitant un bon voyage.
Puis il est reparti en roulant sur l’eau noire.
D’autres m’ont dit l’avoir vu
à Stockholm, à Venise ou à Bangkok,
la lune était pleine et leur amour entier.
Il allait à vélo sur les canaux,
un balai de paille sur le dos.

l’autre soir la nuit était si claire
que l’on distinguait chaque chose dans la chambre.
Nous étions étendus côte à côte, les yeux ouverts,
quand à minuit nous avons entendu tinter
la sonnette d’une bicyclette.
Alors nous nous sommes serrés l’un contre l’autre.

vendredi 11 janvier 2019


Grande Rue


(Maasholm, Allemagne, 11 juillet 2016)

Il n’ y a rien à voir par la fenêtre.
Un gris uniforme qui incite au renoncement.
Je cherche l’horizon dans de vieilles images.
La maison est silencieuse, je suis seul, à ma table.
Soudain un vol d’oies sauvages passe et cacarde
dans le ciel, d’un étang à l’autre.
Puis ce sont les cris de jeunes adultes handicapés en promenade.
Leur foyer est à deux pas.
À quatre heures ce  sont les enfants de retour de l’école
qui pépient devant la boulangerie.
Plus tard, une femme chante en passant dans la rue.
Je travaille face au jardin, dos à la rue.
La page prends des couleurs, à la manière d’un tableau de Pollock.
J’habite sur le chemin de l’école, le chemin de la gare, le chemin du foyer, le chemin de l’église,
le chemin de la mairie.
La rue est étroite, les valises et les cabas à roulettes claquettent sur les pavés du trottoir.
J’aime ma rue. Elle s’appelle la Grande Rue.

jeudi 10 janvier 2019



La beauté de l'aube


(Saint-Denis-lès-Martel, lot, 13 décembre 2018)

Cinq jours par semaine, prendre le train à l’aube, saluer les mêmes visages vieillissant au fil des ans, parler du temps qu’il fait, des nuits du petit dernier, de la maladie du vieux, regarder le jour se lever, s’extasier de la beauté du pays, marcher vers l’usine avec les collègues, les mots du boulot prenant la place des mots de la maison, prendre un café « avec », fumer la première cigarette, râler, glisser sa carte dans la pointeuse, râler à nouveau puis plaisanter, ouvrir son casier de métal, enfiler son bleu, prendre son poste, refaire les même gestes, avoir mal, au coude, à l’épaule, au dos, à la pause fumer la deuxième cigarette, boire un café « sans », reprendre son poste….
Chaque soir, après avoir ôté ses chaussures et embrassé sa femme, dire: « Putain de boulot! »
Puis un jour à 62 ans, après avoir reçu une jolie prime et quelques cadeaux, après avoir trinqué devant le casier portant un nouveau nom, le manque, le corps qui réclame ses habitudes, la tête qui tourne en rond en absence de contraintes.
Et cette question: pourquoi l’aube me semblait plus belle lorsque j’étais obligé de me lever?

mercredi 9 janvier 2019


Trésors


(Bd de la Bastille, Paris 12ième)

Chassés par la grêle, ils ont confié leurs trésors à l’ange doré de la liberté.

mardi 8 janvier 2019



Le Fusil


(Gambaiseuil, Yvelines, 3 janvier)

Il y a longtemps que Marc a rangé son fusil, un Verney Carron calibre 12. Il est dans le placard sous l’escalier avec les cannes de son père, les sabots de bois fendu, la besace de cuir craquelé et le jeu de croquet, au chaud dans son étui de toile verte. Les cartouches ne sont pas au même endroit, il ne vaut mieux pas, elles sont dans la bibliothèque, derrière les bouquins de James Elroy
Marc ne chasse plus depuis l’accident de son beau frère. Un mauvais ricochet, un œil en moins.
Nadine l’a convaincu de ranger définitivement son arme. Refuser de cesser cette pratique de crétins, c’est le mot qu’elle avait utilisé, aurait été un motif de divorce.
Depuis il ne vient à l’affût que pour regarder paître les grands cerfs.
Ce matin, il est venu tôt dans la clairière, le jour se levait à peine. Impossible de dormir. Des images de flics tabassant des manifestants à terre, des images de manifestants tabassant des flics à terre, des images de feux, d’hommes casqués armés de flash-balls visant à hauteur de visage, et  de ses potes en  jaune  tournaient en boucle dans sa tête.
Ni cerf, ni chevreuil, juste un héron cendré qui s’est envolé à son approche. Un vol majestueux.
Marc est monté au mirador en prenant garde au barreau vermoulu de l’échelle. Il faudra le remplacer, et refaire le toit se dit-il, je ferai ça au printemps.
Marc est là depuis une heure. La forêt est étrangement silencieuse ce matin. Il n’y a pas un souffle de vent. Il aimerait qu’il neige. Il marcherait dans la neige avec Nadine. Ils écouteraient la neige craquer sous leur pas. La solution viendra des femmes, pense-t-il, puisse mon fusil ne jamais sortir du placard.

lundi 7 janvier 2019


Un hiver un peu moins gris


(Vaucresson, 6 janvier)

Une pie dans le noisetier
un chat dans le potager
un hiver un peu moins gris

dimanche 6 janvier 2019



Miniatures éphémères


(Travaillan, 27 décembre 2018)

Sur le pont


samedi 5 janvier 2019


Le Clown


(Hendaye, 16 décembre 2018)

Parfois les larmes montent, il ne sait pas pourquoi. Elles n’ont pas le temps de couler, il ne sait pas pourquoi. Il avance en équilibre à la lisière des ombres, le long, le long des incendies, il avance, il ne sait pas pourquoi. Quand il s’élance dans la lumière, il n’a plus besoin de savoir, le clown.

vendredi 4 janvier 2019


L'encre des reflets


(Étang de Saint-Cucufa, Rueil-Malmaison, Hauts-de-Seine, 2 janvier)

Laisser aller la plume
l’encre des reflets
goutte à goutte
dilue les idées noires

jeudi 3 janvier 2019



Mikado


(Forêt de Rambouillet, Yvelines)

La terre était souple sous nos pas
de grands oiseaux gris survolaient des ruisseaux noirs
nous étions des géants saisissant une poignée de bouleaux
pour jouer au Mikado jusqu’au soir

mercredi 2 janvier 2019


Au bois de Saint-Cucufa


(Bois de Saint-Cucufa, Hauts-de-Seine)

Au bois de Saint-Cucufa, 
on construit des cabanes 
et on chasse l’orignal 
pendant que grand-mère promène le chien.

mardi 1 janvier 2019


Miniature pour l'an neuf


 (Travaillan, Vaucluse, 27 décembre)

Tout fait silence
là où s’élève la route
et le ciel s’illumine à l’horizon

promesse
                    (Desmond Egan, Près d’Anascaul, Peninsula, trad. Jean-Paul Blot)

En vous souhaitant une très belle année, amis lecteurs, fidèles ou visiteurs de passage.