vendredi 31 janvier 2020


Sylvain et Sylvette


(Buxerolles, Vienne, 29 janvier)

Il ne connaissait que l’hospice, le parc ceint de hauts murs hérissés de tessons de verre et couverts de lierre, la grande bâtisse au toit d’ardoise très pentu, les barreaux blancs aux fenêtres, les volets de fer,  et au centre de la façade la grande baie vitrée ovale dans le plus pur style des années folles.  Il avait toujours été là. On s’occupait de lui. Il pouvait sortir, il était dehors le plus souvent possible, l’intérieur ne l’intéressait pas. Il faisait le tour du parc, longeant les murs, sa main caressant le lierre, plusieurs fois par jour, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, toujours dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.
Un jour, il sortit après de grosses pluies. La terre était lourde, l’herbe trempée. La boue s’accrochait à sa semelle. Au fond du parc il s’arrêta un instant, contempla ses chaussures crottées. Cela le contrariait. Avec un petit bout de bois, il nettoya ses souliers. Au moment de reprendre sa promenade une feuille attira son attention, une feuille rouge, une feuille de lierre.
Il penchait la tête dans un sens puis dans l’autre pour mieux la regarder. On aurait dit que quelqu’un avait dessiné des pattes d’oiseau, c’était joli, il voulu la cueillir. La feuille résistait, il fallut tirer fort, la branche vint avec, puis une autre branche, il tirait, tirait, tout le lierre vint arrachant les pierres, jusqu’à ce que le mur entier s’écroulât.
Il vit alors des oiseaux, des milliers d’oiseaux, des grands, des petits, des longs becs, des grandes pattes, des blancs, des roses, des noirs, dans tous les sens, babillant, jacassant, pioupioutant, ululant, caquetant, frigottant, puputant, truissotant,  et des prairies, des étangs, des roseaux, des arbres couverts de mousse et de lichen, des pierres dressées, des collines, des forêts, noires, vertes, rouges, des renards, des loups, des ours, des sangliers, une maison au toit de chaume… Une maison au toit de chaume! Sylvain et Sylvette! Les diapositives à l’école! Oui, il avait été à l’école! On racontait des histoires en regardant des images, des diapositives sur un écran blanc! Il fallait le dire à ceux qui s’occupait de lui, il avait un souvenir!
Il fit immédiatement demi tour, filant vers la maison, dans le sens des aiguilles d’une montre.

jeudi 30 janvier 2020




(Roc d’Enfer, Lathus, Vienne, 28 janvier)

Certains arbres se couvrent de mousse pour mieux vous prendre dans leurs bras.

mercredi 29 janvier 2020


Des fleurs


(Poitiers, Vienne, 14h 30)

Le fleuriste attendait le client derrière la bâche tendue contre le vent, sur la place déserte, au pied de l’église. Il s’ennuyait. Un homme est arrivé, dans un drôle d’état. Il a regardé les fleurs, il a regardé le fleuriste, Il a dit : Je prends tout,  ma femme veut des fleurs, immédiatement, elle est en train de tout casser dans la maison. Il a tout pris, les fleurs, les pots, le fleuriste, il a tout plié dans la bâche, plié vingt fois, plié serré, le fleuriste aussi, et il a ramené le paquet à sa femme.

mardi 28 janvier 2020


La Source

 

(Roc d’Enfer, Lathus, Vienne,14h)

Il y a des auteurs dont on lit tous les livres. Si certains ouvrages touchent moins, ce n’est pas grave, c’est sans doute que nos chemins se sont éloignés, pour un temps.
Des auteurs qui sont comme des frères. En les lisant, on a l’étrange sensation qu’il nous connaissent, mieux que nous mêmes.
Hubert Mingarelli étaient de ceux là. Il est mort hier, nous avions quasiment le même âge. Je ne connaissais de lui que ses livres. Je l’aimais. J’aimais son écriture épurée au service de la fragilité des hommes, j’aimais la place du silence, la place de la nature dans ses livres.
Aujourd’hui c’est une après-midi chômée. Le ciel donne un peu de bleu. Il ne reste de la pluie que les ruisseaux sur les sentiers. Mes pas me conduisent dans les gorges de la Gartempe, au Roc d’Enfer. Comment ne pas penser à l’un des plus beaux livres d’Hubert Mingarelli, La Source, courte histoire publiée chez Cadex éditions en 2012. Deux frères, deux enfants, remontent les gorges d’une rivière jusqu’à sa source naissant dans une faille de la montagne. L’ainé est venu là très jeune avec leur père. Le père a disparu. Alors l’ainé conduit son jeune frère à la source.
En voici un extrait:
« Une nuit qui en aurait contenu mille, presque belle. Et tandis qu’elle avançait et qu’ils se parlaient, George savait que des nuits comme ça, ils n’en auraient plus. Ils avaient l’air de prendre une dernière inspiration, de se remplir d’air une dernière fois avant de s’enfoncer dans l’eau profonde que serait leur monde au réveil. »


lundi 27 janvier 2020


La corneille des clochers
(ou le choucas des tours)


(Rochechouart, Haute-Vienne, 17h45)

La corneille des clochers sied au gris du ciel
son cri sied à la solitude et à la fièvre

dimanche 26 janvier 2020


Miniatures éphémères


(Arborétum de Chèvreloup, Yvelines, 6 octobre 2019)

Égaré

samedi 25 janvier 2020


Des images pour accompagner l'hiver


(Parc de Villeneuve-l’Étang, Marnes-la-Coquette, 24 janvier)

C’est une journée fiévreuse.
Je suis comme le canard qui se dandine sur la glace trop fine.
L’esprit divague sans jamais aller au bout.
Je n’ai d’autre désir que de me perdre dans les images,
des images qui se font écho, photos, gravures, peintures,
des images qui apaisent le tourment et  accompagnent l’hiver.


 (Gabriel Belgeonne, eau forte)


(Patrick Loste, peinture)

vendredi 24 janvier 2020


Le bruit de la course d'une foulque macroule


(Étang de Villeneuve, Marnes-la-Coquette, 16h 30)

Blotti sous la couette Georges laisse le réveil sonner. Trois fois. Sa sonnerie ce sont des miaulements de chat.
Georges est allergique aux chats, alors ça le réveille. Trois fois, il faut bien ça.
Tiens, il n’a pas entendu les éboueurs ce matin. Sans doute sont-ils encore en grève. Il va falloir sérieusement envisager de limiter ses déchets.
Georges enfile sa robe de chambre. Une robe de chambre avec des chiens, des Snoopy, Georges n'est pas allergique aux chiens, et celui là, il l'aime bien.
Georges éternue, chaque matin Georges éternue. Il y a sûrement beaucoup d’autres choses auxquelles il est allergique. Ce matin il renoncera aux mouchoirs en papier, ce sera un début, pour les déchets. Georges sort du fond d’un tiroir un mouchoir de coton aux initiales brodées de son père.
Son père était lui aussi allergique aux chats,  et aussi aux syndicalistes. Georges a hérité de cette intolérance aux félins, par contre pour les syndicats, dès son premier emploi il a adhéré à la CGT, les pires pour son père. Ce fut un drame familial.
Georges ouvre les volets. Le jardin est blanc de givre. Georges est rassuré, on a encore des hivers. Il va falloir  racler le pare-brise de la voiture.
Georges reste longtemps sous la douche, une douche chaude qui lui détend le dos. Georges est un peu noué ces temps ci, il a décidé de reprendre le travail après deux semaines de grève, ça ne plaît pas à ses camarades.
Le téléphone sonne. C’est curieux, aussi tôt. Un coup de fil avant huit heures, c’est rarement de bonnes nouvelles.
C’est son amie Liliane. Son voisin s’est défenestré cette nuit. Sa voix tremble, elle dit le bruit du corps qui s‘écrase sur les pavés de la cour, ce bruit qui la réveille, elle dit avoir regardé dehors, n’avoir rien vu, s’être recouchée, avoir mis du temps à se rendormir, elle dit les pompiers qui frappent au petit matin, les coups violents sur la porte, au septième étage, elle dit la découverte du corps par une jeune femme  qui venait prendre son vélo, elle dit l’histoire de l’homme qui a mis fin à ses jours, son licenciement, sa lente déchéance, son isolement, les médicaments, les voisins qui s’inquiétaient, elle dit l'avoir vu la veille, il était insistant, voulait une cigarette, elle dit se sentir coupable de n’avoir rien fait, n’avoir pas vu venir le pire, elle dit comment plusieurs dans l’escalier partagent cette culpabilité, elle dit qu’il faut se serrer les coudes, elle dit encore le bruit du corps qui s’écrase, encore, elle dit….
Georges ne sait pas quoi répondre, il écoute, marmonne des banalités, dit qu’il viendra après le boulot.
Après avoir raccroché, Georges reste longtemps immobile. Il regarde dehors. l’herbe est blanche, les toits sont blancs.
Georges s’habille mécaniquement.
Il sort. Il ne va pas  gratter le pare-brise de sa voiture, il va à l’étang pas très loin de chez lui, il va à l’étang regarder les oiseaux entre les roseaux. Regarder les foulques s’envoler, ils courent sur l’eau avant de décoller, flap,flap,flap, le bruit de la foulque qui s'envole, pour chasser le bruit du corps qui s’écrase.
Georges n’ira pas travailler, il rejoindra ses camarades au piquet de grève.

jeudi 23 janvier 2020


Une idée


(Régina, Guyane, 22 mars 2019)

S’accrocher à une idée aussi légère soit-elle
avant qu’elle ne fleurisse

mercredi 22 janvier 2020


La feuille sur la pierre...


(Vaucresson, 14 novembre 2019)

Je me pose parfois d’idiotes questions.
Je n’ai jamais de réponse.
Ce jour là, il pleuvait.
je regardais la pierre sous l’érable,
la feuille sur la pierre.
Qui étais-je?
la feuille sur la pierre,
ou la pierre sous la feuille.

mardi 21 janvier 2020


Désobéir


(Haras de Jardy, Marnes-la-Coquette, Hauts-de-Seine, 19 novembre 2019)

Lucien a été élevé à la dure, le doigt sur la couture du pantalon.
Brigadier chef au troisième escadron de CRS. Un aboutissement. Servir!
Premier jour de repos depuis un moment. Les temps sont durs.
Il fait beau, Lucien se promène avec son fils aux haras de Jardy.
- Regarde papa, c’est celui là que je voudrais! c’est écrit quoi?
- Anarchie, c’est son nom.
- C’est bizarre comme nom, ça veut dire quoi?
- Oh, anarchie c’est le bord….C’est le fout… Enfin ça veut dire qu’il n’y a pas d’autorité respectée.
- Autorité respectée?
- Oui, c’est quand on refuse d’obéir.
- Ah oui, et toi ça t’arrive de refuser d’obéir?
Lucien ne répond pas. Il ne bouge plus, ne quitte pas des yeux le cheval qui le regarde avec une infinie douceur.
- Hein, papa? Papa, papa….

lundi 20 janvier 2020


Roulé


(Hendaye, 13 janvier, 18h 15)

Roulé nuages
roulé marée
roulé montagne
la vague meurt
la nuit vient
rien n’est éternel
ni les hommes 
ni la terre

dimanche 19 janvier 2020


Miniatures éphémères


(Hendaye, 12 janvier)

l’insomniaque

samedi 18 janvier 2020


Western


(Vers Zoangpighin, Burkina, 21 décembre 2019)

C’était un samedi
arbres et souches allaient ensemble
l’herbe rouge allait au vent
Il y avait quelques chèvres
un jeune berger
un oiseau bleu, un cordon bleu à joues rouges
une colline
des rochers noirs sur la colline
un petit morceau de tissu dans les cailloux
une termitière
et un trou dans la terre
un trou rond pour s’y lover
je me suis couché dans le trou rouge
en chien de fusil
j’ai épousé la terre
j’ai fermé les yeux
c’était doux
il y avait Aigle Noir et Rusty
un clairon jouait
il y avait un cheval
un cheval qui attendait
il y avait un chien
il y avait une mouche
une mouche qui tournait
il y avait une fiole avec un peu d’alcool
il y avait un Stetson un peu trop neuf
un revolver à barillet
une boite de haricots
et l’horizon tout au bout

vendredi 17 janvier 2020



Une époque formidable


(Hendaye, 13 janvier, 17h 30)

Jocelyne est proche du bonheur. Sa vie est intense, comme l’option filtre sur le mode photo de son Iphone, intense. Ce soir elle retrouve ses copines pour la séance d’aquagym en eaux vives.
Combinaison dernier cri, t-shirt fluo pour ne pas se perdre, on a même de petites lampes étanches et clignotantes pour la nuit qui ne va pas tarder. On commence par quelques étirements sur le sable, puis ce sont des marches, de l’eau jusqu’à la taille, en avant, en arrière, de côté, en sautillant. Jocelyne aimerait ressembler à la coach, blonde sculpturale à la voix forte et au sourire indéfectible. Elle se contentera « d’augmenter son potentiel dans la sphère privée et professionnelle ».
Quelques jours avant Noël elle a participé à une dégustation de chocolat en pleine conscience chez le sophrologue d’une de ses amies. C’était formidable, les saveurs, les parfums, les sons, elle percevait le chocolat de la pointe des pieds à l'extrémité des cheveux, elle était chocolat.
Elle a téléchargé l’application Petit Bambou sur son téléphone, application dédiée à la méditation, « une application faite avec amour par une équipe qui vous écoute et a à cœur de vous accompagner » dit la publicité. Ça aussi, c’est vraiment chouette, elle dort mieux.
Au printemps elle a prévu un séjour jeûne et randonnée dans une ancienne commanderie templière du Quercy. Détox, détox…
Bon, tout cela a un coût. Ce n’est pas grave, elle devient plus performante. Pour la nouvelle année, elle a été augmentée, oh pas grand chose, ce n’est qu’un début.
Quelle époque formidable!

jeudi 16 janvier 2020


S'envoler


(Hendaye, 11 janvier, 8h 15)

Quand le seul avenir est une poussière rouge,
quand au dessus le ciel est si beau,
quand les oiseaux paraissent invincibles,
comment imaginer qu’on ne peut survivre
dans le train d’atterrissage d’un avion.
Il avait quatorze ans, il vivait dans les faubourgs d’Abidjan.

mercredi 15 janvier 2020


Le ciel et la terre


(Hendaye, 13 janvier, 16h 45)

Plus je regarde le ciel, plus je me sens joyeusement et profondément ancré à la terre.

mardi 14 janvier 2020


Une barque dans la baie du figuier


(La Baie du Figuier, vue du port des pêcheurs de Fontarabie, 13 janvier)

Ciel voilé, coulée de bronze, image du nord, image des lointains, image des confins d’où nul n’est censé revenir.
Nous sommes face à face, seuls au centre de la baie, dans une barque de bois qui tangue doucement, mon père et moi.
Mon père parle, sa voix est faible, légèrement aiguë. Comme peut l’être ma propre voix quand je suis mal à l’aise, intimidé. Fragilité de l’enfance.
Il me parle de Saïgon, du Mékong, de son père, de la pluie qui frappe, des parfums humides, des soieries de sa mère, de sa peur des autres, de sa curiosité aussi, il me parle de l’ Algérie, de ses doutes, de L’Afrique, de la terre rouge, de la poussière, des femmes, il me parle de ma mère, de la douceur de sa peau, de la longueur de ses jambes, il me parle de Brahms, il me dit combien il aurait aimé danser, pieds nus dans les blés murs, il me dit tant de chose qu’il n’a jamais osé faire, il me dit qu’il ne sait pas pourquoi, il me dit qu’il n’a jamais essayé de savoir pourquoi il ne supportait pas de me voir aller nus pieds, il me dit encore sa peur, mais il me dit aussi que maintenant c’est fini, il est tranquille, il me dit qu’il m’a vu danser autour de son cercueil avec Mathilde, ma fille, il me dit que ça l’a fait rire, il me dit qu’il a toujours aimé rire.
Alors je sors de ma poche un bout de papier froissé, quelques lignes écrites en le voyant partir à l’hôpital, un an avant sa mort. Je les lui lis:

Combien de reproches, combien de révoltes, combien de silences, de refus,
combien de fois ai je haï ce que tu étais, ce que tu représentais,
combien de fois ai je tenté de parler, en vain,
combien d’étreintes, de baisers, n’ont pas eu lieu,
mais comment ne pas t’aimer,
comment ne pas t’aimer quand je te vois si démuni,
une telle frayeur dans le regard
quand les ambulanciers t’emportent.

Alors nous nous prenons la main, nous nous regardons droit dans les yeux.

Tout cela n’est qu’un rêve, un doux rêve, tandis que je regarde deux pêcheurs rentrer tranquillement au port.
Mon père n’était pas quelqu’un qui disait, nous ne nous regardions pas dans les yeux.
Mais qu’importe. Aprés avoir tant parlé, je sais aussi que le silence a ses vertus, qu’on ne peut forcer la source.
Il y a tant de rivières souterraines. Il suffit de coller parfois son oreille à la terre et d’écouter, juste écouter.
Mon père repose dans cette baie.

lundi 13 janvier 2020


L'amour est une peinture...


(Vue sur la Rhune, Hendaye, 8h 15)

Avant que paraisse le soleil, le ciel hésite.
Mon cœur non.
L’amour est une peinture, au plus près on en perçoit la texture, au plus loin on y voit une beauté nouvelle.

dimanche 12 janvier 2020


Miniatures éphémères


(Hendaye, 11 janvier, 16h)

À l’ouest, rien de nouveau

samedi 11 janvier 2020



Le cul de Gisèle


(Coucher de lune sur Fontarabie, Hendaye, 8h 45)

Je guette la lune pleine entre les nuages.
Je pense au cul de Gisèle que je regardais par le trou de la serrure lorsque j’étais enfant.
Gisèle était une plantureuse jeune fille au pair qui nous gardait pendant l’été.
Nous l’aimions bien, mais nous étions taquins.
Il est bientôt neuf heures, j’ai soixante quatre ans, je m’apprête à aller surfer, et je pense au cul de Gisèle.

vendredi 10 janvier 2020


Le souffle de la mer


(Hendaye, 19h 15)

Ce besoin de prendre la route, ouvrir grand la fenêtre.
Ce besoin de sentir le souffle de la mer.

jeudi 9 janvier 2020


Samare du charme sur la scolopendre


(Orval, Belgique, 9 novembre 2019)

Samare du charme sur la scolopendre. J’imagine sa chute, légère, tournoyante, avant de se poser sur la feuille tendre  comme un nouveau né dans son berceau.
Le vent la soulèvera à nouveau, l’emportera faire son office où la terre le désire.
Samare du charme, ce fruit m’émeut autant qu’un petit d’homme.

mercredi 8 janvier 2020


À vélo


(Travaillan, Vaucluse, 29 décembre 2019)

Il a sa montagne. Le mont Ventoux. Il suffit de regarder par la fenêtre. Il dit qu’il est monté là-haut à vélo en moins de deux heures. Il dit que c’est sur la route de la montagne qu’il a gagné sa première casquette, une casquette jaune lancée de la caravane de voitures publicitaires qui précédait les coureurs du Tour de France. Il fut le plus vif de tous les gosses du coin. Il dit qu’il a su monter à vélo avant de marcher, il dit que son premier vélo était un Peugeot bleu. Il dit qu’il était le plus rapide du village. Il dit que si on mettait bout à bout  tous les kilomètres parcourus en pédalant, ça ferait trois fois le tour de la terre. Il dit qu’il a gagné trente trois courses, il dit qu’il allait au boulot en vélo, il dit qu’il s’est marié à vélo, il dit même qu’il a baisé à vélo. Il dit qu’il a fait la résistance à vélo, il dit qu’il a rattrapé un gangster à vélo. Celui-ci venait de braquer le bureau de poste. Mimi, sa douce Mimi y travaillait, son sang n’a fait qu’un tour, jamais il n’avait roulé aussi vite. Il dit que Yves Montand a chanté La Bicyclette pour lui tout seul un jour d’hiver à l’Olympia. Il dit qu’il a un cœur en forme de dérailleur et les poumons souples comme du boyau haut de gamme. Il dit qu’il en connaît un rayon, il dit qu’il partira à vélo,  il dit que les auréoles des anges sont des roues de vélo.
En attendant il marche avec deux cannes, il fait la poussière une fois par moi sur les petits cyclistes de plomb qui se courent après au dessus de la cheminée, il graisse la selle de son vélo avec de l’huile de pied de bœuf, chaque dimanche il mange un Paris-Brest.
Il attend que les nuages se décrochent de la montagne, il attend les nymphettes qui viendront avec des fleurs le chercher pour sa dernière course.
Il parle à la montagne, en boucle.

mardi 7 janvier 2020


Douceur


(Ouagadougou, Burkina, 22 décembre 2019)

Douceur.
Dans la poussière soulevée par les motos,
un homme va,
indifférent au temps qui passe.

lundi 6 janvier 2020


C'est un petit étang...


(Parc de Villeneuve-L’Étang, Marnes-la-Coquette, Hauts-de-Seine, 15h 30)

C’est un petit étang pas très loin de chez moi.
Des vieilles dames et de vieux messieurs viennent y promener leurs chiens.
On parle de la pluie et du beau temps tandis que les canidés se reniflent le derrière.
Sur un banc, au soleil, une jeune femme, yeux fermés, tient la posture de la torsion ou Vakrasana, posture de yoga qui assouplie la colonne et corrige les déviations éventuelles.
Il n’y a pas d’enfants, ils sont à l’école.
Il y a un cygne, quelques canards, mouettes et cormorans.
L’autoroute passe à quelques pas, un flux continu, bruyant. Moteur d’un projecteur qui déroule ses mètres de pellicule. Alors juste l’image, sans le son.
Je viens d’acheter des piles pour le sonotone de ma vieille mère. 70€, deux boites. Si t’as pas le sou,  t’as pas le son. Juste l’image, et encore, faut les lunettes.
C’est un petit étang pas très loin de chez moi.
Dans le parc, il y aussi un monument, massif, disproportionné. Là, reposent les restes de quarante neuf aviateurs américains tués au combat pendant la guerre de 14-18, l’escadrille Lafayette. Un homme lit au pied de l’un des hauts murs. Une guerre peut-elle être juste? Peut-être, mais la haine non. Voilà que dans ce parc coincé entre route et autoroute je pense aux éructations de Mr Trump, danger public.
C’est un petit parc pas très loin de chez moi.
Les chemins sont un peu boueux, les rives de l’étang sont entretenues. L’eau ne gèle pratiquement plus. Il y a  vingt-cinq ans nos enfants voulaient marcher sur la glace.
Une femme est passée, elle souriait. Elle remontait à pied depuis le Pont de Saint-Cloud, par le parc de Saint-Cloud qu’une passerelle au dessus de l’autoroute joint au parc de Villeneuve-L’étang. Les transports en commun sont en grève, alors on marche.
L’autoroute n’en finit pas de rugir et je me dit qu’au fond on peut se passer de voiture, et de montre.
C’est un petit étang pas très loin de chez moi, immobile, même les oiseaux ne quittent pas leur branche, immobile comme une ancienne horloge sous cloche de verre, une horloge arrêtée, coincée au milieux d’un fatras d’objets mécaniques, électriques, électroniques, qui ne servent à pas grand chose.
Un petit étang immobile en ce début d’année 2020.

dimanche 5 janvier 2020


Miniatures éphémères


(Bornival, Belgique, 4 décembre 2019)

Crépuscule

samedi 4 janvier 2020


La lassitude des nénuphars


(Liessies, Nord, 2 décembre 2019)

Un léger voile
la lassitude des nénuphars
et pourtant
un reflet amoureux

vendredi 3 janvier 2020


Maman rapetisse


(Liessies, Nord, 2 décembre 2019)

Elle marche tête baissée, elle parle à son chien: « J’ai été au docteur hier, il m’a mesurée,
hé bien tu vois maman rapetisse, et toi tu grandis! »

jeudi 2 janvier 2020


Au fort Saint-André


(Fort Saint-André, Villeneuve-lès-Avignon, Gard, 31 Décembre 2019)

Aux meurtrières la lumière caresse la pierre.
Accroché aux barreaux un homme boit le jour à pleine peau.
Il est emprisonné pour avoir désobéi. C’est un soldat qui avait des idéaux.
Il avait pris l’épée et le mousquet pour la justice.
Il refusa de mater la révolte.
On ne frappe pas un homme à terre. Il faut savoir changer de camp quand on voit ce qu’il ne faut pas voir.
Il ne sait pas combien de temps encore, à laper la lumière aux grilles du fort Saint-André.
Il grave sur la pierre sa pensée, son amour, un prénom, une date.
Un siècle plus tard quelqu’un passe une main sur cette pensée gravée pour l’éternité.

mercredi 1 janvier 2020


Miniatures éphémères
Trompettes pour l'an neuf


 (Saint-Cirgue,Tarn, 3 juin 2018)

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