mardi 31 mars 2020


Jo


(Vaucresson, 17h)

Jo ne comprend pas pourquoi sa mère ne vient plus le voir.
Jo ne comprend pas pourquoi la moitié de ses amis sont partis.
Jo ne comprend pas pourquoi il ne faut plus se toucher.
Jo ne comprend pas pourquoi c’est toujours Evelyne qui s’occupe de lui.
Jo ne comprend pas pourquoi Evelyne cache sa bouche.
Jo ne comprend pas pourquoi on ne chante plus le mardi.
Jo ne comprend pas pourquoi on ne sort plus en promenade.
Il reste le jardin, et de l’autre côté du grillage, les fleurs du voisin,
si désirables.
Evelyne emmène Jo au jardin, quand il fait beau.
Quand Jo ne comprend pas, il s’agite.
Evelyne veille. Evelyne chantonne, pour calmer Jo,
« Une tit’ fleur l’amour… » c’est du créole,
« La belle aux mill’z’oiseaux… » Une berceuse
« Ti fill’ jamalac com ‘il aim’ a o
Dodo tit’baba ça z’histoir’
maman avec son papa… »
Alors Jo se calme, il regarde la fleur derrière le grillage,
si désirable.

lundi 30 mars 2020


Leurs larmes sont des fleurs


(Vaucresson, 20 mars)

Au quatorzième jour
 les arbres pleurent
leurs larmes sont des fleurs

dimanche 29 mars 2020


Miniatures éphémères


(Vaucresson, 26 mars, 17h)

Dans de beaux draps

samedi 28 mars 2020


Les tulipes


(Vaucresson, 27 mars, 14h 15)

Vendredi, j'apprends que les lapins naissent dans les tulipes
Samedi, tant de baisers retenus 


(Vaucresson, 28 mars, 11h)

vendredi 27 mars 2020


Je voulais parler d'autre chose


(Venise,  quartier du Castello, 23 janvier 2018)

Je voulais parler d’autre chose, de vieux amoureux à Venise, du bruit mat que font les ailes des pigeons qui se précipitent sur le pain, du son régulier de la rame qui plonge dans l’eau du canal, du battement dans le vent du linge aux fenêtres, du claquement des talons sur les marches du Rialto, du crissement de la pointe du couteau qui dessine un cœur sur la pierre. Dans cet inhabituel silence, les sons viennent avant les images.
Je voulais parler des couleurs de Burano, de ce mois de janvier 2018 d’une douceur exceptionnelle, d’une conversation d’une berge à l’autre d’un canal, des brumes sur la lagune, d’une ville fidèle à ses promesses.
Je cherchai les photos de ce voyage, il y en avait des dizaines, sur beaucoup ma compagne était là, vêtue d’un manteau coloré, souriant à l’Italie qu’elle aime tant.
Mais je revenais sans cesse à la même image: celle d’un homme solitaire assis sur un banc face aux pigeons qui picorent le pain qu’il vient de leur lancer.
Je revenais à la même image, incapable de parler d’autre chose que ce qui nous préoccupe tous en ce moment.
Là-bas, mille morts en vingt quatre heures.
Où est cet homme? Est-il vivant, hospitalisé ou confiné chez lui. A-t-il seulement un chez lui?
Si oui, y est-il, dans son lit, entouré des pigeons qui, inquiets de ne plus le voir au parc, viennent prendre de ses nouvelles, comme sur ce dessin que j’ai vu il y a quelques jours? Ce dessin m’avait fait sourire, beaucoup d’autres choses très drôles circulent sur internet, mais sous les rires ça gratouille. Bien sûr, il faut rire, jouir du moindre rayon de soleil, sur une fleur, sur une lame de parquet, regarder le ciel, la course des nuages, s’alléger le cœur comme on peut mais ce satané virus te prend le souffle, le souffle qui te permet de rire.
Comment vont Thérèse, Irène, Marie-Louise, Gabrielle, Jeanne, Paulette, et les autres avec qui nous avions ri  l’an dernier à l’EPHAD de Bretenoux?
Comment vont Guy, Agnès, Adrien, Florence, Steven, Christophe, Abdenour,  avec qui nous avions inventé des histoires  l’an dernier au foyer Marthe Robin à Gramat.
Avec eux nous avions joué un spectacle. Adrien disait à Agnes:

Je marche dans la forêt
j’entends les animaux
je pense au feuillage
le bruit des feuilles qui tombent doucement
Agnès, moi qui t’aime tant, je veux me marier avec toi
je veux pêcher un poisson rouge
j’entends les glands craquer
dans l’herbe, dans l’herbe
je me suis endormi
et j’ai fait de jolis rêves


Tous deux sont autistes et non voyant. Que se passe-t-il quand on ne peut plus poser ses mains pour voir?
Et Steven, lui aussi non voyant, avait un geste si délicat pour chaque son.
Je voulais parler d’autre chose que ce putain de virus qui en dit tant sur nos égarements.
Mais je ne peux m’empêcher de penser à celui qui s’éteint isolé des siens.
Quel geste aurait fait Steven pour le son de la fermeture éclair qui clos définitivement la housse dans laquelle on a déposé le défunt?

jeudi 26 mars 2020



Miniatures éphémères


(Vaucresson, 10h 15)

Confinement

mercredi 25 mars 2020


Je n'ai qu'une fleur à vous offrir


(Vaucresson, 24 mars, 10h 45)

La route me manque
je n’ai qu’une fleur à vous offrir
la ferveur d’une fleur 
qui ne se soucie guère du Corona
d’une fenêtre à l’autre
sur nos lignes téléphoniques
les voix se tressent
les oiseaux s’étonnent
de voir les hommes 
chanter aux balcons
je me souviens d’une prison 
sur les hauteurs de Grâce
où les voix des hommes aux barreaux 
raisonnaient dans la montagne
se mêlaient aux voix 
des femmes sur le sentier
ne reste là-bas que les cris 
d’hommes abandonnés
je n’ai qu’une fleur à vous offrir
une fleur et un peu d’amour
cueilli dans chaque parcelle 
de mon jardin
que je ne cesse de parcourir
à la recherche de vous tous

mardi 24 mars 2020


Sortir


 (Vaucresson, 23 mars, 17h 30)

Sur la table le dernier bouquet de tulipes a rendu l’âme. Elle ramasse les pétales tombés sur les journaux de la semaine dernière. Elle vide et nettoie le vase. Le parfum aigre de l’eau croupie lui rappelle un mauvais souvenir. Le souvenir d’un temps où il fallait des tickets pour le manger. Jacqueline nettoie bien le vase, plusieurs fois, avec du produit, jusqu’à ce que toutes les traces disparaissent.
Puis elle descend dans son jardin. Descendre, une expédition à son âge, marche après marche. Pour remonter, il faudra encore plus de temps. Jacqueline n’a pas de souci avec le temps. Il y a longtemps qu’elle vit seule.
Quand on lui a annoncé qu’il ne fallait plus sortir, elle s’est inquiétée. Aurait-elle le droit d’aller dans son jardin? On lui a dit oui. Elle a alors pensé à son amie de Scrabble, Odette, qui n’a pas de jardin, et dont l’appartement donne sur les murs de l’usine de chaussures. Désormais Odette ne peut même plus se distraire en regardant passer les ouvriers. Jacqueline lui a proposé de jouer au Scrabble par téléphone mais Odette, qui a son petit caractère, lui a dit qu’elle en profiterait pour tricher.
Le jardin explose de couleurs, primevères, narcisses, tulipes, jacinthes… Au poirier et au cerisier les fleurs sont prêtes à sortir. Léon le bourdon, Jacqueline appelle tous les bourdons Léon, est déjà là.
Regarder pousser les fleurs, voilà le bonheur de Jacqueline. Elle peut regarder encore. Jamais la nature n’avait semblé aussi belle.
Le silence règne autour du jardin clos, on entend les mouches et les oiseaux.  Ces événements ont du bon se dit-elle. Événement, c’est le mot qu’utilisait son mari, et bien d’autres, mort dans une guerre dont on taisait le nom. Oh, aujourd’hui il ne s’agit pas de guerre. Aucune bombe ne tombe, on lui apporte ses courses, le téléphone n’a jamais autant sonné, et pas pour de la publicité, on prend de ses nouvelles, elle ne pensait pas connaître autant de monde. La seule chose commune avec la guerre, c’est que certains sauront en tirer profit, Jacqueline ne se fait guère d’illusion sur la nature humaine. Elle dit événement car elle sent bien qu’il se passe quelque chose qui nous dépasse.
Devant un narcisse ébouriffé, Jacqueline sourit passant la main sur sa mise plis défraichie.
Si ça dure toute cette histoire, voilà quelqu’un qui va lui manquer, Nadége, sa coiffeuse qui lui masse délicatement le crâne pendant le shampoing, qui lui raconte tous les potins du quartier en la coiffant.
Jacqueline va chercher un sécateur dans la cabane. Cueillir quelques tulipes pour orner la table du salon, quelques fleurs à regarder quand il pleut. Puis elle se ravise. Non, laissons les en terre, se dit-elle, leur vie est déjà brève au jardin, maintenant je descendrai même quand ça mouille, tant que j’ai des jambes, et pas le Corona.


lundi 23 mars 2020


Vol stationnaire


(Grand Bombyle, Vaucresson)

Au septième jour, au fond du jardin, je rencontre sur une pierre le Grand Bombyle ( Bombylius major), diptère spécialiste du vol stationnaire.
Voilà la tâche à laquelle je m’attelle désormais, expérimenter le vol stationnaire.

dimanche 22 mars 2020


Miniatures éphémères


(Vaucresson)

En attendant…

samedi 21 mars 2020


Au cinquième jour


(Vaucresson, 17h)

Au cinquième jour,
la chute d’un pétale.
Quel fracas!


(Sous le pétale de tulipe, couverture des Carnets érotiques de Modigliani, éditions du Chêne)

vendredi 20 mars 2020


Derrière une vitre


(Bois de Saint-Cucufa, 11h 30)

Ils se sont tant aimés
il est malade, à l’isolement
il n’en a plus pour  longtemps
elle le regarde de loin
derrière une vitre
ils se sont tant étreints

jeudi 19 mars 2020


Une demande en mariage


(Vaucresson, 17h 30)

Au troisième jour de confinement, après un moment de stupeur, de pensée en suspend et de difficulté à me concentrer sur la moindre tâche, j’entame l’exploration minutieuse du jardin.
À 17h 30 je rencontre une tulipe, petite, discrète, solitaire parmi quelques primevères au pied d’un poirier nain. Elle me regarde timidement. Que se passe -t-il, dit-elle, la terre ne tremble plus, le ciel est clair, le silence inhabituel. Je ne sais comment lui répondre. Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle, ce qui nous arrive, à nous les hommes? Elle perçoit mon embarras. Ne dis rien, me dit-elle. Puis après s’être légèrement balancée dans le courant d’air: veux tu m’épouser?
Je lui réponds que je suis déjà marié. Ce n’est rien, dit-elle, l’amour doit essaimer, et puis ma vie est éphémère, dans quelques jours mes pétales seront à mes pieds puis ma tige finira par sécher, 
profitons de cet instant pour nous aimer, tu retrouveras ton épouse à la nuit dans un lit de bois.
Pourquoi pas, ai-je répondu. Alors elle m’a ouvert grand ses bras.

mercredi 18 mars 2020


Miniatures éphémères


(Vaucresson, 17h)

Le vaisseau fantôme

mardi 17 mars 2020


Un baobab sur la tête


(Sur la N4 entre Koupéla et Ouagadougou, Burkina, 21 décembre 2019))

Hier soir, le lit était froid comme la pierre et les draps lourds. Il a fallu du temps pour réchauffer la nuit.
Au matin j’avais un baobab sur la tête.
C’est un peu gênant, je n’ai pas de chapeau assez grand et la porte est devenue bien trop étroite.
Je reste confiné, il finira bien par rétrécir.
Je ne ressens aucune douleur, plutôt même une certaine douceur, celle du bois lisse, de l’eau qui coule, des cailloux qui roulent, des graines qui voyagent, des fleurs qui s’ouvrent.
Ça me gratte un peu. Je n’ai  plus de cheveux sur le dessus, maintenant un baobab, ça me va plutôt bien. J’ai connu une reine qui  avait sur la tête une jachère fleurie. Je me rappelle l’avoir embrassée plusieurs fois, mais c’était il y a longtemps.
Je ne sais pas trop quoi faire.
Et puis j’entends des voix. Elles viennent du bois, elles me parlent de la fourmi et du scarabée, elles me parlent du ciel qui se retient, du sable qui vole, elles me parlent de l’oncle Pierre, de l’oncle Aristide, de la petite Margot et de mamie Jacqueline, elles me parlent de la grippe espagnole, de la montagne qui crache, de la forêt qui brûle, elles me parlent du cou de la girafe, de la trompe de l’éléphant, du pas de la chenille, de l’enfant qui naît, de la douleur de la mère et de la joie de la mère.
Quand j’ouvre la fenêtre l’arbre bouge un peu dans le courant d’air.
Je ne sais pas quand je pourrai sortir, je ne sais pas comment demain je serai.
Il ne faudrait pas une tulipe sur le nez, ça me ferait loucher. À la rigueur de la fougère aux pieds et des anémones aux oreilles feraient un bel ensemble.
Mais, mes amis, le jour où je sortirai, j’en aurai des choses à raconter.



(Vers Zoangpighin, Burkina, 21 décembre 2019)

lundi 16 mars 2020



Des allumettes


(Sur la D 2076 entre Blet et Saint-Just, Cher, 14 mars)

Nous sommes des allumettes
j’ai rangé ma petite auto
sur le bureau, les piles de livres se frottent les pages
j’ai le ciel par la fenêtre
les fleurs dans le jardin
mes photos et mon stylo
prenons soin les uns des autres
à bonne distance
pour ne pas flamber
nos retrouvailles n’en seront que plus ardentes

dimanche 15 mars 2020


Miniatures éphémères


(Puy de Dôme, 11 mars, 17h 30)

Dernières neiges

samedi 14 mars 2020



La boite à chaussures


(Sur la D 2076 entre Sancoins et Blet, Cher)

Six heures trente, un peu de givre mais des oiseaux de printemps.
Sur la route déserte un homme va à pas décidés.
Silhouette de bric et de broc, tête oblongue, long cou, grandes jambes.
De loin l’homme semble ne pas avoir de torse.
Il tient contre son cœur une boite à chaussures.
Il va à Plaimpieds-Givaudins, ne veut pas qu’on l’emmène.
Dans la boite, il y a un arbre, dit-il.

vendredi 13 mars 2020


Corona, Corona


(Sur la D 49 entre Saint-Babel et Sauxillanges, Puy-de-Dôme, 12 mars)

Un paysage, pas loin du col de la croix des gardes, une bouffée d’air avant de rentrer à la maison. Les écoles ferment leurs portes, Corona, Corona, la tournée est annulée, alors demain je rentre à la maison.
Henriette, quatre-vingt dix sept ans s’inquiète pour ses enfants. Moi, j’ai fait mon temps, dit-elle, alors il peut bien m’emporter celui-là, Corona, Corona, mais vous allez voir, je ne vais même pas l’attraper.
Roger est venu faire des photos du spectacle pour la gazette locale, c’est sa dernière sortie. Il est gros, diabétique et a soixante quinze ans, alors  il faut faire attention, Corona, Corona, Roger a été flic, mais pas cowboy.
Laurence m’accueille avec un grand sourire dans son école. Elle ne me serre pas la main, et me demande l’air de rien si je ne viens pas de l’Oise ou du Haut-Rhin, Corona, Corona.
Au supermarché on se bouscule, le rayon pâtes est vide, Corona, Corona, Kévin fait des heures sup pour le réassort, il se frotte les mains.
Jules, quatre  ans, me dit mon papa a un gros tracteur vert, nananère, nananère.
À l’hôtel Cyrius la patronne me montre son cahier de réservations tout raturé. Corona, Corona, j’ai autant de chambres que vous voulez, faites votre choix.
Il n’y a plus de neiges éternelles. Demain je rentre à la maison.

jeudi 12 mars 2020


Le Compas


(Le Compas, Creuse, 9 mars)

Quelques arbres qui discutent en haut d’un champ
un discret ruisseau gorgé de ciel
une petite église au bord de la route
Le Compas, c’est le nom du village

mercredi 11 mars 2020


Un tapis de jeu


(Vue sur les monts du Livradois depuis la butte de Montpensier, Puy-de-Dôme)

C’est un tapis de jeu tissé de routes et de maisons, un tapis de jeu dans la chambre d’un petit garçon, un tapis pour faire rouler les petites voitures. Le petit garçon grandit puis quitte la maison.
Alors on roule le tapis, on le range au grenier, on le garde pour les petits enfants, peut-être.
Le temps passe, le fils fait son chemin, le père vieillit, mais il va toujours dans sa petite auto, de village en village, pour son travail. Pour son travail, c’est ce que l’on disait au petit garçon, son travail, un peu clown, un peu marionnettiste, pas vraiment un travail, mais comment dire à son fils que l’on a jamais  voulu cesser de jouer alors qu’il est dans l’ordre des choses de devenir une grande personne sérieuse.
On vieillit, on va toujours dans sa petite auto, et puis on se dit qu’on est sur un grand tapis de jeu, qu’un jour quelqu’un le roulera, avec soi dedans, et le rangera au grenier.

mardi 10 mars 2020


L'arbre en tutu


(Sur la D 996 entre Saint-Bard et Le Compas, Creuse, 9 mars)

Les hommes s’inquiètent et les arbres dansent

lundi 9 mars 2020



La maison de Randy


(Évaux-les-Bains, Creuse, 8h 20)

C’était la maison de sa grand-mère. Maintenant c’est sa maison, la maison de Randy, une petite maison de rien. Il y sent bon le café chaud et le tabac froid. Il y a quelques fissures aux murs, des peintures qui s’écaillent, un évier ébréché, des cartes postales sur le frigo, deux vieux lits en bois, des oreillers en plumes, un fauteuil à refaire, des chaises de paille, une table tachée, une horloge arrêtée, une reproduction encadrée de La Sieste de Van Gogh au dessus de la cheminée.
Randy n’a touché à rien depuis la mort de sa grand-mère. II a juste amené ses affaires, oh pas grand chose, quelques vêtements, une boite à outils, un calendrier Playboy qu’il a accroché à coté du Van Gogh, et son chat, un chat roux qui passe ses journées à la fenêtre.
Randy a un bon travail, il répare les tracteurs chez Fontvielle à Évaux. Il a toujours voulu faire ça, réparer les tracteurs, depuis le jour où il a vu son père sombrer parce qu’il n’avait plus les moyens d’entretenir son matériel agricole.
Un bon travail, et maintenant une maison à lui. À l’est il a vue sur la campagne, la seule qui vaille à son avis, la campagne où il a grandi, la campagne qui a fait fuir sa mère, la campagne qui a tué son père, la campagne qui consolait sa grand-mère, la campagne sillonnée par les tracteurs qu’il répare inlassablement. À l’ouest il a vue sur l’école. Le matin ce sont les cris des enfants qui le réveillent. Randy aimerait bien avoir un enfant, il lui offrirait un petit tracteur. Il faudrait d’abord qu’il trouve une copine. C’est pas facile, il n’ y a pas beaucoup de filles par ici, tout le monde s’en va. Peut-être qu’avec le Coronamachin certaines vont quitté les grandes villes et venir s’installer ici, Évaux-les-Bains est bien une ville où autrefois on venait pour se soigner.
En attendent samedi soir il y a un concert de Ultrason à Rougnat. Il ira, il aimerait bien trouver une copine qui aime le rock, et les tracteurs.

dimanche 8 mars 2020


Miniatures éphémères


(Vaucresson, 29 février)

Chagrin d’amour

samedi 7 mars 2020


Le regard penché à la fenêtre


(Larmor-Baden, Morbihan, 19 septembre 2019)

Il partait chaque fois sans se retourner
il savait que quelque soit sa destination
il n’y avait rien de plus beau que le regard penché à la fenêtre

Chaque fois elle le regardait partir
elle aimait son dos autant que ses yeux
elle savait qu’il reviendrait
toujours

vendredi 6 mars 2020


La rouille


(Ouagadougou, Burkina, 18 décembre 2019)

La rouille
 comme un vague à l’âme

jeudi 5 mars 2020


Le chant des tulipes


(Vaucresson, 3 mars)

Les tulipes se tendent vers le soleil 
comme les oisillons, le bec grand ouvert, vers leur mère.
Écoutez…

mercredi 4 mars 2020


Marguerite
(1895-1965)


(Vaucresson, 3 mars)

Elle a le teint pâle,
de longs cheveux blancs coiffés en tresses roulées sur les côtés,
elle est vêtue d’un kimono de soie à fleurs,
rose et noir.
Elle est assise au centre du lit,
le dos contre deux oreillers de plume.
Ses lèvres sont si fines,
un sourire esquissé,
à peine.
On se souvient de son visage,
de son élégance,
mais pas de sa voix.
Elle s’appelle Marguerite.
Marguerite! crie le mari
lorsqu’il a une envie pressante
et qu’elle n’est pas à ses côtés.
On ne saura jamais
si un jour elle a dit non.
Elle est assise au centre du lit.
La maladie n’altère en rien sa beauté.
Le mari tient un journal
précis, comptable,
des visites du médecin,
des nouveaux traitements.
Le dessus de lit est vert,
impeccablement plié au pied.
Les volets sont entrouverts,
la chambre est sombre.
Parfois elle semble s’éclaircir
un instant
comme entre les pales d’un ventilateur.
Un rêve d’Asie.
Ils ont vécu à Saigon.
Ils ont eu quatre garçons.
Elle est assise au centre du lit.
Le lit paraît immense
à l’enfant en culottes courtes
qui joue dans la chambre.
L’enfant joue avec un bateau de guerre
en plastique argenté,
sur un tapis persan
aux tons rouges et bleus.
L’enfant et Marguerite sont seuls.
Le mari est au jardin, au potager.
On ne saura jamais
s’il prenait soin de Marguerite
comme de ses plantes.
Il était d’une époque
où l’on prenait femme
car il était temps de prendre femme.
On se dit qu’ils se sont aimés,
sinon comment aurait-elle conservé
ce visage de reine.
Marguerite boit une tisane,
un tortillon de fumée
monte de la tasse.
L’enfant a dix ans,
les cheveux en brosse,
le regard coquin,
il joue en silence
avec son bateau de guerre,
un cadeau de sa grand-mère.
Nous sommes en 1965.
La maison s’appelle
Villa des capucines,
sente de la Folie,
à Vaucresson.
Marguerite a soixante dix ans.
Elle s’éteindra quelques jours plus tard.
Ma grand-mère.
Quand ma mère me l’a annoncé
je jouais avec un petit autocar
dans ma chambre.
J’étais devant le lit
couvert de rouge.
J’ai cessé de jouer, j’ai pleuré,
oh, pas longtemps,
quelques taches sur le couvre-lit,
puis j’ai repris mon jeu,
avec mon petit autocar.

mardi 3 mars 2020


Le cri de la mouette



(Étang de Saint-Cucufa, Rueil-Malmaison, Hauts-de-Seine)

À sa naissance, Marylise a poussé un cri qui a fait trembler les vitres de la maternité de Dunkerque. Apparue quelques secondes plus tard Noémie est née sans un bruit. Marylise et Noémie sont deux sœurs jumelles qui ont peu de choses en commun si ce n’est cet indéfectible amour après neuf mois collées l’une à l’autre.
Enfants, Marylise ne savait que dire non haut et fort, Noémie ne savait que dire oui à mi voix.
Marylise parlait pour deux et prenait les choses en main.
C’est pourtant Noémie qui est partie la première. Elle a dit oui à un polytechnicien en stage au port autonome de Dunkerque. Les années ont passé, monsieur a fait carrière, Noémie a appris les bonnes manières. Ils habitent maintenant une maison bourgeoise en pierre meulière à Marnes-la-Coquette. Noémie s’ennuie un peu, mais elle a un bon mari qui gagne bien sa vie et qui lui a fait des enfants intelligents.
Marylise a épousé un docker de Malo-les-Bains qu’elle mène à la baguette. Elle est chauffeur de bus et cultive sa gouaille à la CGT. Pour rien au monde elle ne quitterait cette côte plate et ventée
où on se sert les coudes quand ça souffle fort.
Les deux sœurs n’ont jamais cessé de s’écrire. Aujourd’hui Noémie a reçu une lettre de Marylise. Celle-ci lui raconte le carnaval qui a lieux ces jours ci, les rigodons où on se presse les uns contre les autres, la bande des chauffeurs qu’elle mêne avec ferveur, et surtout le championnat du monde de cri de mouette. Cette année c’est elle qui a gagné. Championne du monde de cri de mouette! L’année 2020 s’annonce belle. Déjà en 2019 elle fut sacrée championne du monde de décorticage de crevettes grises et d’épluchage de haricots.
Noémie a un pincement au cœur. Il y a si longtemps qu’elle n’a pas été à Dunkerque faire carnaval. Son mari déteste ça. Noémie se rappelle les chansons qu’elle chantait timidement tandis que sa sœur gueulait, les tototes de Charlotte, le cigare d’Édouard, les fesses d’Agnès, les cuisses d’Alice, wiche, wiche, wiche, viens jouer avec mon wiche, qu’est-ce qui darre, c’est Jean Bart…
Ce n’est plus un pincement, mais un serrement, un étranglement qui la saisit.
Il faut qu’elle sorte. Elle enfile son manteau de laine bleu marine et file au bois de Saint-Cucufa marcher à grands pas pour se défaire de ses regrets.
Apaisée, elle s’assoit sur son banc préféré au bord de l’étang. II y a des canards, des mouettes, quelques rares promeneurs avec leur chien.
Noémie regarde les mouettes qui ne semblent pas faire bon ménage avec les canards bien plus sages.
Et soudain elle se met à crier sur son banc, crier comme une mouette, un cri qui résonne dans le sous bois. Moi aussi j’aurais pu être championne se dit-elle!

lundi 2 mars 2020


Tircis, herbes et gouttes d'eau


(Saint-Céré, Lot, 22 février)

Voici un Tircis, papillon très commun en France. Aucun Tircis ne ressemble à un autre Tircis, comme aucune vache ne ressemble à une autre vache, aucun homme à un autre homme.
C’est ainsi que parlait un entomologiste il y a quelques jours à la radio insistant sur l’unicité de chaque insecte. Il disait avec passion et curiosité son amour de ces petites bestioles, leur donnait des prénoms afin de les rendre plus familières et de calmer les peurs irrationnelles qu’en ont certains.

dimanche 1 mars 2020


Miniatures éphémères


(Saint-Céré, Lot, 22 février)

Mr. Magnola