samedi 31 octobre 2020

 

Le tas

(Vaucresson, 11h 05)

Je regarderai tomber les feuilles.

Je les ramasserai une à une.

Au premier décembre il y aura un grand tas.

Si à la veille de l’hiver nous sommes encore consignés, 

je me glisserai dans le tas.

J’hibernerai, je me composterai.

vendredi 30 octobre 2020

 

Le théâtre et l'amour

(Le Tréport, Seine-Maritime, 30 septembre, 17h 30)

J’ai croisé son regard la première fois dans un théâtre. Là où les portes sont grandes ouvertes, où le ciel et la mer se mêlent, où les vivants et les morts s’entretiennent, où la pensée s’envole, se creuse, se sculpte, se colore, là où le temps n’est jamais un obstacle que l’on avance ou recule, là où paraissent instantanément des amis, là où parlent les bêtes, les arbres et les rivières, où la nuit et le jour se lèvent sur un mot.

C’est un regard d’une infinie tendresse, dénué de tout jugement, d’un bleu bienveillant, un regard qui apaise les démons et bonifie la mauvaise terre.

Je la suis sous ce sombre porche aux noirs d’octobre et j’ai la conviction que nous pourrions aller droit devant, sur l’air et sur l’eau, au-delà des tempêtes.

jeudi 29 octobre 2020


"Le jeune homme que j'ai été... "

(Llo, Pyrénées-Orientales, 21 mai 2017)


L’auteur italien Erri de Luca dans une interview à Libération:

« Le jeune homme que j’ai été pourrait se reconnaitre dans l’ancien que je suis et pourrait accepter de lui serrer la main. Cela regarde l’intimité avec soi-même. Je suis le prolongement de ce jeune homme et je ne renie pas les raisons qui l’ont poussé à s’engager. Ce jeune homme a continué à écrire et aujourd’hui je ramasse tous les âges que j’ai eus pour les enfiler sur un fil à linge et les faire sécher. »

mercredi 28 octobre 2020

 

Un rendez-vous

(Tulle, Corrèze, 16h40)

Elle a le cœur comme une maison vide et les pensées de travers.

À nouveau on lui a dit de ne plus sortir. 

Un enfant va naître, loin d’elle. Une longue lignée.

Hé bien, elle restera dehors, étendue sous les fleurs d’automne.

Elle regardera tinter les gouttes jusqu’à ce que le froid la saisisse.

Il y a un instant, un tout petit instant, aux premières douleurs avant la naissance,

où l’âme qui s’échappe rencontre celle à venir.

Elle ne ratera pas ce rendez-vous.

mardi 27 octobre 2020

 

Razac-de-Saussignac

(Razac-de-Saussignac, Dordogne, 17h 40)

Razac-de-Saussignac.

Je me suis arrêté là à cause du nom,

Razac-de-Saussignac.

Trois dindons dans une basse-cour m’ont regardé de travers,

l’air de dire: profites en mon vieux, tu vas être reconfiné.

J’ai goûté la pluie fine qui collait à la peau,

humé les feuilles mortes et la terre grasse.

J’ai marché dans l’herbe humide, j’ai regardé les gouttes d’eau au bout des feuilles,

j’ai pissé contre un vieux mur en regardant la vigne vierge écarlate.

Toutes ces petites choses de rien que j’ai déjà écrites mille fois,

et que je continuerai à écrire parce que chaque  fois l’herbe n’est pas tout à fait la même

et la pluie n’a pas le même goût.

À Razac-de-Saussignac la pluie a le goût d’un secret  caché derrière des murs aveugles.

lundi 26 octobre 2020

 

Octobre 2020

(Hendaye, 12h 50)

Octobre 2020

Ciel de plomb

La mer brasse la colère

dimanche 25 octobre 2020


Miniatures éphémères

(Mazères-sur-Salat, Haute-Garonne, 16 octobre, 16h 30)

Un peu de piment… 

samedi 24 octobre 2020

 

Messieurs Pince, Faupoint et Peuponé

(Forêt de Rambouillet, Yvelines, 4 octobre, 16h 15)


Messieurs Pince, Faupoint et Peuponé sont trois célèbres médecins.

Ils ont étudié ensembles, ils ont chahuté ensembles.

Ils sont resté de très bons amis.

Ils sont devenus d’éminents spécialistes consultés pour leurs avis d’éminents spécialistes.

La télévision les a réclamés.

Ils ont dit tout et son contraire.

La nouvelle maladie est insaisissable.

Messieurs Pince, Faupoint et Peuponé ne sont plus très sûr.

Trois célèbres médecins plus sûr de rien.

Ils se sont retrouvés, ils n’avaient plus trop envie de chahuter.

Ils ont dit: Il faut repartir à zéro.

Ils sont partis dans la forêt, la grande forêt.

Messieurs Pince, Faupoint et Peuponé se sont arrêtés au bord d’un ruisseau.

Ils ont desserré leurs cravates, ils ont ôté leurs chaussures.

Ils sont accroupis.

Ils agitent l’eau avec leurs mains, creusent le sable au fond du ruisseau.

Ils réfléchissent.

vendredi 23 octobre 2020

 

"Un labyrinthe de frayeurs et de songes rugueux"

(Halle Saint-Pierre, Paris 18 ième, 13 février)

Cette photo a été prise lors de l’exposition: Le monde selon Roger Ballen. Dans un recoin deux œuvres de l’artiste se faisaient face, l’une se reflétant sur le verre du cadre de l’autre.

En lisant ce soir le dernier billet du blog de Kwarkito - « …. Et l’on avance incertain dans un labyrinthe de frayeurs et de songes rugueux. »- je me suis immédiatement souvenu de cette photo.

Ce n’est pas la première fois qu’une publication vient en écho à une autre. Chaque fois c’est un joyeux rebond, même si la noirceur en est le sujet.

Chaque jour une chose pour s'enrager, une autre pour s’émerveiller.


(Le monde selon Roger Ballen, Exposition jusqu’au 3 janvier 2021 à la Halle Saint-Pierre.

Blog de Kwarkito: kwarkito.blogspot.com)

jeudi 22 octobre 2020

 

Rendez-vous amoureux


(Hendaye, 21 octobre, 19h 10)


Attendre

l’esprit s’est libéré de tout

seul le regard scrute l’océan

espère celle qui va venir

mercredi 21 octobre 2020

 

Trois oiseaux et un bateau

(Hendaye, 19h 20)

C’est souvent au crépuscule que le pêcheur prend la mer.

Joachim a regardé son père partir puis il a pris ses crayons de couleurs.

Il  lui a fait un dessin, pour son retour, comme chaque fois.

Il a dessiné trois oiseaux et un bateau.

Il n’a pas dessiné les nuages noirs au dessus du chalutier.

mardi 20 octobre 2020

 

La tête haute

(Arborétum de Chèvreloup, Rocquencourt, Yvelines, 9 octobre, 16h)

L’élégance  des grands arbres l’incitait à garder la tête haute et à chasser toute insulte de son vocabulaire.

lundi 19 octobre 2020

 

L'usine à nuages

(Sur l’A 10 entre Blois et Orléans, du Loir-et-Cher au Loiret, 18 octobre, 17h 15)

Une photo prise à la va vite à travers le pare-brise sale.

Comme une trace de scotch, en plein milieu, où fume une centrale nucléaire.

Un nuage-tête de monstre gueule ouverte.

Je me souviens de mon fils petit: Regarde une machine à nuages!

Puis: Là haut, des monstres de Pog!

Il collectionnait des Pogs, ces petites cartes rondes publicitaires sur lesquelles étaient parfois dessinées d’inquiétantes figures.

Je ne me souviens plus s’il a d’abord parlé de fabrique de nuages puis de monstres, ou l’inverse…

dimanche 18 octobre 2020

 

Miniatures éphémères

(Forêt de Rambouillet, Yvelines, 4 octobre, 16h 10)

Amanite animée

ou

Jeux interdits




samedi 17 octobre 2020

 

Bas les masques


(Sur L’A 64 entre Saint-Gaudens et  Tarbes, de la Haute-Garonne aux Hautes-Pyrénées, 9h 40)


Sur la route

grand soleil

le pic du midi pointé vers l’au-delà

ouvrir le visage au ciel

bas les masques!

vendredi 16 octobre 2020

 

Retour à l'Usine Théâtre

(Mazères-sur-Salat, Haute-Garonne, 13h 35)

Nous voici de retour à L’Usine Théâtre avec Le Pas de la Tortue, trois ans après la naissance de ce spectacle entre ces murs chargés d’histoires.

Au pied de la cheminée, là où il n’y avait que des graviers un potager a poussé. Mi octobre, il y a de lourdes tomates, quelques aubergines, poivrons et piments. 

Je trouve des ressemblances entre ces légumes et les silhouettes de mes personnages.

Poussées anarchiques, quelques couleurs insolentes dans la grisaille d’automne, les graines ont germé, mes personnages ont pris la route.

Ce soir ils seront là, chez Henry et Délia. Nous partagerons des fruits qu’aucun couvre-feu ne saurait interdire 




jeudi 15 octobre 2020

 

Le vieux chien

(Mazères-sur-Salat, Haute-Garonne, 18h 10)

Le vieux chien.

Il traine sa carcasse le long du Salat qui coule à plein.

Des jours qu’il a le poil humide.

Il cherche sa pitance sous la tôle.

Il sait qu’il va trouver, c’est comme ça.

Chaque fois que le ventre se creuse un peu trop, il trouve.

C’est un vieux chien patient.

Là est le prix de sa liberté.

mercredi 14 octobre 2020

 

Un tableau pour rentrer dedans à vingt et une heures

( Sur L’A 20 entre Cahors et Montauban, entre Lot et  Tarn-et-Garonne, 17h)

Tailler la route à nouveau

mes personnages dans les poches

sept mois que j’ai pas chanté

à neuf ça ferait un bébé

j’ai passé l’aire de la Combe du Tréboulou

je file vers le Bois de Dourre

y a un gars tout seul dans un champ à côté de sa caisse portières ouvertes

je le mets dans la poche

le gars qui attend en lousdé pour une affaire pas très nette

un trafic de faux tableaux

c’est un as du pinceau qui te fait basculer le paysage

si t’as le cafard quand on t’a dit que t’avais pas le droit

je file au sud du sud avant la nuit

raconter mes histoires à Mazères et à Pau

là-bas y a pas de couvre-feu

voilà un mot moche, un mot sale

qui débarque en plein spectacle

un mot au parfum d’ornières sanglantes

j’aurais préféré couvre-chef ou couvre-lit

mais c’est pas toi qui choisit

c’est pas une raison pour faire tout ce qu’on te dit

je file sur l’A 20 pour raconter à Mazères

l’histoire d’Abel, de Jacqueline, de Jack, d’Angèle et des autres

je penserai à Sylvie qu’a son grand-père  qu’a fait la guerre en Espagne

son grand-père qui vient du même village que Bartoli

je penserai à Sylvie qui a les pinceaux qui chantent quand elle peut pas marcher

à Sylvie qui fait des tableaux pour tenir debout

je penserai à Sylvie quand je raconterai Francisco

le vieux républicain qui en a trop vu

alors  y aura Bartoli, y aura Sylvie, y aura le gars tout seul dans son champ

ils nous feront un tableau plein de couleurs

pour rentrer dedans à vingt et une heures.

mardi 13 octobre 2020


Du bout des doigts

(Vaucresson, 18 septembre, 18h 30)

D’anciennes cicatrices striaient son visage.

Il avait appris à les caresser du bout des doigts.

Il se concentrait sur le contact entre la pulpe du majeur et les aspérités de chair,

jusqu’à ce que cela fut doux, délicieusement doux.

Alors seulement, il s’endormait en paix. 

lundi 12 octobre 2020

 

Un billard à trois bande

(Arborétum de Chèvreloup, Rocquencourt, Yvelines, 9 octobre, 15h 05)

« C’est la vie.

Un billard à trois bande. »

Rick avait posé sa main sur son épaule.

Elle avait rougi.

Il l’avait regardée droit dans les yeux

« Ce sont les premières couleurs d’automne »

Elle avait détourné la tête.

« Raté. »

dimanche 11 octobre 2020

 

Miniatures éphémères

(Forêt de Rambouillet, Yvelines, 4 octobre, 15h 50)

Le songe du retraité sur le Polypore du bouleau

samedi 10 octobre 2020

 

J'attends...

(Arborétum de Chèvreloup, Rocquencourt, Yvelines, 9 octobre, 15h10)

« Pour composer des poèmes, j’attends et j’écoute. Ce n’est pas le monde que j’écoute. Je guette un son qui ne raisonne pas comme les anciens sons. J’attends un monde nouveau que je puisse explorer. »

        (Louise Glück)

vendredi 9 octobre 2020

 

Dans la douceur des bois


(Forêt de Rambouillet, Yvelines, 4 octobre, 16h 45)

Ne pas se soucier du chemin

se perdre dans la douceur des bois

jeudi 8 octobre 2020

 

Un temps à tuer

(Amiens, Somme, 29 septembre, 22h 40)

Rick traine son pas lourd sur les pavés humides d'Amiens.

C’est ce masque qui l’empèse. Un masque qu’il est obligé de porter. Un masque qui efface les trois quarts du visage. Rick respecte les règles. Puisqu’il faut le porter, il le porte. Et il se sait fragile, son asthme réapparaissant quand le travail vient à manquer.

Il est tard. Le bar de l’hôtel est fermé. Ils ne sont que deux clients, Rick, musicien au chômage, et Ferdinand François, c’est ainsi qu’il s’est présenté, vendeur de cravates sans cravate.

Les festivités d’automne ont été annulées. Rick est venu quand même, sans ses partenaires, sans ses instruments. L’errance sur la route, les chambres d’hôtels improbables, il en a autant besoin que des concerts. Un musicien sans cravate et sans instrument, c’est ainsi qu’à son tour il s’est présenté à Ferdinand François.

Ferdinand ne parlait que du Covid, des contraintes, du manque à gagner, d’untel qui dit que et de l’autre qui dit le contraire. Rick ne supporte plus ces leitmotivs. Il a laissé Ferdinand en plan dans le hall triste de l’hôtel et est allé regarder la télé dans sa chambre. La télé en face du lit, la télécommande sur la table de chevet, le geste mécanique du voyageur professionnel.

Il a regardé le film de  Cédric Angers, La prochaine fois je viserai le cœur, où Guillaume Canet interprète un gendarme tueur en série. Film étonnant où le spectateur petit à petit entre en empathie avec le tueur.

Après le film Rick était incapable de dormir. Il a pris son masque et il est sorti. En passant devant la porte de Ferdinand, il l’a entendu ronfler.

Et si j’entrais et je le tuais, comme ça pour voir ce que ça fait, tuer un homme. Et tout ce qui suit, se cacher, fuir, se faire attraper, la prison, tout ça… expérience ultime avant celle de sa propre mort. C’est ce que s’est dit Rick en entendant Ferdinand François ronfler.

Il n’a rien fait, bien sûr, Rick ne ferait pas de mal à une mouche. Il est passé devant la porte et il est sorti.

Maintenant il marche au hasard  dans les rues quasiment désertes. Il y a deux femmes devant lui. Il repense au film, à ce qui l’a traversé devant la chambre du vendeur de cravate. Il baisse son masque juste au dessous du nez. Un masque de tissu rouge avec des fleurs blanches. C’est sa voisine qui lui a fait. Avec ce masque on ne me reconnait pas, se dit-il, je pourrai les tuer elles aussi, et pourquoi pas la voisine. Ses pensées le surprennent, le troublent. Elles sont brèves, ce ne sont que des pensées, elles le font sourire, mais quand même elles l’ont traversé.

L’homme est un drôle d’animal se dit-il.

mercredi 7 octobre 2020

 

C'est toujours la même histoire

(Forêt de Rambouillet, Yvelines, 4 octobre, 16h 30)


C’est toujours la même histoire.

Dans le bois éclaté, déchiqueté,

viennent nicher les insectes

les rongeurs, les batraciens,

aux lambeaux d’écorce

s’accrochent mousses et lichens,

quelques graines y font leur lit

et la vie revient petit à petit.

Jusqu’à quand?





mardi 6 octobre 2020

 

Outsiders

(Le Tréport, Seine-Maritime, 30 septembre, 16h 50)


Samy et Déborah sont ensemble. C’est comme ça qu’on dit. 

Un jour Samy a pris deux galets, il  les a fait rouler l’un vers l’autre, puis il les a frottés en regardant Déborah dans les yeux.

« Est ce que tu veux qu’on se mettent ensemble? » C’est ce que disait Samy. Déborah n’entend pas, ne parle pas. Elle a pris les galets, les a frottés à son tour et les a mis dans sa poche. «oui.»

Samy a 14 ans, Déborah 15. Ils habitent aux Terrasses. C’est en haut, sur la falaise, là où le vent souffle le plus. C’est à sa façon d’offrir son visage au vent que Samy a remarqué Déborah.

Maintenant ils sont ensemble. Ses potes disent avec mépris qu’il est avec la sourde, la muette.

Il leur répond qu’elle lui parle avec ses mains sur sa peau, alors ils se taisent.

Quand il est avec Déborah, Samy danse. Il danse tout le temps, pour raconter. Il danse le roulement du tonnerre, il danse le ressac sur les galets, il danse le crépitement de la pluie, le cri des mouettes, les aboiements du chien, la sirène des flics, les gueulantes du père, il danse le rire de Déborah.

Le mercredi après midi, ils descendent à la plage et se posent sur le banc mauve pour regarder des films sur la tablette de Déborah. C’est étrange, ce banc est celui qui est le plus souvent libre, comme si cette couleur n’attirait que de rares personnes. Déborah s’habille souvent en mauve.

Ils s’assoient côte à côte, serrés l’un contre l’autre, ils se recouvrent la tête d’un plaid ou d’une grande serviette pour protéger l’écran des reflets du soleil, et il regarde le film.

C’est toujours Déborah qui choisit. Avec ses potes Samy ne connait que Youtube, et chez lui la télé diffuse en permanence le sport ou les courses de chevaux. Quand il regarde des films en famille ou entre copains ça gueule de partout. Avec Déborah c’est tranquille, elle ne parle pas, et même si, elle ne dirait rien. Ils regardent en silence, ensemble.

Aujourd’hui  elle a choisi un film de Francis Ford Coppola, Outsiders. C’est mieux pour elle les films sous titrés. C’est un film où il y a plein de beaux gosses qui se bagarrent et qui chialent sur fond de soleil couchant. Elle l’a déjà vu. Elle veut que Samy le voit, le Samy des Terrasses toujours à la ramasse derrières ses potes qui roulent des mécaniques.

Déborah préfère les hommes qui pleurent aux hommes qui cognent.

lundi 5 octobre 2020

 

Antoine, 1966

(Gambaiseuil, Yvelines, 4 octobre, 17h 45)


En 1966, j’avais onze ans,

Antoine chantait:


« Oh, Yeah!

Ma mère m’a dit: Antoine, fais toi couper les cheveux.

Je lui ai dit: Dans vingt ans si tu veux

je les garde pas pour me faire remarquer

Ni parce que je trouve ça beau

Mais parce que ça me plait.

…..

Oh, Yeah!

Si je porte des chemises à fleurs

c’est que je suis en avance de deux ou trois

longueurs

ce n’est qu’une question de saison

Les vôtres n’ont encore que des boutons.

…. »


J’avais onze ans

Il fallait prendre le taureau par les cornes

dire non aux culottes courtes.


Je porte toujours des chemises à fleurs.

samedi 3 octobre 2020

 

Miniatures éphémères

(Orval, Belgique, 20 septembre, 11h 30)

Le chant du chauve sur le Coprin chevelu


Soins

(Saint-Valéry-en-Caux, Seine-Maritime, 1er octobre, 12h20)


C’est l’un des rares souvenirs qu’il ait de ses semaines d’hospitalisation.

Une fine silhouette qui se désinfectait les mains discrètement avant les soins.

Immobile, incapable de parler, il ne voyait que cette ombre blanche qui dansait au ralenti autour du lit.

Et chaque fois ce premier geste avant la danse. 

Elle était son cavalier, il ne pouvait que se laisser aller.

Jean fixe la sculpture au colombage de l’ancienne maison. 

Aucune douleur dans ses souvenirs, seulement de la douceur.

Petit à petit un visage se précise sur le bois usé par les vents marins.

C’est celui de la femme qui est à ses côtés. 

vendredi 2 octobre 2020


Une mouette

(Le Tréport, Seine-Maritime, 30 septembre, 15h 50)


Je suis une mouette.

Une mouette rieuse.

Je niche dans les falaises blanches du Tréport.

Chaque soir je me pose sur le toit de la poissonnerie municipale avec quelques copines,

à l’heure où les pêcheurs vendent à l’étal.

On papote et il y a toujours quelque chose à bouffer.

La journée, entre deux plongeons pour grignoter, je tourne.

Je tourne, je regarde et j’écoute.

En ce moment je n’entends pas ce que disent les humains.

Leurs voix sont assourdies par des carrés de tissu.

Ils ne vont plus de la même façon.

Ils gardent leurs mains dans les poches.

Je peux me poser tout près, même les enfants ne me courent plus après.

Cette après-midi j’ai aperçu un homme et une femme qui se poursuivaient sur les galets.

les galets roulaient, l’homme et la femme riaient.

Ils avaient ôté le tissu sur leur visage. 

Arrivés aux cabanes, ils se sont étreints.

La femme disait: t’es fou, t’es fou.

J’ai pensé De Bassan, mais bon…

Ils ont regardé autour d’eux pour s’assurer qu’on ne  les voyait pas, puis ils sont entrés dans une cabane à toit bleu.

J’ai attendu longtemps, posée sur le toit.

Il n’y avait absolument aucun bruit à l’intérieur.

Ils sont ressortis deux heures plus tard.

Ils sont repartis par la plage.

Les galets restaient silencieux sous leurs pas.

Je m’attendais à les voir s’envoler pour me rejoindre.

jeudi 1 octobre 2020


Paysage 

(Mesnil-Val, Seine-Maritime, 10h 15)

Il y a dans ce paysage la joie d’un ivrogne qui court au désastre.