jeudi 31 décembre 2020


Un ciel de rage

(Travaillan, 29 décembre, 17h 30)

Pour clore cette année

un ciel de rage

et demain sera

mercredi 30 décembre 2020


Une paire de bottes mexicaines

Conte de Noël 

(Travaillan, Vaucluse, 29 décembre, 17h)

C'est quoi ton nom?

Jo.

Jo comment?

Jo.

Jo avait baissé la tête, le gars avait souri.

Jo n’avait pas une tête à s’appeler ainsi. La peau sombre, les cheveux noirs et bouclés, la crasse incrustée sous les ongles et dans le creux des rides. À vingt sept ans il en faisait dix de plus. La route avait été longue jusqu’ici. Jusqu’à ce qu’un gars lui sourit, lui donne trois grosses couvertures, une paire de bottes mexicaines, un toit, et peut-être bien un boulot.

Jo comment?

Jo.

C’est une réplique de film avait dit le gars. Jo avait relevé la tête et acquiescé. Alors le gars  était allé chercher les bottes, des santiags noires surpiquées western aux talons biseautés, et les couvertures, puis il l’avait conduit à une caravane au bout d’un champ.

Tu sais tailler les arbres?

Oui.

Alors reviens me voir demain matin sept heures, j’ai peut-être du boulot pour toi… Jo.

Le gars avait prononcé son nom à l’américaine, comme lui même l’avait prononcé lorsqu’au village, après le passage d’un cinéma ambulant qui passait de vieux westerns, il avait dit à ses potes et à sa famille que désormais il s’appelait Jo et qu’il partirait un jour. Beaucoup s’étaient moqués de lui. Le gars lui, ne se moquait pas, sûr.

La caravane était propre, malgré qu’il n’y ait ni eau ni électricité. Des rideaux de tissu provençal aux fenêtres, une table, une banquette, un petit évier, un frigo entrouvert, un coin wc et un coin lavabo douche, et au fond un grand lit avec un matelas de mousse. Au dessus du lit était accrochée une image de la nativité aux couleurs criardes, cerclée de fleurs rouges.  Sur la table il y avait un pack de bouteilles d’eau et quelques bières. Le luxe!

Il n’y avait rien à bouffer, mais Jo n’avait pas faim. Il était trop crevé, il n’aspirait qu’à dormir jusqu’au matin, avant d’aller travailler, enfin.

Il balança ses baskets élimées  dans un coin, rangea la paire de bottes au pied du lit, afin qu’il puisse garder un oeil dessus avant de s’endormir, il s’étendit sur le matelas de mousse, se couvrit des trois couvertures et les remonta jusqu’au menton. Il lui semblait entendre un cliquètement. Ce n’était pas les grelots du chariot du père Noël, oh non, juste le cliquètement des éperons de l’homme des hautes plaines s’avançant sur le parquet du saloon.

Dès que je touche ma première paye j’achète du cirage pour mes santiags.

Il parla à haute voix en regardant les bottes de cuir patiné, à la semelle à peine usée aux talons.

Et il ferma les yeux en pensant à son grand-père qui lui disait: La chance, ça s’entretient.

mardi 29 décembre 2020


Une pastille de menthe

(Travaillan, Vaucluse, 17h 15)

Nous marchons entre chien et loup quand tout devient flou.

Elle me dit d’un air mutin se souvenir des pastilles de menthe de son enfance, 

des pastilles marbrées de bleu qui fondaient sous la langue.

Et le soleil couchant donne du rouge aux arbres. 

lundi 28 décembre 2020

 

(Camaret-sur-Aygues, Vaucluse,14h 35)

Ma boussole

dimanche 27 décembre 2020


Miniatures éphémères

(Vaucresson, 26 mai, 16h 20)

Songe sur la feuille d’iris

après la floraison 

samedi 26 décembre 2020


L'allée des grands hommes

(Liessies, Nord, 2 décembre 2019)

Dans l’allée des grands hommes une haute silhouette va au rythme de sa pensée qui bégaye.

Un pardessus noir, un feutre noir, des gants de cuir noirs, le regard noir, les mains derrière le dos, il fait deux pas, s’arrête, repars, trois ou quatre pas, s’arrête à nouveau.

On lui a appris à ne pas douter, jamais. C’était une condition pour diriger. C’est ce qu’il voulait depuis sa tendre enfance, devenir un chef, un capitaine, un guide, un patron, au dessus de tous. 

Mais aujourd’hui il ne sait pas, il sait qu’il ne sait pas. Il faudrait le dire. Il sait qu’il faudrait le dire, mais comment? Cela, on ne lui a pas appris. 

vendredi 25 décembre 2020


Intempéries

(Étang de Villeneuve, Marnes-la-Coquette, 24 janvier)

Le roseau s’accorde à la pluie

l’étang ne sait plus ce qu’il est

une jeune foulque égarée crie 



jeudi 24 décembre 2020



Miniatures éphémères

Bonnes nouvelles

(Vaucresson, 20 décembre, 13h)

Les jours rallongent et le père Noël n’est pas celui qu’on croit.

C’est une femme à la pointe sucrée d’un freesia.



mercredi 23 décembre 2020


Le craquement d'une coquille d'escargot sous le pied nu

(Hendaye, 30 mai 2019)

La nuit est tombée.

Sophie lit le journal.

Le silence, la page froissée, le silence à nouveau.

J’écoute.

C’est comme du brouillard dans l’oreille.

Le silence.

Soudain je me souviens d’un bruit.

Le craquement d’une coquille d’escargot sous le pied nu.

C’est une nuit de printemps, une nuit noire.

Sur la terrasse de bois d’un bungalow de location.

Je sors pisser et je marche sur un escargot qui passe par là.

Un craquement.

Le silence à nouveau.

La vie ne tient qu’à un fil. 

mardi 22 décembre 2020

Congélation

(Vaucresson, 22 janvier, 2017)

En Alaska, la Rana sylvatica, la grenouille des bois, se congèle en hiver pour renaître aux beaux jours. 

Une grenouille des bois qui reviendra quand tout ce merdier sera passé, voilà ce que ce soir je voudrais être.

Mais c’est râpé, y’a même pas d’hiver à Vaucresson en 2020. 

lundi 21 décembre 2020

 

Un morceau de bois en forme de tête de chien

(Vaucresson, 20 décembre, 10h45)

Il y avait ce chien, un bâtard noir et blanc, le ventre couvert de boue.

Il est venu vers moi en trottinant. Il s’est assis à mes pieds.

Il tenait dans sa gueule un morceau de bois. 

Un morceau de bois en forme de tête de chien.

Un morceau de bois en forme de tête de chien qui tenait dans sa gueule un morceau de bois en forme de tête de chien qui tenait dans sa gueule un morceau de bois en forme de tête de chien qui tenait dans sa gueule…

Deux petits yeux tristes. Le chien me regardait.

J’ai pris le morceau de bois, je l’ai lancé.

Le chien est parti le chercher, en trottinant, en silence.

À nouveau il était à mes pieds avec ses yeux tristes.

J’ai relancé le morceau de bois, dix fois.

Chaque fois il me le rapportait.

Dix fois jusqu’à ce que je comprenne que ce n’était pas un jeu.

Alors je suis parti avec le morceau de bois en forme de tête de chien.

Le chien n’a pas bougé. Il m’a regardé partir.

dimanche 20 décembre 2020


Miniatures éphémères

(Vaucresson, 23 avril)

Sur la langue

ou

Le faussseur de sseveux


(Pierre de Roland Vincent) 

samedi 19 décembre 2020

 

Brouillons

(Crespières, Yvelines, 18 décembre, 13h)

Nous marchions dans un brouillon de forêt,

sur un sentier boueux, de la glaise dont on fait les hommes,

de celle qui colle aux chaussures, de celle qui fait la pente glissante.

Nous marchions dans un brouillon de forêt,

au frêle soleil d’hiver, celui qui aiguise la pierre, celui qui creuse l’ornière.

Nous allions, nous demandant si nous n’étions nous-même que des brouillons…

vendredi 18 décembre 2020


À la croisée des chemins

(Feucherolles, Yvelines, 11h 55)

À la croisée des chemins, un homme immobile devant le calvaire sous les grands arbres.

Un autre arrive, à pas lent, il vient de l’est, va vers l’ouest. Il aperçoit l’homme immobile.

Il s’arrête. Les deux hommes se regardent. Un hélicoptère passe. Les deux  hommes lèvent la tête. Ils se regardent à nouveaux. Regardent à droite , à gauche. L’homme qui marchait demande à l’homme immobile:


- *Vous attendez quelqu’un?

De la tête on lui répond par la négative.

- Quelque chose?

Même réponse.

Après quelques secondes , il poursuit son chemin.

Alors l’autre:

- Vous allez où?

- Je ne sais pas.

(*Dialogue emprunté à Samuel Becket dans  Rencontre avec Samuel Becket de  Charles Juliet, édit. P.O.L, 1999) 

jeudi 17 décembre 2020


La petite bête qui monte

(Arboretum de Chèvreloup, Rocquencourt, Yvelines, 21 septembre, 16h 30)

Je me sentais comme une maison vide.

Une minuscule araignée cherchait un coin pour y tisser sa toile.

À force de la regarder je me suis dit combien elle était essentielle.

(Certains mots sont jolis quand on ne les entend pas trop souvent.)

À force de la regarder cette petite bête, je l’ai vue monter, monter.

Et j’ai entendu le rire des enfants, et tout le monde est revenu. 

mercredi 16 décembre 2020


Le vent 


(Le Touquet, Pas-de-Calais, 9 décembre 2019)


J’ai trois mômes qui attendent la becquée,

j’ai un homme qui ne revient pas,

j’ai des mains usées, des seins qui tombent et un dos tordu,

et j’ai le vent, le vent du nord, le vent qui gonfle la mer et pousse les nuages.

Voilà ce que j’ai!

C’est ainsi que Jeanne a répondu au banquier qui lui demandait des comptes.

mardi 15 décembre 2020


Une fleur un peu triste

(Vaucresson, 23 septembre, 16h 30)

C’était au début de l’automne, une fleur un peu triste, un soleil, s’accrochait à ses derniers pétales comme un enfant qui ne veut pas grandir s’accroche à son doudou.

lundi 14 décembre 2020


La maison aux galets


(Cayeux-sur-Mer, Somme, 20 novembre 2019, 12h)


La route entre la plage et les carrières de gravier est défoncée, des trous plein d’eau qu’il faut éviter en zigzaguant pour ne pas éclater un pneu.

Ici en plein vent c’est le pays du galet. Le galet qui roule avec la marée, le galet que l’on ramasse encore à la main pour le charger dans des pelleteuses qui feront des tas gris-bleus destinés à l’industrie céramique, le galet calciné, broyé, utilisé pour les peintures, la faïencerie ou les bétons, le galet porté par la mer, qui vient des hautes falaises du pays de Caux, des falaises qui se sont effondrées sous les coups de boutoir de la mer déchainée, le galet qui en a vu, de sa chute de vulgaire morceau de falaise éclatée jusqu’à la pierre ronde qui tient dans la main.

Je passe et repasse devant cette maison posée là en haut de la plage à quelques pas de la mer, une maison qui sent l’abandon, une maison de peu que j’imagine habitée autrefois par un homme roulé, usé comme les galets trimbalés sur cette terre. 

Je crois voir une main derrière la grille rouillée qui ferme l’entrée. La curiosité est trop forte. Je me faufile sous le grillage et cherche un passage pour pénétrer dans la maison. En la contournant je trouve un volet battant, face à la mer. Quelqu’un déjà a du forcer une fenêtre pour explorer cette bicoque délabrée,  peut-être cherchait-il simplement un toit pour s’abriter. Calais n’est pas très loin de Cayeux.

J’entre. Il y a un homme assis sur un fauteuil de rotin. Il ne bouge pas, il me regarde intensément, sans ciller. C’est un homme sans âge, un homme du sud, un homme d’orient. Sa peau est mat, tachée, se confond à ses vêtements, aux murs décrépis. 

Le sol de la pièce est jonché de galets, plusieurs épaisseurs. Par une porte ouverte, je vois  le tapis de pierres jusque dans un couloir puis un escalier, partout des galets entassés.

Et ce ne sont pas des galets ronds et lisses, ils ont toutes les formes et tailles imaginables et surtout sur beaucoup d’entre eux semblent se dessiner des visages. 

L’homme qui me regarde en tient un dans sa main. Il me le tend, sans rien dire, ses yeux vrillés dans les miens.

Je prends la pierre,  je reste là face à cet homme, je ne sais pas quoi faire de ce présent. Est-ce seulement un présent? J’ai peur. C’est le silence de l’homme qui me fait peur. Il me fait alors signe de m’en aller, un geste bref, clair, autoritaire. Je pars, vite, sans me retourner.

Je suis maintenant à mon bureau, le galet posé à coté de la machine à écrire. Le galet me regarde.

Il est tard. Je ne peux pas aller dormir.



(Le Hourdel, Somme, 30 septembre,16h 30)

dimanche 13 décembre 2020

 

Miniatures éphémères

(Vaucresson, 27 mai, 15h 45)

Fermeture définitive

samedi 12 décembre 2020

 

Des bracelets de turquoises

(Hendaye, 30 août, 7h 30)

Ce jour là je voyais loin, très loin, au delà des mers, jusqu’en Amérique, jusqu’aux plaines monumentales où des cavaliers portant des bracelets de turquoises galopent entre des cheminées de pierre. 

De la plage de mon enfance, une Amérique rêvée. Dans le ciel le reflet des anciens mondes.

vendredi 11 décembre 2020


L'instant du départ

(Saint-Jean-de-Luz, Pyrénées Atlantiques, 27 juin, 6h)

Chaque fois il ouvre les yeux juste avant que le réveille ne sonne. Il ne bouge pas. Il évalue l’heure à la clarté de l’aube qui filtre à travers les rideaux. Il écoute la respiration de sa compagne. Le lit est chaud. Il faut s’en extraire. Plus il vieillit, plus il est difficile de quitter le confort d’une tendre nuit. Pourtant il sait combien est grande la joie du départ. Le son régulier du moteur quand la ville dort encore, mettre le cap au nord, où tout est possible dans la brume au delà des digues.

Dans l’instant du départ tant de vie se concentre dans l’élan vers l’inconnu.

Dans l’instant du retour tant de vie se concentre dans l’élan vers les siens.

Un jour, on lui dira tu es trop vieux. Mais non, il ne sera jamais trop vieux. Il s’imposera une discipline, il réglera toujours son réveil à six heures pour ouvrir les yeux avant qu’il ne sonne. Il ne sait déjà plus à quoi ressemble la sonnerie, l’a-t-il même déjà entendue? Par contre jamais il n’oubliera le bruit de la nuit qui s’en va, un froissement de draps, un souffle, les premiers oiseaux.

Et il partira, de moins en moins loin, de moins en moins longtemps, mais il partira, il ira vers la brume, là où il y a encore à découvrir.

Jusqu’au dernier voyage, il cultivera cette joie du départ. 

jeudi 10 décembre 2020


Après avoir juré tout mon saoul

(Plateau d’Hymes, Aveyron, 3 mai 2018, 7h)

Après avoir juré tout mon saoul

il me faut la douceur d’un matin de printemps

quand la brume dévoile plus qu’elle ne cache

quand le soleil effleure  le dos d’une main

qui repousse le drap parfumé 

des humeurs d’une nuit sans fin 

mercredi 9 décembre 2020


Scrabble 

(Venise, 28 janvier  2018)

Elle a quatre vingt seize ans,  les cheveux en bataille, un genou qui ne veut plus et un appétit de gamine. Les cendres de son mari sont quelque part dans l’océan. Ses enfants viennent la voir de temps en temps, ils font le tour du parc et une partie de Scrabble.

Ses amies, ses frères et sœurs ne sont plus là. Parfois elle cause avec le Christ sur sa croix dans un coin tranquille de l’église. Lui, il n’est pas près de lâcher les amarres et il doit s’ennuyer ferme sur son bout de bois. Oh, elle ne croit pas vraiment en tout le tralala, mais un peu quand même. Et puis dans ce recoin il y a un radiateur  et quelques chaises. En hiver il y fait meilleur que chez elle.

Elle vient vers onze heures quand la lumière s’approche de ce corps qu’elle trouve décidément bien mal nourri.

  • Mon fils est venu hier, avec des chouquettes. On a fait un tour. Il faisait gris. J’avais mis mon bonnet. Lui aussi avait un bonnet, tous les deux on avait un bonnet. C’était bien. Il y a longtemps que je ne l’avais pas vu avec un bonnet, très longtemps. Quand les enfants étaient petits je tricotais des bonnets, en laine, avec un pompon que je faisais avec deux bouts de carton découpés en cercle et de la bonne laine des Pyrénées. Hier nous n’avions pas de pompon, ni lui ni moi, des bonnets tout simples. Ça lui va bien, le bonnet, ça lui fait une tête de marin, c’est bien. On a mangé les chouquettes avec du Schweppes. Sans Gin. Je garde le Gin pour le soir, quand j’ai le cafard. Oui, oui ça arrive, mais je ne le dis pas, ni le cafard, ni le Gin. Après on a fait un Scrabble, j’ai encore gagné. Cette fois ci je l’ai battu à plate couture, j’ai fait quatre cent trente points, mon plus gros score depuis un an. J’ai eu deux Scrabble, tu places toutes tes lettres et t’as cinquante points de bonus. Le premier c’était rapineras, si, si, ça existe, du verbe rapiner, enlever de force, et le deuxième c’était enculées, hihihihi….

Elle a quatre vingt seize ans et pouffe comme une gamine  qui a la vie devant elle.

mardi 8 décembre 2020


Une fillette en robe de lin

(Liorhyssus hyalinus sur épilobe, Orval, Belgique, 20 septembre, 12h 10)

Un bouquet d’épilobes, deux marches de pierre, une fillette en robe de lin.

La fillette parle à l’insecte sur la plante. Elle met des mots sur ce qu’elle voit.

Un hétéroptère sur la barbe de grand-père. Une mouche sur la tête de mamie.

Un jour elle a demandé à sa grand-mère ce qu’il y avait après, après la mort.

La vieille a répondu: demande à la mouche sur ma tête.

Un bouquet d’épilobe, deux marches de pierre, une fillette en robe de lin.

La fillette fronce les sourcils. Elle cherche des mots pour ce qu’elle ne comprend pas.

Un hétéroptère sur la barbe de grand-père. Une mouche sur la tête de mamie.

Un jour elle a demandé à son grand père pourquoi tu rit et tu pleure en même temps?

Le vieux a répondu: demande à ta grand-mère.

La vieille a dit: demande à la mouche sur ma bouche.

La mouche a dit: parce que la mer monte, puis descend, parce qu’il y a le soir et le matin,

parce qu’il y a la fleur qui fane et la graine qui vole.

Un bouquet d’épilobe, deux marches de pierre, une fillette en robe de lin.

 

lundi 7 décembre 2020

 

Le pouvoir

(Château de Versailles, 6 décembre, 15h 30)

Enfant je jouais avec de petits avions de balsa dont on faisait tourner avec le doigt l’hélice reliée à un élastique jusqu’à ce que celui-ci soit suffisamment vrillé pour que l’avion puisse voler.

Je jouais avec des épées de bois, des pistolets de plastique, je jouais aux cowboys et aux indiens, je jouais à la guerre. Mais jamais je n’ai joué à être un roi ou simplement un chef.

C’est un dimanche de promenade paisible dans le somptueux parc du château de Versailles. Le soleil d’automne éclaire le palais du roi au bout du grand canal. Je repense à cette actrice, il y a quelques jours à la radio, qui disait la voix tremblante combien pue le pouvoir.

dimanche 6 décembre 2020

 

Miniatures éphémères

(Puybrun, Lot, 14 janvier 2019)

Envers et contre tout

samedi 5 décembre 2020

 

Aube

(Aube sur la forêt guyanaise depuis l’inselberg Voltaire, 10 mars 2013)

Chaque jour

l’aube incertaine

comme un battement de cils


Et ces mots du poète Yehouda Amih’ai

soufflés par Delphine Horvilleur:

« À l’endroit où nous sommes sûrs d’avoir raison, aucune fleur ne poussera au printemps… »

vendredi 4 décembre 2020

 

Prendre le vent

(Kourou, Guyane, 27 mars 2019)

C’était il n’y a pas si longtemps.

Il avait poignardé un homme pour une fille trop rousse, pour une fille constellée de taches de rousseur, pour une femme feu, une femme oiseau, une femme montagne, une femme qui n’appartiendrait jamais à personne.

On l’avait envoyé au bagne les fers aux pieds avant même qu’il puisse faire ses adieux.

Il avait passé quinze ans de sa vie, les jours à charrier du bois dans des marécages infestés de moustiques, les nuits enchainé entre quatre murs couverts de salpêtre.

Et puis on lui avait ouvert la porte, ôté les chaines, on lui avait dit: Tu peux partir, par là c’est la forêt, par là c’est la mer mais ne compte pas embarquer pour l’Europe, jamais.

Il a cultivé son  bout de terre, il a vécu de menus trafics, il a connu une fille très noire, une femme bois, une femme feuille, une femme fleuve qui jamais n’appartiendrait à personne. 

Et tout le temps qu’il vécut sur cette terre de Guyane dont il était à vie imprégné du parfum, chaque jour il vint à la tour Dreyfus, au sémaphore de la pointe des roches, là où le vent souffle fort, il vint chaque jour à la tour prendre le vent  face à la mer, dos à la forêt.

À celui qui lui demandait pourquoi chaque jour on le voyait là sur ces rochers, il répondait:

Parce que c’est ici que le vent souffle le plus fort.

jeudi 3 décembre 2020

 

Mon père, ce héros...


(Vaucresson, 12 novembre, 21h 20)


Gris, son père était gris. Le visage gris, fermé, lisse. Une seule ride, entre les yeux, la ride des gros yeux disait-il enfant. Jamais il ne l’avait vu sourire, ni pleurer, aucune émotion, jamais, si ce n’est une colère froide provoquée par sa propre maladresse. Sa voix devenait alors plus grave, la ride des gros yeux se creusait, ses mouvements se faisaient plus lents. 

Cordonnier, son père était cordonnier. Un petit cordonnier en blouse grise qui travaillait seul dans une petite boutique grise dont la porte vitrée trop lourde frottait sur le carrelage avec un insupportable crissement chaque fois qu’un client entrait. Il travaillait de sept heures à dix neuf heures, d’une ponctualité irréprochable. Il avait aussi une machine pour faire les doubles de clés.

La machine était bruyante, plus que la machine à coudre et les coups de marteau, on l’entendait jusque dans le petit appartement qu’ils habitaient au dessus de la boutique. On l’entendait plus souvent avant les vacances, on avait sans doute plus besoin de doubles à ce moment là.

Chaque vacances son père les envoyait lui et sa mère au Tréport où ils logeaient à l’hôtel de Calais. Les chambres y étaient délicieusement colorées de vif, on voyait la mer par la fenêtre, verte ou bleue ou rouge, un enchantement. Lui ne venait jamais. Il disait refuser de fermer la boutique.

La boutique grise. La seule fantaisie, si on peut appeler cela une fantaisie, était une statuette de la vierge posée dans une niche sur la façade, une vierge d’un bleu pur qui ne semblait jamais pâlir ni s’écailler.

Adolescent, il avait imaginé que cette effigie bleue sur le mur était le portrait de la maîtresse cachée de son père. Dans les autres familles, on se disputait, on criait, on se rabibochait, on riait. Chez eux c’était le calme plat. Sa mère aussi était devenue grise, imprégnée du gris de son homme. 

Pour ne pas « griser » il lui fallait inventer. Il aurait voulu un père volage, un marin aux femmes dans chaque port, un héros des quarantièmes rugissant, un aventurier des mers du sud, un contrebandier de Moonfleet.

Son père n’était et ne serait qu’un petit cordonnier gris qui jamais n’aura fait de vagues.

Il y eut bien quelques soudaines absences qui ne duraient  que rarement plus d’un week-end. Il prétextait alors un congrès de cordonniers, une exposition de maroquinerie ou un défilé pour chaussures haute couture. 

Il avait imaginé son petit père tout gris en blouse grise dans un palace assis entre deux stars du cinéma assistant au défilé de mannequins, son petit père tout gris fixant d’un œil brillant un lacet de cuir vernis s’enroulant autour d’une fine cheville.

Bien sûr, quelque chose clochait.

À vingt deux ans il avait fui ce gris éternel. Il entama une brillante carrière dans l’architecture d’intérieur et la décoration. Sa réputation sur son art d’agencer les couleurs grandit de jours en jours.

Il ne voyait plus que rarement ses parents. Chaque fois il apportait un magnifique bouquet de fleurs. Il n’aurait de cesse de conjurer le gris, même lorsque cette couleur devint à la mode chez les architectes.

Son père prit sa retraite à soixante dix ans. Personne ne reprit la boutique, il vendit les machines.

La vierge dans sa niche pâlit puis se décrépit.

Cinq ans plus tard le petit homme gris mourut, comme ça d’un coup, sans que l’on sache de quoi.

À l’enterrement il n’y eut quasiment personne. Son père n’avait pas d’amis. Il y eut juste quelques anciens clients aux voix chevrotantes et un homme en manteau noir, distingué, coiffé d’un feutre noir, un homme que personne n’avait jamais vu par ici qui se présenta, avec un accent des pays du nord, comme un camarade de classe, ce furent ses mots exacts, de son père.

Quelques mois plus tard sa mère mourut de la même façon, comme ça d’un coup, sans que l’on sache de quoi. On avait dit de chagrin, mais il ne l’avait jamais vue pleurer.

À son enterrement l’homme en noir était là à nouveau. Il portait un œillet blanc à la boutonnière.

Il avait enterré ses deux parents au cimetière du village. Son père, prévoyant, avait réservé et payé la concession. Il avait même payé d’avance une pierre tombale de granit gris avec deux clous, deux clous de cordonnier, gravés sur la pierre, pas de nom, seulement deux clous.

Il avait du chagrin. Il fut surpris d’avoir tant de chagrin. Le gris le rattrapait.

Il fallait vider la boutique, l’appartement, et vendre. Il fallait le faire vite. Vendre cet ennui, ce vide grisonnant.

Il y a longtemps qu’il n’avait plus mis les pieds dans la boutique.

Il trouva sous la caisse enregistreuse un petit tiroir, un petit tiroir plein. Il le vida sur l’établi.

Il y avait un dé, une broche en forme de tortue, deux boutons de manchettes, une épingle à cravate en argent, trois balles de révolver et un bouton d’uniforme. Et surtout une impressionnante collection de pochette d’allumettes, de ces pochettes qu’on trouvait dans les hôtels quand fumer n’était pas aussi mortel.

Immédiatement il prit une pochette, l’ouvrit pour voir s’il n’y avait pas un numéro de téléphone inscrit à l’intérieur, comme cela arrive si souvent dans les films noirs.

Il y avait un numéro de téléphone...Il ouvrit toutes les pochettes, il trouva trois numéros de téléphone différents et un quatrième, rayé, sur un billet de cinq marks finlandais. Chaque fois c’était la même écriture.

Quatre numéros de téléphone dont un rayé… Trois balles de révolver….

Et si son père avait été un gangster, un tueur, un mafieux? Ou un espion?

Et si son père n’avait jamais été ce que son fils croyait qu’il fut, un petit homme gris qui réparait les chaussures?

Et si… Jamais il ne ressentit une telle joie.


mercredi 2 décembre 2020


Le parfum de  la mousse au bout des doigts

(Forêt de Rambouillet, Yvelines, 4 octobre, 16h)

J’ai posé la main sur la mousse dans le rayon de soleil, c’était moelleux comme le dos d’un mouton en hiver. 

Je me suis souvenu de toutes les fois où j’ai frappé un animal ou une personne.

Ce n’est pas arrivé souvent, très rarement même, mais c’est arrivé. 

Je me suis souvenu de toutes les fois où j’ai désiré frapper une personne, où je l’ai ardemment désiré mais ne l’ai pas fait. C’est arrivé un peu plus souvent.

Je suis resté longtemps ainsi, à genoux sur les feuilles mortes devant l’ancienne souche, la main droite sur la mousse tendre, chaude et fraîche à la fois.

Puis je me suis souvenu de toutes ces marches dans les sous bois, de la mousse sur les pierres, du regard d’un chevreuil aux aguets, de sa fuite bondissante, d’une femme cueillant des myrtilles, l’extrémité de ses mains blanches rougie par les fruit qui poussaient à foison entre les pierres.

Alors j’ai retiré ma main et j’ai repris ma marche, le parfum de la mousse au bout des doigts.

mardi 1 décembre 2020

 

Un nid au sommet d'un arbre

(Marnes-la-Coquette, 13 novembre, 15h)

Néant, dieu, éternité…Il y a des mots trop grands pour mon esprit. Des mots invisibles.

Partout où se pose mon regard, quelque chose est là, qui attend.

Personne ne sait comment tout a commencé.

Les questions sans issues me font parfois l’effet d’un ongle sur une vitre.

Je regarde, je regarde l’eau, le ciel, les arbres. Le crissement s’éloigne.

Au centre d’un îlot de terre, l’automne a dénudé un arbre, dévoilant un nid à son sommet.

Quelqu’un a-t-il vu se construire le nid caché dans le feuillage?

Quel oiseau était-ce? Un héron?

Si c’était un héron cendré, un grand oiseau gris, de la couleur de ce qui reste du feu lorsque tout est fini?

Avant le vent, les canards et les foulques, le vol du héron se reflétait sur l’étang satiné. 

Ses grandes ailes battait lentement comme l’éventail d’une geisha s’éveillant à l’aube d’une journée de printemps.

L’oiseau et son reflet allaient et venaient, une brindille dans le bec.

Une brindille de bois sec, sombre, portant quelques bourgeons qui n’écloront jamais, une brindille noire pincée au bout du bec jaune.

Il y eut un autre oiseau. Était-ce le reflet sorti de l’eau? Il y eut les deux oiseaux unis. Il y eut les œufs clairs au creux de l’entrelacs de bois. Puis il y eut encore d’autres oiseaux.

Et si le monde était un nid au sommet d’un arbre?