En ouvrant les volets
(Viennay, Deux-Sèvres, 17 mai, 6h 45)
Les murs gris
les camions sur la route
les voisins fantômes
le linge qui ne sèche pas
Il se dit que la vie ne vaudrait rien
s’il n’y avait le soleil à l’est
et le coq de Lucien
Un peu de pluie sur la mariée
Pougne-Hérisson, Deux-sèvres, 22 mai, 15h 30)
De l’iris blanc perlaient quelques souvenirs.
J’ai vu l’œil de l’homme à bretelles penché sur la fleur.
Un œil plein d’eau, de soleil et d’oiseaux.
Un peu de pluie sur la mariée, une goutte de sang sur ses chaussures, du sable dans les ourlets,
nous nous sommes tant aimés, m’a-t-il dit.
Il ne savait plus son nom, il ne savait plus où, ni comment,
seulement la pluie, le sang et le sable,
et une joie immense.
Regard
(Parthenay, Deux-Sèvres, 19 mai, 20h15)
Assis sur un banc au centre d’une terrasse fleurie,
il attend à l’ombre des ramparts.
Il regarde les façades des maisons tournées vers l’ouest.
Les maisons de ses amis, les maisons de la ville où il a grandi.
Il guette le premier qui ira à sa fenêtre voir se coucher le soleil.
Il guette son regard, alors bien plus beau que le crépuscule.
Le ciel de Parthenay
(Parthenay, Deux-Sèvres, 20h 20)
C’était un homme de la pluie et du vent
on venait d’ouvrir les terrasses
ils avaient trinqué il avait dit santé
pour mon enterrement je veux
le ciel de Parthenay
la mer sur la canopée
des chevaux sauvages
une guitare électrique
et l’œil de l’arrière grand-père
puis il était reparti titubant
cueillir des tétons de Vénus
sur les vieux murs
La Nuit/1
(Orval, Belgique, 8 mai, 21h 30)
Il y a ce moment où la nuit qui vient interrompt la lecture d’un livre.
À la fin d’une phrase, d’un chapitre, on pose le livre ouvert côté pages contre la table pour être sûr de ne pas perdre le fil.
Avant d’allumer la lumière, on va à la fenêtre, on regarde le ciel.
S’il est en accord avec les mots qui viennent d’être lus, ceux-ci gonflent, s’envolent, prennent leur place entre les nuages, et font paysage. Alors on s’attarde, on laisse agir la phrase jusqu’à ce qu’il fasse noir.
Si dehors ne vaut rien en regard des derniers mots, on allume la lumière sans attendre, le livre à la main, avant de reprendre la lecture avec gourmandise.
Ce soir, je suis à la page 88 d’un livre vers lequel je reviens souvent, Le Livre des Étreintes de Eduardo Galeano:
La Nuit/1
Je n’arrive pas à dormir. J’ai une femme en travers des paupières. Si je pouvais, je lui dirais de partir, mais j’ai une femme en travers de la gorge.
L'orage
(Vaucresson, 18h 20)
Au premier coup de tonnerre, elle sut qu’elle était trop loin de chez elle. Que le ciel se perce et se déverse, sa course de tortue nonagénaire ne la mettrait jamais à l’abri. Alors elle s’est assise sur un banc face aux genets éclatants, elle a fermé sa veste jusqu’au col et le dos droit comme un i, le visage offert aux premières gouttes, elle a écouté l’orage.
Poussé par des vents d’ouest celui-ci tournait autour d’elle comme un grand fauve, elle frissonnait, elle attendait l’assaut, elle était au centre, et plus elle était attentive et offerte, plus elle avait la certitude d’être épargnée. Elle se sentait profondément vivante.
Aurore boréale
(Abbaye d’Orval, 8 mai, 19h10)
C’est un songe au couchant
devant deux petites fenêtres
et une vigne vierge
sur un mur de grès jaune.
Le foyer au centre de la tente,
la fumée qui s’élève
par le trou entre les perches,
le manteau de peau
posé sur un banc,
la main qui tourne le bouillon
dans la marmite de fer blanc,
l’enfant sur le dos d’un renne,
son bonnet à pointes,
l’homme qui vient au loin,
chargé d’une bête,
la longue trace des skis,
et l’aurore, aurore boréale,
les feux du renard,
ce que dit la légende,
la poussière lancée dans le ciel
par la queue du renard polaire
qui court sur la neige.
C’est le songe au couchant
d’un vieux moine
qui suit la migration des rennes
sur la piste d’une vigne
le long d’un mur
qu’il regarde chaque jour
depuis qu’il a prononcé
ses vœux perpétuels.
À la proue des grands pins
(Forêt de Rambouillet, 5 mai, 14h 05)
J’ai vu là à la proue des grands pins
un homme fatigué pensées roulées
comme une fougère naissante
chagrins cachés dans un mouchoir noué
tête oscillant au gré du vent
pieds plantés dans l’herbe sèche
un homme fatigué qui attendait
qu’un navire l’emporte au bal des pompiers
Là ou tu es venu
(Forêt de Rambouillet, 14h 40)
Reviens là où tu es venu, il y a toujours quelque chose à voir que tu n’as pas vu.
Ce pourrait être une phrase de détective, ou d’archéologue.
Non. C’est celle d’un raconteur d’histoires, d’un amoureux,
fidèle aux arbres et aux étangs, qui revient là au printemps.
Il ne cherche rien, il prend ce qu’on lui donne,
un brin de ciel tombé dans l’eau, une mésange à l’envers,
une flaque de lumière qui fait battre son cœur.
On se dit...
(Marnes-la-Coquette, 18h)
À six heures je suis allé au bord de l’eau pour regarder le ciel et les oiseaux.
Il y a quelques jours Thomas Pesquet s’est envolé pour l’espace.
On en a beaucoup parlé. Sans doute avons nous besoin de voir loin, besoin de rêves et de héros.
Plus que tout, ce sont quelques mots à la radio, ou plutôt la façon de les dire qui m’ont bouleversé. Deux secondes à peine, quelques mots de son frère, quelques mots contenus, presque étouffés, d’une infinie pudeur.
À la question du journaliste sur leur dernière conversation téléphonique avant le départ, le frère de l’astronaute répond: « On se dit à bientôt, on se dit bon voyage, rapporte nous de belles photos, on blague un peu, on se dit…qu’on s’aime…. on se dit… »
Il y avait ce « qu’on s’aime » glissé furtivement, un ton plus bas, presque chuchoté, mais bien là, chargé d’autant d’amour fraternel que de pudeur.
C’est cela que je retiens de ce départ, et non le panache de la fusée qui s’élève, la discrète façon de dire l’essentiel, qui en dit tant sur ce que nous sommes.
De l'amour
(Vaucresson, 2 mai, 8h 55)
On nous apprend la fleur
racines, bulbe, gaine, feuilles, tige, calice, nectar, réceptacle, sépale, androcée, pollen, gynécée, style, stigmate, pétale, corolle…
On nous apprend l’eau
un atome d’hydrogène pour deux atomes d’oxygène, état solide, liquide ou gazeux, sels minéraux, oligo-éléments…
De l’amour on nous dit peu de choses
quelques proverbes, des histoires et des chansons, rien sur sa composition…
Je crois que l’amour est fait de fleur et de rosée.