vendredi 31 juillet 2020


Entomophobie


(Analote des Alpes et Lipture tacheté sur Chardon, Montagne de Céüse, Hautes-Alpes, 23 juillet 13h 15)

Quelques amis sur la montagne.
La vue somptueuse, les couleurs et parfums des lavandes sauvages, les sonnailles lointaines,
à chaque pas des sauterelles jaillissent de partout.
L’un de mes amis est accompagné de sa jeune fille et d’une de ses camarades, entomophobe.
Les hurlements des adolescentes strient le silence de la montagne.
Sur chaque fleur, sur chaque brin d’herbe, il y a des trésors, des chefs-d’œuvre d’art contemporain.
Chacune de ses merveilles suscite de cris de dégoût  chez les deux gamines tandis que je ne cherche qu’à partager ma joie.
Même l’évocation de Jiminy Cricket ne peut calmer cette peur irraisonnée.
Au souffle oppressé de la jeune fille je sens bien que ce ne sont pas de simples caprices enfantins.
Alors je me tais face à ces mystères qui me passionnent tout autant, l’insolente beauté de ce que la nature nous offre et les terreurs qu’elle déclenche chez certains.

 
(Épeire feuille de chêne ou Aculepeira Ceropegia, Montagne de Céüse, Hautes-Alpes, 23 juillet, 11h 35)

jeudi 30 juillet 2020


Présences

 

(La Mana, Guyane, 30 mars 2019)

C’est souvent quand la nuit tombe que me vient la nostalgie de la jungle et des grands fleuves.
Sur les bords de la Mana la nuit vient d’un coup à dix huit heures, et la forêt chante.
Hier soir j’ai revu le film de Werner Herzog, Fitzcarraldo, l’histoire de cet homme qui veut construire un opéra en pleine jungle, un héros de l’inutile qui réussit à hisser un bateau à vapeur sur une colline. Un double du cinéaste en quête d’absolu. Werner Herzog qui en 1974 se rendit à pied, en hiver, de Munich à Paris, au chevet de son amie mourante Lotte Eisner, avec la folle certitude qu’il la retrouverait vivante au bout du chemin (Ce voyage est retracé dans le livre Le Chemin des glaces).
Et ce matin j’entends à la radio un billet sur Edgar Maufrais. Ce père qui pendant des années a parcouru la forêt amazonienne à la recherche de son fils disparu, Raymon Maufrais. J’ai déjà parlé sur ce blog des Maufrais dont l’histoire fut l’une des premières que j’entendais en arrivant il y a quelques années en Guyane.
Edgar Maufrais a écrit un livre lui aussi, À la recherche de mon fils, et ce livre est sur le même rayon de ma bibliothèque que celui de Werner Herzog, Le chemin des glaces.
Ces hommes et leurs histoires hantent mes rêves. Quand le doute me mine sur un chemin dont le but m’échappe, je sens leurs présences qui lentement revitalisent la marche.

mercredi 29 juillet 2020



Saint-Cucufa


(Étang de Saint-Cucufa, 16h 45)

J’aime bien venir là
c’est un petit étang près de chez moi
j’aime bien venir là
même si je n’y trouve que deux canards qui me montrent leur cul
j’aime bien venir là
juste pour dire
je vais à Saint-Cucufa
j’aime bien dire ce nom
Saint-Cucufa
le répéter
comme les enfants répètent les gros mots
Saint-Cucufa

mardi 28 juillet 2020



Une journée de peu de choses


(Vaucresson, 16h 30)

C’est une journée de peu de choses
à la maison entre deux voyages
l’éclat de l’érable
le doux balancement du hamac
le soleil sur la nuque de Sophie
une journée aux ors de l’été

lundi 27 juillet 2020


La Mante Religieuse


(Travaillan, 20 juillet, 17h 45)

Un rideau séparait le lit de Justine de celui de ses parents dans la pièce du haut.
Le vieux dormait en bas, dans un appentis accolé à l’étable.
Chaque nuit, une fois les lumières éteintes, il y avait d’abord un grand silence, puis petit à petit montaient les ronflements du vieux. Justine gardaient les yeux grands ouverts, terrorisée à l’idée de s’abandonner à la nuit. Quand le souffle du vieux avait trouvé son rythme, venaient alors  de derrière le rideau des chuchotements, des râles, des cris étouffés. Chaque nuit. Justine ne s’endormait que lorsque ses yeux épuisés ne lui obéissaient plus.
Une nuit elle avait entendu son père dire d’une voix tordue: Tu es une mante…
Elle n’avait pas bien compris, pensant qu’il s’agissait d’une histoire de mensonge, de ces menteries qui sonnaient la dispute entre le vieux et la vieille qui avait perdu la tête avant de disparaître, et maintenant aussi de plus en plus souvent entre ses parents.
Il y avait au centre de la cour un platane à l’ombre duquel le vieux posait sa chaise. Justine aimait rester là avec le vieux. Le bruissement des feuilles, les lignes arrondies des dessins sur l’écorce dans lesquels elle devinait des personnages ou des animaux, tout cela effaçait la fébrilité de ses nuits. Et puis le vieux se sentait bien sous cet arbre, et elle aimait bien quand le vieux se sentait bien, il avait tant de choses à raconter.
Elle vit un jour sur le tronc un insecte long et vert aux pattes charnues. Le vieux l’avait vu lui aussi. Une jeune Mante religieuse. le vieux raconta tout ce qu’il savait sur cet insecte qui peut faire pivoter sa tête à 180°, qui peut manger des proies aussi grosses qu’elle,  celle qu’on appelle le Tigre de l’herbe ou le Cheval du diable. Il raconta aussi comment après l’accouplement elle dévore son mâle. Justine frissonnait en écoutant son grand père. À un moment, il détourna la tête et murmura  comme pour lui même en regardant la maison: La vieille, elle aussi elle a bien failli me bouffer tout cru, putain de vieille, elle était si douce avant de partir en vrille…
Aucun mot n’avait échappé à Justine.
Une Mante! c’était donc ça…
La petite Justine se demandait si un jour sa mère dévorerait son père, et comment…

samedi 25 juillet 2020


Miniatures éphémères   

 

(Peyre, Fabas, Ariège, 19 juillet, 18h45)

Pour toujours

Distances

 

(Frasnay-Reugny, Nièvre, 18h 10)

Nés du même bois, abreuvés aux mêmes sources
trois arbres et un bosquet 
mystérieuses distances qui régissent certaines fratries

vendredi 24 juillet 2020



Un grand paillasson


(Frasnay-Reugny, Nièvre, 20h)

Si bien sur la route. Nous continuons notre tour de France des amis, oncles, tantes, cousins. Comme une urgence de se retrouver quand rôde la menace. Ce soir nous sommes chez Danielle et Claude, et leurs enfants Marie et François. Claude s’en est allé il y a quelques semaines, c’était un formidable comédien, comme son épouse Danielle. Une famille qui consacra sa vie au théâtre avec une joie sans retenue. Les enfants y goûtèrent, Marie fut scénographe avant de changer de profession, François s’essaya au métier de comédien avant de devenir libraire.
Sur le pas de la porte, devant ces douces pentes d’herbe rase et jaune, immédiatement je revois le décor de « On a marché sur la Terre » spectacle crée avec F. Cervantes. Un immense paillasson, pentu en fond de scène, sur lequel, encadrés de quatre musiciens nous jouions cœurs à nu.
Nous avons crée ce spectacle en 1992, à Avignon, dans un lieu que nous avions nous même entièrement aménagé, et que nous partagions avec Claude qui jouait un spectacle avec Philippe Avron et Marianne Sergent  (les éternels complices Avron et Évrard se retrouvait sur scène).
À cette occasion, sur ce paillasson, Danielle avait présenté une formidable lecture du texte d’Annie Ernaux, La Place, Marie avait présenté son tout premier travail de scénographe, et François avait joué une adaptation d’Amok de Stefan Zweig. 
Une famille de théâtre sur un grand paillasson. Le paillasson se couvrait de fleurs rouges alors qu’en hauts talons je courais en riant aux éclats. J’étais là avec une troupe qui était aussi une famille, une famille choisie.
Ce soir François et Marie ébauchent tout un tas de projets autour de cette maison qui nous accueille, ils sont comme deux gamins qui jouent aux cubes, Roger le compagnon de François, veille avec une extraordinaire attention, Danielle s’étouffe un peu après avoir trempé son doigt dans la crème fraiche, la tarte aux mirabelles est délicieuse, Sophie est heureuse avec sa famille, 
et j’ai une furieuse envie de dévaler ce paillasson avec eux, avec eux et tous ceux que nous retrouvons ces derniers temps,  en riant aux éclats.

jeudi 23 juillet 2020


Point de suspension


(Sur la montagne de Céüse, Hautes-Alpes, 12h 25)

Nous sommes de vieux amis qui grimpons sous le soleil de midi,
nous soufflons un peu, sans vouloir le montrer,
heureux de nous retrouver, le passé défile sur le sentier,
l’histoire est loin d’être finie,
C’est ce que disent les nuages en points de suspension. 

mercredi 22 juillet 2020




(Travaillan, 20 juillet, 17h 20)

L'ombre de Jean Dubuffet sur l'écorce du platane


mardi 21 juillet 2020

L'histoire de Miguel

 

(Merigon, Ariège, 9h)

Un ciel pur, un village désert, trois hirondelles autour du clocher et quelques notes d’harmonica.
Je m’attendais à voir là haut apparaître un mexicain vêtu de blanc son fusil pointé vers le gringo.
Il y avait trois maisons aux portes d’entrée munies de rideaux anti mouches. Je me sentais observé derrière les lanières colorées. Un homme est sorti, lentement, écartant de sa canne les lamelles de plastique. Il s’est approché, il  m’a dévisagé puis, après un long silence, il m’a parlé.

-  Vous connaissez l’histoire de Miguel?
    L’avait marié la Toinette de Joseph. Un bon gars, un peu cossard, mais un bon gars.
    L’a pris une balle à Bab el Oued. Dans le dos. C’est c’qu’on dit. L’est rev’nu en chaise roulante.
    L’avait les jambes au mitard, mais l’avait la pension. 
    L’avait les jambes au mitard mais  l’braquemart en état. 
    Avec la Toinette, ils ont fait deux mioches, Marylin et Gédéon.
    Gédéon, il a fait la fanfare aux armées, l’avait l’ouïe fine pour la trompette.
    L’a marié la Josette de Bernard. Ils ont eu un p’tit. Miguel, comme son grand-père.
    L’est né à onze heures du soir en juillet. Y’avait qu’une moitié d’lune.
    L’Gédéon il a sonné la trompette.
    Et l’vieux Miguel l’était tellement fier qu’on l’a vu s’lever de sa chaise, marcher jusqu’à l’église, 
    monter par les toits jusqu’aux cloches et sonner le tocsin comme un fada.
    L’a réveillé les trois maisons. Tout l’monde l’a vu là-haut sous la d’mi lune.
    L’est r’descendu comme un chat.
    Pis y s’est r’mis sur son roulant et on l’a plus jamais r’vu droit sur ses cannes.

Je l’écoutais tout en regardant le clocher.

 -  Cherchez pas, y a pas d’escalier pour grimper là haut. C’est comme ça.

L’homme est rentré chez lui, plus vivement qu’il en était sorti. Il y a eu le froissement des lames de plastique, puis une voix aiguë.

-   Qu’est ce que c’était?

Et l’homme à nouveau:

-  Rien, un vacancier….

lundi 20 juillet 2020


Voir loin


( Le Pic du Midi vu de Peyre, Fabas, Ariège, 19 juillet, 20h)

Voir loin, voir bouger les montagnes. Il leur fallait un paysage, une colline avec un paysage, éventuellement une maison sur la colline.
Plusieurs fois ils étaient passés sur ce chemin au dessus de Fabas. La vue sur les Pyrénées  y est grandiose, du Pic du midi à l’ouest jusqu’aux limites de l’Ariège à l’est, avec au centre le Mont Valier.
Ils avaient vu la maison sur la colline. Une chanteuse occitane y habitait. Rosina. Alors qu’un jour ils passaient devant la maison, Philippe croisa le regard de Rosina. Un regard qui voit loin, en dedans. Philippe s’en souvient encore.
Quelques mois plus tard, Philippe et Véronique repassaient par là. Une pancarte « À vendre » venait d'être accrochée devant la maison sur un arbre au bord du chemin.
Rosina, âgée et malade, s’en été allée et ses filles vendaient la maison.
Ils n’hésitèrent pas un instant. Le souvenir du regard de Rosina, le paysage, des sentiers qu’avait aimés le père de Véronique, un pays qui était là en eux depuis longtemps, c’était leur colline, comme cela avait été la colline de Rosina. La fille chargée de la vente sentit aussi cette évidence, c’est à eux et à personne d’autre qu’elle céderait la maison.
Philippe dit qu’il pourrait rester là immobile pendant des heures. Il n’y a pas de clôtures. On voit loin, très loin. Quand il dit ça son œil brille.
Peut-être, lorsqu’il sera très vieux, immobile devant sa maison au bord du chemin, croisera-t-il un jour le regard d’un marcheur qui cherche sa colline.

samedi 18 juillet 2020


Miniatures éphémères


(Vaucresson, 28 juin, 19h 20)

Les aventures d’Alice au pays des merveilles

Ce monde là


(Hendaye, 22h 05)

Samedi soir. C’est une belle soirée. Ciel clair, mer calme.
Beaucoup de monde et d’insouciance sur la jetée.
Deux amoureux ont posé leur portable contre un pied métallique et font un selfie, face à face, front contre front, les lèvres se frôlant, à contre jour sur fond de soleil couchant.
Ils n’ont pas vu ce qu’il y a dans le ciel, ils ne le verront qu’en regardant la photo.
Un immense cerf-volant en forme de poulpe noir, qui ne restera que quelques secondes dans les airs.
Une femme assise sur le muret qui sépare la promenade de la plage regarde les amoureux. Soudain elle aperçoit le poulpe. Surprise elle met la main devant sa bouche, les yeux écarquillés.
Puis elle sort de sa poche un masque de tissu bleu qu’elle pose prestement sur son visage.

vendredi 17 juillet 2020


Un ciel de traîne


(Bidart, 20h 50)

Un ciel de traîne et quelques surfeurs en garçons d’honneur

jeudi 16 juillet 2020


Une brouette avec un vieil homme dedans


(Hendaye, 14 juillet, 20h 40)

Des dizaines d’oiseaux nichaient dans un haut palmier.
Ils allaient, chantant, du palmier aux herbes, des herbes au palmier.
C’est au bout de la jetée, au bout de la plage où les herbes folles ont recouvert le sable de vert et de jaune, au bout, où il n’y a plus grand monde passé une certaine heure.
Je regardais les oiseaux, seul en mon jardin, lorsque je vis un jeune homme pousser une brouette avec un vieil homme dedans.
S’agissait-il d’un jeu ou d’un incommensurable chantier?

mercredi 15 juillet 2020



L'heure du dessert


(Hendaye, 21h)


C’est l’heure de la gaufre, du beignet, de la glace, l’heure du dessert.
On a mis une petite laine pour la fraicheur du soir, on va marcher sur la jetée comme tous les vacanciers.
Il y a le marchand de gaufres, le marchand de glaces, le marchand de churros, il y en a pour tous les goûts.
Les jeunes sont avec les jeunes, les vieux sont avec les vieux, les enfants sont avec leurs parents.
Il y a les solitaires, celui au pas irrégulier, qui observe, qui guette, l’autre qui va vite, tête baissée, définitivement seul au monde.
La plage est rangée. Elle sera ratissée au petit matin par un gros tracteur. Elle garde les traces de pas pour la nuit.
On marche, on papote, on se retrouve - Ah, bonjour, vous êtes arrivés, tout le monde va bien?-
On s’inquiète un peu plus que les autres années mais pas trop. Il ne faudrait pas gâcher les vacances.
On ne peut pas dire que l’on tienne ses distances, quelques uns portent des masques, très peu, ce serait presque un été comme un autre.
Il y aussi ceux qui promène le chien. C’est étrange comme souvent les chiens ressemblent à leur maître.
Il y a ceux qui restent assis sur les bancs, qui regardent passer les autres.
Il y a des gros, des maigres, des bronzés, des rouges pivoine, de nouveaux arrivants à la peau trop blanche, des petits, des grands, beaucoup de tatouages sur les bras.
Les jeunes filles ont mis leurs tenue de conquête. Elles vont souvent par deux.
Il y a quelques play-boys plus très frais qui n’intéressent plus personne si ce n’est le poète anthropologue.
Tout ce monde a plaisir à être là sans avoir rien d’autre à faire que de regarder se coucher le soleil.
Et pourtant c’est inimaginable tout ce qui se joue dans ces quelques heures entre chien et loup sur la jetée.
Enjeux amoureux, enjeux familiaux, enjeux existentiels, allons y, faites vos jeux!
C’est l’heure des photos, des selfies, seul, à deux ou plus. On prend la pause dans la lumière du couchant.
Même le plus sauvage a plaisir à venir là, à condition qu’il n’y ait pas une foule compact.
Juste être là avec ses semblables, inconnus, tous aussi différents les uns que les autres.
Ce soir j’ai mangé une gaufre à la cannelle, elle était délicieuse, j’étais d’humeur joyeuse.
Une femme d’un certain âge photographiait avec son téléphone un jeune homme immense, les mains sur les épaules de deux jeunes filles qui lui arrivaient à peine à la poitrine. Je lui ai dit: « Il ne rentrera jamais dans le cadre, votre appareil est trop petit! » Elle m’a répondu, heureuse et extraordinairement fière:  « C’est mon petit fils! »

mardi 14 juillet 2020


Tourner en rond


(Hendaye, 21h 55)

La mer, le ciel, un homme seul qui marche sur l’eau…
J’ai parfois l’impression de faire sans cesse les mêmes photos, de raconter les mêmes histoires.
Je tourne en rond comme  Dupond et Dupont perdus dans le désert dans Tintin au pays de l’or noir. Je repasse sur mes propres traces, je fais des ronds, je creuse la piste.
J’arriverais bien quelque part, même si ce n’est qu’un mirage.

lundi 13 juillet 2020


Pastel


(Hendaye, 22h)

La vie est fragile comme une fleur cueillie que l’on tient du bout des doigts

dimanche 12 juillet 2020


Miniatures éphémères


(Vaucresson, 7 juillet, 10h 10)

Cache-cache

samedi 11 juillet 2020


Un beau métier


(Hendaye, 21h 50)

Un enfant crie, il veut faire encore un tour, il ne veut pas aller dormir.
Quand j’étais petit, il y avait un manège plus grand, au rond-point du palmier, à l’écart de la mer.
Ma grand mère nous y conduisait. Le forain faisait monter et descendre un gros pompon jaune pendant que nous tournions. L’attraper donnait droit à un tour supplémentaire.
Voilà un métier que j’aurais pu faire. Faire tourner un manège. Attendre, regarder passer les gens, écouter les cris des enfants, regarder encore, les amoureux, les mélancoliques, celui qui mange une glace, et la glace qui coule sur sa chemise, les grands parents qui cèdent à tous les caprices de leurs petits enfants, les parents qui disent aux grands parents de ne pas s’en mêler, la tendresse des regards, les inquiets, les impatients, les sans soucis, avoir le pouvoir d’offrir un tour au gamin chagrin, haranguer les passants, raconter des histoires aux enfants… Et puis, bichonner le cheval de bois, repeindre son regard, faire briller la moto, trouver le rouge le plus rouge pour la voiture de pompier, soigner la mécanique, changer les ampoules, choisir la musique… Un beau métier, sans prétention.
Somme toute pas si différent de ce que je fais depuis si longtemps.

vendredi 10 juillet 2020


Le verre à moitié plein ou à moitié vide


(Hendaye, 21h 40)

Cette après-midi, sur la route, la radio à fond, fenêtre ouverte, Creedence Clearwater  Revival, Suzy Q.
Puis  Remède à la Mélancolie sur France-inter, la voix à tomber par terre d’Eva Bester.
Je remonte la vitre, ne pas laisser la voix s’envoler.
Après avoir posé à son invitée l’éternelle question du verre à moitié plein ou à moitié vide,  elle conclut son émission ainsi: Chers auditeurs, si votre verre est vide, pleurez dedans!
Sa voix est un sourire.
Oh, Suzy Q, Baby,  I love you
Suzie Q I like the way you walk
I like the way you talk
….

Et la photo me direz vous? Rien à voir, si ce n’est que je viens d’arriver à Hendaye, et que je remplis souvent de ciels mon verre vide.

jeudi 9 juillet 2020


La page blanche


(La Ferté-Vidame, Eure-et-Loir, 31 mai, 17h 35)

La page blanche.
S’assoir sur un banc, attendre l’inspiration.
À l’ombre.
Nul signe.
Le stylo couvre la feuille de fines hachures bleues.
Un geste mécanique.
Jusqu’à la nuit.
Il ne reste alors qu’une minuscule pastille de papier blanc.

mercredi 8 juillet 2020


Les vieux démons


(Vaucresson, 27 mai, 16h 30)

Je flâne, je glane, un visage, une phrase, un paysage, une pierre, un ciel, un coquillage, un morceau de bois. Je les range dans des boites, des carnets, des tiroirs, dans l’ordinateur quand il n’y a qu’une image. Un jour, je les assemble, parfois longtemps après les avoir cueillis. Ça devient une histoire.
« Si un jour tu vois qu’une pierre te sourit, iras-tu le dire? » Eugène Guillevic.
Quand je ramasse une pierre, c’est parce qu’elle me parle, à voix basse, parfois à peine audible.
Il arrive que je comprenne des années plus tard ce qu’elle me dit. Parfois elle commence une histoire qui ne pourra se poursuivre qu’en présence d’une autre pierre, d’un bois flotté, d’un bout de métal ou de plastique.
Il en va de même pour les phrases et les idées. J’ai des collections de débuts d’histoires.
Je ne sais plus où j’ai ramassé cette pierre en forme d’ours. Je l’avais posé sur un banc de bois au fond du jardin, elle s’est habillée de mousse au fil du temps.
Le soldat rose est plus récent. C’était sur une plage il me semble, les plages recèlent des trésors.
La seule chose dont je suis sûr c’est qu’il était couché dans le sable. Un soldat rose étendu dans le désert pendant une guerre oubliée.
Le 27 mai, après un mois et demi de confinement, je faisais se rencontrer ces deux objets.
Sans doute ce jour là de vieux démons rôdaient.

mardi 7 juillet 2020


L'enfant sur la balançoire


(Garches, Hauts-de-Seine, 5 juillet, 18h 40)

La balançoire grinçait. Une balançoire trop petite pour l’enfant penché en arrière.
Un grincement rythmé, entêtant. C’est ce grincement qui m’a fait revenir sur mes pas. J’étais passé sans prêter attention à ce terrain de jeu. J’ai fait une photo, une seule, avec mon I.phone, une photo volée. L’enfant m’a regardé puis il a rejeté la tête en arrière en se balançant plus vivement. Son attitude, sa solitude, m’ont pincé le cœur.
L’enfant porte des bottes en caoutchouc alors qu’il n’est tombé que quelques misérables gouttes de pluie.
Je n’inventerais pas encore l’histoire d’un enfant solitaire.
Il y en a tant qui guettent la pluie pour étrenner leur bottes toutes neuves dans les flaques.
D’autres n’ont que ça à se mettre aux pieds, été comme hiver.
L’enfant porte sa casquette haute sur le front.
Casquette, bob, bonnet, capuche, feutre ou tête nue, il y a la coiffe qu’on nous impose, pour nous protéger, puis celle qu’on choisira une fois devenu grand pour affirmer son identité.
L’enfant est seul, au centre de l’image. C’est sa place.
il y en a tant qui sont une fois partis en courant, la gorge nouée, pour s’isoler, maugréant contre une injustice absolue.
D’autres, à l’écart, sur une balançoire ou sur un arbre, devenaient les rois d’un monde connu que d’eux seuls.
Parfois le même maugréait quelques instants puis devenait en un clin d’œil un bienheureux souverain en son pays.
Il faut une vie pour trouver sa place, et encore….
Parfois on la trouve un bref instant, sans l’avoir cherchée. On est parfaitement bien là où on est. Il y a une évidence, rien d’autre.
Je ne suis pas sûr que nous ayons chacun une place définie, en tout cas surement pas définie par le bon vouloir d’autres. Sans-doute le mot ne convient-il pas. Ne faudrait pas plutôt parler de position à un moment donné, ce qui alors tiendrait compte de l’inter-action de toutes choses?
J’ignore tout de cet enfant si ce n’est qu’il est là.

lundi 6 juillet 2020


Retrouvailles


(Arboretum de Chèvreloup, Rocquencourt, Yvelines, 4 juillet, 16h 30)

- Vous êtes chez Audica?
- Non, chez Amplifon!
- Et vous?
- Hein?

Ce sont leurs premiers mots. Ils ne se sont pas vus depuis longtemps. Ils sont heureux de se retrouver, un peu plus bancals, un peu plus sourds, un peu plus miros, mais toujours là.

- Vous dites le covid ou la covid?
- Il parait qu’on dit la, mais je dis le, parce qu’il a passé Michel au rouleau compresseur.
- Et vous?
- Hein?

Le temps est menaçant, mais ils sont sortis quand-même. Le parc vient de réouvrir. C’est vraiment un bel endroit pour se promener. On marche jusqu’à l’étang, on s’assoit sur un tronc couché, on parle un peu, on regarde, on n’a rien d’autre à faire.

- Vous avez vu le héron?
- Non, sans doute s’ennuyait-il de ne plus nous voir, pendant tout ce temps. Il a du se trouver un autre   étang.
- Et vous, l’avez vous vu?
- Qui?
- Le héron.
- Non mais je l’ai entendu!

dimanche 5 juillet 2020


Miniatures éphémères


(Travaillan, Vaucluse, 17 juin, 15h 25)

Rêve ou cauchemar?

samedi 4 juillet 2020


Les avions


(Au dessus de Rocquencourt, Yvelines, 16h)

Il n’ y avait plus d’avions dans le ciel.
Il n’y avait plus les traces blanches qui font rêver les enfants.
Aucun bruit là haut, le ciel aux oiseaux, rien qu’aux oiseaux.
Les avions reviennent, discrètement. Les plus petits d’abord.
À quoi pensait Charles Lindberg seul au dessus de l’Atlantique
avant de pénétrer dans les épais nuages noirs?

vendredi 3 juillet 2020


Inconstant


(Mylabre inconstant ou Mylabris variabilis, Travaillan, Vaucluse, 13 juin, 16h 20)

Ce n’était pas encore l’été, les cigales dormaient, pourtant il avait fait si chaud que les herbes étaient déjà sèches et piquantes.
Il avait pris une épaisse couverture. Il savait la peau délicate de sa maitresse peu habituée aux fantaisies champêtres. Il savait aussi son attrait pour les nouveaux paysages amoureux.
il l’avait emmenée au fond d’une  friche encadrée de cyprès, à l’abri des regards.
Au delà des hauts arbres inclinés par le vent s’étendait un champ de lavande. Ce bleu tendre à travers le feuillage, le mélange des parfums, le frémissements des herbes jaunes, tout cela était parfait pour une après-midi romantique.
Ce n’était pas une simple passade. Il était amoureux. Comme chaque fois. Un cœur d’artichaut.
Après avoir dégagé un espace suffisant, il avait étendu la couverture. Ils s’étaient couchés l’un contre l’autre, invisibles dans les herbes hautes. Elle pouffait, sursautait au moindre bruit. Il la rassurait: ne crains rien, nous sommes seuls, personne ne vient par ici, seuls les amants affamés.
Il s’étaient longtemps embrassés, les mains glissaient entre la peau et le léger coton des habits d’été.
Un instant, entre deux soupirs, il releva la tête. Il se trouva nez à nez avec un insecte qui le regardait fixement accroché à une brindille. Seuls, avait-il dit. Il n’en était plus très sûr.
Il connaissait bien ce coléoptère aux élytres orangés avec des bandes noires. Le Mylabre inconstant. C’est ce nom qui lui avait plu lors de ses études entomologiques. le Mylabre inconstant. Inconstant.
L’insecte le regardait et le mot se vrillait dans sa tête. Inconstant.

jeudi 2 juillet 2020


L'usine


(Travaillan, Vaucluse, 17 juin, 15h 12)

C’est un môme, douze ans à peine.
Couché dans les herbes sèches, armé d’une carabine à air comprimé, il vise le mur de tôle.
Chaque tir, le plomb s’écrase sur le métal, un bruit sec, gris sur gris.
Le gosse ne se préoccupe pas des insectes qui courent sur ses jambes et ses bras.
Il en veut à ce géant de fer couché le long du champ du vieux. Bien trop près.
Il ne dormait pas hier soir quand le patron de l’usine est venu voir le vieux avec deux bouteilles de vin, des documents et un stylo.
Il a tout vu, tout entendu. Le vieux a signé. Il n’a plus toute sa tête, ça, le môme, il s’en est rendu compte.
Le vieux a signé pour laisser passer les camions sur son terrain de jeu, le vieux a signé pour couper son arbre à cabane, le vieux a signé pour du bitume et du métal au lieux des herbes et des fleurs.
Il en veut au vieux. Il ne lui parlera plus. Ce sera difficile, mais c’est comme ça. C’est le vieux qui lui a appris à être un dur, c’est le vieux qui lui offert la carabine. Si seulement il lui avait demandé son avis.
C’est trop con!
Le môme serre les dents, retient ses larmes et tire sur la tôle grise jusqu’à ce qu’il ne reste plus un plomb dans la boite.

mercredi 1 juillet 2020


Le parfum des genêts


(Balloy, Seine-et-Marne, 29 mai, 19h 30)

Si peu de choses à raconter ce soir.
Je butine dans les souvenirs.
Quand mon père a construit sa maison à Hendaye, on a trouvé une vertèbre de baleine dans le sable. Elle fut un temps ma table de chevet sur laquelle était posé le livre de Herman Melville, Moby Dick.
Je me souviens avoir  marché avec une canne de bambou ouvragée, coiffé d’un haut de forme, vêtu d’un kimono, après m’être foulé la cheville.
Achab.
Plus tard je fus Achab le temps d’un film.
Cet après-midi j’ai entendu une interview de l’artiste Abraham Pointcheval, l’homme qui a habité dans un rocher, dans un ours, dans une bouteille, l’homme qui a marché sur les nuages.
Émerveillé, comme devant la vertèbre du cétacé ou la pelote de déjection d’un hibou.
Jonas. Dans le ventre de la baleine.
Le parfum des genêts sur le sentier des douaniers. Les trainières qui filent vers le large, les chants rythmés des barreurs.
Dans le souvenir il y a le devenir.
Un jet de baguettes chinoises dans un rayon de soleil.
La vue baisse mais le regard s’élargit.
Habiter au large en dedans de soi.
Bras ouverts.