Miniatures éphémères
(Buxerolles, Vienne, 28 février, 18h 10)
Élan
Tout ce ciel, toute cette mer
(Hendaye, 29 octobre, 19h 10)
Dans une demi heure il fera nuit. Petit à petit les surfeurs sortent de l’eau. Certains resteront jusqu’à ce qu’on ne discerne plus les vagues. Rassasié, je suis déjà sorti. Ce fut une belle journée. Fourbu, je regarde les autres, j’admire les traces sur les vagues, calligraphie aussi belle qu’inutile. Gorgé de mer, gorgé de ciel, dans deux jours je rangerai ma planche pour rejoindre la mystérieuse obscurité d’un théâtre. Dans la peau d’un vieil homme perché, je ferai mon possible pour tenir avec moi tout ce ciel, toute cette mer.
La peau du ciel
(Hendaye, 28 octobre, 14h 55)
La peau du ciel
comme un coquillage en éventail
qui contient l’univers
un coquillage au cou du marin
un lacet de cuir sur la peau dure
un coquillage qui se balance
quand la nuit s’agite
quand l’homme tangue
et finit tête en bas
l’univers au bord du trottoir
L'incertitude des nuages
(Hendaye, 19h 20)
La houle est tombée.
Elle revient demain. C’est écrit.
Je guette. Je guette les nuages, je guette la nuit qui vient.
Un vieil homme s’approche. Il semble désorienté.
Il me parle de rose des sables sur une étagère,
il me parle d’une plage de Casamance,
il me parle d’une cabane en haut d’un arbre,
il me parle d’une épave sur les rochers,
il me parle d’une maison qui n’existe plus,
il me parle des vaches sous l’arbre,
il ne cesse de parler.
Il me dit qu’il cherche son chemin,
que ce soir les nuages sont incertains,
que ce ne sont même pas de vrais nuages,
des nuages qui savent où ils vont,
qu’il suffit de suivre pour rentrer à la maison,
non, ceux là sont incertains.
L'élégance des nuages
(Fontarabie vue d’Hendaye,19h 30)
Je sais la menace des nuages qui viennent sur le Jaïskibel,
prémices d’Embata, ou Enbata - je préfère le m au n pour la forme de la montagne et le souffle du vent - Embata, bref coup de vent qui froisse la mer et lève le sable.
Pourtant, le premier mot qui me vient en regardant le ciel ce soir est élégance.
L’élégance des nuages. Elle incite à la patience.
L’élégance des nuages au dessus de la Bidassoa, fleuve frontière. Elle incite à l’accueil.
Au revoir
(Landévennec, Finistère, 8 septembre 2019, 7h 50)
La terre chaude dans le matin froid exhale un souffle de coton.
Nous irons dans la plaine rebondissant sur la nappe blanche,
nos pas silencieux, plus grands au dessus des champs.
Ce que je dis à l’enfant qui babille derrière la porte fermée,
les yeux grand ouverts sur le petit jour filtrant à travers les volets.
Nous irons à la rencontre du soleil encore drapé d’un voile de nuit,
nous irons voir les biches apparaître aux lisières du brouillard.
Ce que je dis à l’enfant qui ne marche pas encore,
ce que je dis sur la pointe des pieds en lui disant au revoir.
Les végétaux la nuit
(Saint-Jean-du-Maroni, Guyane, 3 avril 2019, 13h 45)
Les végétaux la nuit.
L’exhalaison de l’acide carbonique par la fonction chlorophyllienne, comme un soupir de satisfaction qui durerait des heures, comme lorsque que la plus basse corde des instruments à cordes, le plus relachée possible, vibre à la limite de la musique, du son pur, et du silence.
Francis Ponge
Par la fenêtre
(Vaucresson, 20h17)
Lune pleine
la route qui démange
l’âme qui tangue
un nouveau départ
un bateau à aube sur le Mississippi
Muddy Waters à la barre
la même rengaine
de celui qui toute sa vie
dit qu’il partira
il suffit de regarder par la fenêtre
il suffit d’une feuille et d’un crayon
alors il y a les herbes jaunes
les saules jusqu’à l’eau
le chant des peupliers
la vague de l’étrave
jusqu’aux berges
l’enfant qui agite sa main
le rire qui éclabousse
l’éclat bleu d’un martin pêcheur
la barque pleine d’eau
ballottée dans les roseaux
la barque qui coulera
aux prochaines pluies
il suffit de la voix d’un vieil ami
alors il y a le ponton de bois
la fille dans la taverne
qui toute sa vie
dit qu’elle partira
les coudes sur le bar
la liqueur dans la bouteille
le verre qui tape le bois
la bouteille qui tape le bois
le liquide épais sur les parois de verre
le revers de la main sur les lèvres
le rire qui éclabousse
l’éclat d’une boucle d’oreille
l’homme trop bu
affalé sur la table
l’homme trop bu
qui aura oublié aux prochaines pluies
qui sera oublié aux prochaines pluies
La Fabulouserie
( Sculptures de Camille Vidal, La Fabulouserie, Dicy, Yonne, 17 octobre, 12h 20)
La Fabulouserie, collection d’art « hors-les-normes » réunie par Alain et Caroline Bourbonnais.
Venir ici, c’est pénétrer un rêve, des rêves.
Le guide est chaman, ou enfant.
Il est question de survie.
Chaque éclat, métal, bois ou pierre est parole.
Parole empêchée qui a trouvé son chemin dans l’inlassable, l’obsessionnel geste de l’artiste.
Chaque éclat, métal, bois ou pierre est naissance.
Créer pour être là, pour se tenir debout, pour apprendre le monde, la langue des autres.
Jouer et construire, fabriquer, l’artisan est chaman et enfant.
Qu’est-ce que tu fabriques?
Je vis, j’essaye!
La Fabulouserie, 1 rue des canes, 89120, Dicy, www.fabulouserie.com
Les vieux indiens III *
(Marnes-la-Coquette, 11h 20)
L’automne est encore discret. Un peu de jaune et fraicheur matinale.
Les vieux indiens sont encore au bar-tabac, le Cristal, en face du parc.
Vol-au-Vent et Genoux-Écorchés éclusent en racontant l’été.
Vin blanc et poisson lune, un poisson lune de trois mètres pêché sous le pont des soupirs,
une tempête tropicale à Marnes-la-Coquette, des vagues plus hautes que le grand platane,
les yeux en amande d’une iroquoise marchant sur l’eau, l’éclat de ses pas dans le soleil de midi,
vin blanc et chasse au tigre, le regard du félin sur l’autre rive, la soudaine détente, arc de fourrure, jaillissement puis disparition, bruissement des feuilles, terrifiant feulement qui se perd dans le sous bois.
Les vieux indiens n’iront pas naviguer aujourd’hui. Le vin est bon, l’été a encore des secrets sous le coude.
Ophélie au fil de l’eau, Achab sur le pont, Ulysse ligoté, Jonas avalé…
Et quand les bouteilles seront vides, l’été raconté, Vol-au-vent et Genoux-Écorché retourneront à leur barque, leur barque immobile, leur barque à rêver, à se rêver en indiens. Il regarderont tomber les feuilles, ils regarderont les ronds dans l’eau, ils regarderont flotter les feuilles, jaunes, rouges ou brunes, ils regarderont les branches et leurs reflets.
Et quand l’hiver sera là ils iront au Cristal boire encore et raconter l’automne.
Et quand les bouteilles seront vides…..
*Billets du 27/11/ 2020 et du 11/02/2021
Le petit bruit des absents
(Vaucresson, 3 octobre, 20h)
Un petit bruit
dans le silence.
Le feu dans la cheminée?
Le plancher qui craque?
Le vent sous la porte?
Un ver qui creuse le bois?
Le moteur du frigo?
Une lampe qui grésille?
Une souris derrière le mur?
Un robinet mal fermé?
Un oiseau sur le toit?
Un petit bruit
un murmure
un souffle
si léger
le petit bruit des absents.
S'envoler
(Place Stéphane Hessel, Paris 14ième, 18h)
En ville.
De plus en plus souvent, je vois des hommes et des femmes battre des bras, comme ça, soudainement.
On me parle de pathologies post-Covid, de bipolarité, de psychoses, de dérèglement hormonaux, de dysfonctionnements cognitifs, ou de troubles de coordination.
Moi, je crois qu’ils sont de plus en plus à vouloir s’envoler.
Douce-amère
(Morelle douce-amère, Solanum dulcamara, Vaucresson, 9 octobre, 10h 45)
Douce-amère
Une morsure, une égratignure?
Trois gouttes de sang
On en ignore la cause
Soudain une plaie minuscule
Le rouge sur la peau
C’est beau
On lèche
Le rouge sur la peau
Ça pique, un peu
On lèche
Et puis on oublie
La lumière qui manque aux jours qui rétrécissent
(Arborétum de Chèvreloup, Rocquencourt, Yvelines, 11 octobre, 16h 35)
Les érables nous donnent la lumière qui manque aux jours qui rétrécissent.
La cheminée aussi, et puis les néons du bar tabac de la rue des Martyrs,
le phare qui tourne à la pointe du cap du Figuier, la grande roue de la fête à Neuneu,
le bout incandescent de la cigarette de celui ou celle qui attend,
la lune sur le toit, la flaque sous le réverbère,
la lampe de chevet, le livre en dessous,
Le Chant, de Guillevic.
page 161
Est-ce que le chant
D’un oiseau
Aide un autre oiseau
À trouver son chant?
Le Figuier
(Vaucresson, 10h 40)
Quand j’ai les nerfs à fleur de peau, je me cache dans le figuier.
En toutes saisons, j’y trouve un paysage où perdre mon regard, des rivières où noyer mes soucis, des mondes dont la nouveauté seule suffisait à occuper mon esprit, des estuaires que je rejoins de la haute mer pour remonter à la source.
À la belle saison je croque l’oubli dans les fruits murs, en hiver je m’égare dans l’entrelacs des branches.
Je suis reconnaissant à l’arbre d’avoir poussé penché, offrant son dos pour y grimper. L’arbre peut être cheval ou dromadaire quand le jardin s’étrécit.
C’est un arbre du sud, un arbre que j’ai vu grandir. Il faisait vingt centimètres quand je l’ai planté. Il supporte maintenant un homme et ses soucis.
C’est un cadeau. Le cadeau d’une amie peintre. Et j’ai autant de plaisir à m’y perdre que dans ses peintures.
La première page d'un livre
(Forêt de Rambouillet, 12h 20)
Je suis déjà passé par ici.
C’était en février. Il y avait de la neige, des traces de pas dans la neige.
Le volet était ouvert, la vitre cassée. C’est cette ouverture, un oeil noir entre les arbres , qui avait attiré mon regard. Le 13 février, à la même heure exactement (cf post du 13 février).
Cette fois ce sont les ombres des feuilles sur les murs bleus qui m’arrêtent.
Une écriture. Celle des arbres témoins de ce qui est advenu. La première page d’un livre.
Un enfant est né sous ce toit. Sans un bruit. Retenir le cri. D’instinct. L’instinct d’une mère qui depuis si longtemps contient son cri. Lèvres closes à l’instant de la mise au monde.
L’enfant comprend qu’il faut attendre, il faut attendre pour le cri, pour le chant.
Le regard de la mère, la joie dans son regard. Pas sur ses lèvres closes.
Elle emmaillote l’enfant de lambeaux d’étoffes qui disent le chemin parcouru.
Le cri d’une buse, dans le ciel. Alors la mère, la bouche collée à l’oreille de l’enfant, murmure, un murmure comme le pas d’une fourmi.
Écoute, c’est une buse. Au prochain cri de l’oiseau, vas y, donne lui ton souffle, ton cri ne fera qu’un avec le sien.
À nouveau, le cri de la buse dans le ciel. Et le cri de l’enfant, bref, comme le passage de l’oiseau.
C’est un garçon.
Un ami
(Vers la Roche Brulée, Azy, Belgique, 26 septembre, 12h)
Le sentier au dessus de la Semois est escarpé. Dans la pente, chaos de rochers et d’arbres morts.
En bas la rivière sommeille, les eaux sont basses, un léger bruissement. Le marcheur regarde où il met les pieds sur la terre glissante. Il ne peut pas voir la tête blanche fixée au tronc moussu au dessus du chemin.
J’ai glissé sur une pierre humide. À la seconde où je me vis dévaler la pente, j’eus la sensation que quelqu’un me retenait par l’épaule. Figé dans un équilibre précaire, je regardai en bas. À-pic, éboulis, chablis, et l’eau, limpide. Je regardai en haut. Un visage en suspension dans le taillis.
Et cette chaleur étrange à l’épaule.
Une tête en plâtre. Aucun nom. Rien d’autre autour. Une sculpture accrochée à l’écorce, à peine tachée, récente sans doute, ou nettoyée régulièrement. Le buste d’un homme d’un autre temps, contemporain de Caspar David Friedrich, en pleine forêt, loin de tout, sur une pente abrupte.
Est-ce un hommage à un disparu? Un homme qui aurait fait un faux pas, roulé jusqu’au torrent et sombré dans les eaux boueuses? Un homme poursuivi qui se serait effondré au pied de cet arbre? Un homme amoureux de ces lieux qui s’y serait rendu chaque dimanche en famille tenant à leur prouver que le paradis n’était pas si loin?
De retour à la maison, après plusieurs jours de recherches, je n’ai rien trouvé concernant cette tête. Il y a bien eu quelques noyés retrouvés dans la Semois, mais aucune ressemblance avec cet homme.
Ce dont je suis sûr, c’est que si nous nous étions rencontrés, nous aurions été amis. Mais n’est-ce pas ici une rencontre? Et si c’était Caspar David Friedrich, lui-même, celui qui a peint la beauté du chaos, celui dont on dit que le tableau Deux hommes contemplant la lune aurait inspiré à Samuel Beckett l’écriture de En attendant Godot?
Non, il ne ressemble pas au peintre romantique, son costume n’est pas de la même époque, je dirais plutôt fin dix-neuvième, début vingtième. Dommage.Je scrute ce visage, je ressens toujours cette chaleur à l’épaule. Tiens, il a les paupières légèrement tombantes, lui aussi, comme moi…
Zorro
(Bois de Vincennes, Paris, 30 septembre, 18h 05)
Chaque barque avait un nom.
Quand le loueur les avait vus arriver, lui, cheveux gominés, fier comme un coq, elle, corsage largement échancré, ses grands yeux fixés sur son prétendant, paupières battantes, il leur avait choisi la barque Roméo.
Alors lui, dans un élan de virilité affirmée avait dit, la tête tirée vers le haut comme s’il voulait se faire plus grand qu’il n’était: Nous préférons la barque Zorro!
Et voilà qu’au moment d’embarquer, le canot s’éloigne du bord alors que l’homme aux cheveux gominés qui se voulait plus grand qu’il n’était a encore un pied sur le quai.
Le voici grimaçant, jambes écartées, bien trop écartées, grimaçant encore jusqu’à tomber à l’eau en criant un putain de merde en absolue contradiction avec ses manières de séducteur.
Refaisant surface devant les rires moqueurs du loueur et le regard dépité de celle pour qui il se donnait tant de mal, il eut soudain un accès de désespoir. Il ne serait jamais ni Roméo, ni Zorro!
Et il replongea aussitôt…
Braquage
(Les Aldudes, Pyrénées-Atlantiques, 10 août, 17h)
Il étaient trois. Armés jusqu’aux dents. Pistolets et couteaux de bois. Ils sont arrivés pédalant et trottinant à toute allure. Arrêt brusque devant la terrasse du café, dérapages controlés, crissements de pneus. Ils sont venus vers nous, armes au poing, déterminés. Le plus grand a parlé.
- Hauts les mains! Fric, papiers, vêtements, bagnoles, on veut tout, on veut votre vie de grand! Et que ça saute!
- Vraiment? Vous y tenez, à nos vies de grand? Votre vie de petit en échange?
En parlant je lorgnais le cochon à roulette. Ma voiture contre le cochon à roulette…