Miniatures éphémères
(Hendaye, 28 juillet, 15h 25)
Bibliothèque
Les baigneuses
(Hendaye, 28 juillet, 21h 05)
Elles ont attendu le soir
Elles ont laissé les maris sur le bord
Il leur fallait la plage toute entière
Pour elles toutes seules
Elles ont papoté jusqu’à l’eau
La vie, les enfants, les maladies
Les joies et les peines
La charge mentale dit-on
Elles ont dansé, un peu
Et puis elles ont nagé, nagé…
Carte postale
(Hendaye, 21h 20)
C’est un ciel de carte postale.
Quelques lignes écrites à la plume de l’oiseau.
Ce que l’on veut.
Madame, il va pleuvoir demain, il fera plus frais, je serais là pour vous réchauffer.
Ou
Mamie, ici il n’y a pas la guerre, on va à la mer tous les jours. Le chat a mangé l’oiseau, j’ai gardé les plumes.
Ou
Mon amour, la plage est immense, tu me manques.
Ou
Tonton, j’ai pêché un poisson, il était pas bon, je l’ai mangé quand même, c’est moi qui l’ai pêché.
Ou
Cher ami, avez vous remarqué combien le temps court le jour puis soudain ralentit au crépuscule?
Ou
Papa, j’espère que tu n’as pas trop chaud au bureau. Hier j’ai nagé où j’ai pas pied.
Ou
Pépé, maman a dit qu’on viendrait te voir bientôt. On a mangé des beignets abricot.
Ou
Monsieur le président, regardez comme c’est beau. Si vous arrêtiez un peu vos conneries.
Ou
Salut toi, pas le temps de regarder le ciel. Je n’ai plus de jambes mais des pourboires plein les poches.
Ou
Papa, hier j’ai vu un homme qui avait fait un grand dragon de sable, très beau. Il avait mis des bougies tout autour et une boite pour les pièces. Est-ce-que c’est un métier?
Ou
Petite sœur, hier j’ai rencontré un surfeur. Ce soir on a rendez vous au bout de la plage.
Ou
Chers amis, nous sommes bien arrivés, le chien aboie, la caravane passe.
Ou
…
Pinpin
(Hendaye, 21h 05)
Il y a un coin pour les solitaires au bout de la plage.
Le soir on n’y croise pas grand monde.
On entend quelques barques qui remontent le chenal vers le port.
Protégés par les ganivelles, Queues de lièvre, Chardons, Immortelles et Lys maritimes
apaisent le regard de celui qui a trop regardé la mer.
Ce soir je m’égare dans un champ de Queues de lièvre, le Lagure ovale, que l’on nomme aussi Gros-minet, Doudou, ou Pinpin.
Je m’égare dans un champ de Pinpin pour ne pas penser.
J'ai déjà parlé ici du Bout de la plage (Post du 17 juillet 2018) et j'en reparlerai sûrement encore...
Entrelacs
C'est son nom
(Hendaye, 21h )
Quand il suit les escargots il ne va pas bien vite
Quand il suit les oiseaux il file à toute allure
Quand il suit quelqu’un il marche pareil
Si l’homme boite il boite, si l’homme danse il danse
Il entre, il sort, sans savoir, juste pour voir
Il a su dire bonjour avant de savoir dire son nom
Il dit qu’il a les yeux bleus parce qu’il y a la mer dedans
Il accroche des bouts de ficelles aux branches
Ou aux poignées de portes, pour ne pas se perdre
Quand il est amoureux il peut rester longtemps sans bouger
Très longtemps
Sous la terre
(Aubazine, Corrèze, 20 novembre 2021, 10h 35)
Je chemine dans la montagne, sur une route très ancienne.
Soudain passe un troupeaux de chevaux sauvages.
La terre résonne sous les sabots. La terre est creuse.
Les chevaux sont passés et la terre sonne encore.
On frappe sous la terre, quelqu’un veut sortir.
Ou simplement échanger quelques mots.
Des nouvelles
(Trévignon, Finistère, 1er juillet, 19h 05)
Au phare de Trévignon trois silhouettes figées sur les rochers dans l’éclatante beauté du paysage attendent des nouvelles.
Un oiseau s’approche et s’en va sans même se poser.
Les trois hommes soupirent. Il faut encore attendre.
Ils savent que les nouvelles ne seront pas bonnes, mais ils verront l’oiseau se poser, ils verront ses ailes lentement se replier, ils entendront ses petits coups de bec, le bruit de ses pattes sur la pierre, puis ils verront ses ailes à nouveau se déployer.
La fleur, la pierre et l'âne
(Col de la Croix de Bor, Lozère, 19 juillet, 19h 25)
Il venait de loin, il tenait un âne par la bride.
C’était un poète cheminant dans la montagne, en compagnie d’un âne bâté chargé de livres et de cahiers.
L’homme s’extasiait de tout, disait ses vers à son âne, avant de les noter sur un cahier à la halte du soir.
Au col de la Croix de Bor, il y avait une fleur et une pierre à l’entrée d’un chemin de lumière.
L’homme s’est assis sur la pierre, a posé la main sur la pierre.
iI a répété plusieurs fois le mot pierre, puis le mot fleur, la fleur et la pierre, plusieurs fois.
Il sentait la pierre rugueuse sous sa paume, il voyait la fleur dans le sillon de soleil, quelque chose venait, il allait parler, l’âne soufflait doucement…
Alors l’âne a mangé la fleur et a pissé sur la pierre, un gros jet jaune qui éclaboussait.
La Route qui parle de nous
(Entre Le Jolan et Notre-Dame-de-Valentine, Cantal, 12h 20)
C’est un paysage à galoper sur une route qui n’a pas de nom.
Un panneau, Notre-Dame-de-Valentine.
Valentine, c’est aussi le nom d’un village de Haute-Garonne dont ma mère parle très souvent, mon grand-père y est enterré.
Alors nous avons pris la route de Notre-Dame-de-Valentine, une route étroite qui n’a pas de nom et se finit en cul de sac sur une chapelle de pierre au sommet d’un piton rocheux.
Dans la chapelle, il y avait un vieil homme assis sur un banc de bois. Les mêmes dents en avant, la même moustache que mon oncle Pierre dont ma mère parle si souvent, un homme que j’ai tant aimé.
Sur ce plateau, le vent semble y habiter, les vaches ont une magnifique robe brune et des cornes impressionnantes, les framboises sauvages pullulent dans les talus.
Et il y a cette petite route que je nommerais désormais, la Route qui parle de nous.
Le col de la Croix de Bor
(Col de la Croix de Bor, D 59, Lozère, 21h)
D’un festival à un autre nous repassons par la montagne.
Nous venions de passer le col des Trois Sœurs, j’attendais celui de la Cerisaie, ce fut celui de la Croix de Bor.
Une femme qui chargeait son foin nous a dit: Vous serez bien là-haut pour passer la nuit.
Elle avait le visage rouge et le sourire large comme ses hanches.
Oui, c’est vrai, on est bien là-haut.
Le ciel change, il n’est plus aussi lisse que ces derniers jours. Il fait moins chaud.
Hier j’ai entendu un homme au nez cassé, un peu éméché, dire à une femme au visage froissé, assise à ses côtés sur une marche de pierre: Tes joues sont douces, tes seins sont doux, tes mains sont douces, avec toi la vie est douce….
Le soleil descend. On est bien là-haut.
Caragouille
(Travaillan, 16 juillet, 17h 30)
Petit blancs de Provence, escargots des steppes, caragouilles rosées,
Ils fuient la terre trop chaude, grimpent aux herbes pour un peu d’humidité nocturne,
Et je tourne en rond dans le pré des caragouilles
Tandis que le feu prend des Monts d’Arrée à Barbentane en passant par la Teste-de-Buch,
Je tourne en rond dans le pré des caragouilles
Je deviens caragouille, petit blanc de Provence, escargot des steppes,
Et je m’étonne de tant de beauté au bord du précipice
Incendie
(Avignon, 19h 30)
Le festival d’Avignon bat son plein, les murs dégueulent d’affiches, au sud la forêt brûle. Je bois un verre avec un ami qui me parle de sa fille terrorisée par l’avenir. Des cendres tombent lentement sur la ville, les yeux piquent, la gorge gratte, la table noircit et la roue tourne.
Canon en ré majeur de Johann Pachelbel
(La rose trémière)
(RoseTrémière, Travaillan, 19h)
Lampion de papier froissé d’un 14 juillet caniculaire
Anémone de mer au creux de l’oreille
La mer est-elle venue jusqu’ici?
Sombres flétrissures, veines et rides creusées par le vent
Au crépuscule la fleur lance son dernier chant
La terre se craquelle, les grenouilles se dessèchent
La rivière est à sec, pas même une flaque
Les insectes se font rares
Une sauterelle, un couple de charançons
Et quelques mouches
Je n’ai rien vu d’autre aujourd’hui
La peau de la vieille dame pend sous ses bras
Le vieux tient sa vieille par la main
Le puit est à sec
Les yeux des vieux sont à sec
La fleur lance sont dernier chant
C’est un canon en ré majeur
Arrondir les angles
(Travaillan, Vaucluse, 20h15)
J’ai connu un diplomate qui avait passé sa vie à arrondir les angles.
Dans ses dernières volontés il demanda que son cercueil fût circulaire.
Son souhait fut exhaussé. Seulement ce format se révéla incompatible avec le caveau familial.
Un second caveau, bien rond celui-ci, fut construit à côté du premier.
Il demeura ainsi seul pour l’éternité.
Trésors
(Huelgoat, Finistère, 2 juillet, 17h)
Or, quartz, trésors
Quelques cailloux au fond de l’eau
Brillent dans le regard du môme
Il plonge vivement sa main
Les cueille, les glisse dans sa poche
Il faut attendre le couchant
Pour que le gisement s’épuise
Alors le môme rentre chez lui
Les poches pleines et trempées
Un secret
(Huelgoat, Finistère, 2 juillet, 16h 30)
La vieille dame était allongée sur son lit, le visage tourné vers la fenêtre, les yeux clos dans la lumière.
L'enfant s’est penché sur son oreille et a murmuré tout bas, prenant garde à ce que personne d’autre n’entende:
Un jour je serais vieux comme toi.
L'homme qui danse
(Kersolf, Finistère, 1er juillet, 14h 30)
Je l’ai vu venir de loin sur le chemin.
Il claudiquait, un bâton pas très droit dans la main.
La ligne de son dos, la taille de ses pas, lui donnaient un grand âge.
Je l’ai vu s’arrêter, planter son bâton, et regarder les nuages.
Il dansait au ralenti épousant les formes dans le ciel.
Les nuages se délitaient, l’homme dansait de plus en plus vite.
Soudain le ciel fut d’un bleu parfait et l’homme s’évapora.
Le bâton était toujours là planté sur le bord du chemin.
À son extrémité, il y avait un bourgeon.
La porte était ouverte
(Œdemère Noble sur Chardon, Arborétum de Chèvreloup, 16h)
Il faisait beau.
La porte était ouverte.
Monsieur Pierre s’en est allé.
Sur un chardon il y avait l’éclat vert d’un coléoptère.
Monsieur Pierre a pensé aux yeux de Danielle.
Alors il a pris la route de Chatillon.
Il a suivi les panneaux.
Et puis il n’y eut plus de panneaux.
Monsieur Pierre a regardé le ciel.
Il y avait un petit avion qui bourdonnait. Il volait vers le sud.
Monsieur Pierre a pensé à son voisin, Eric, le pilote.
Alors il a suivi l’avion, vers le sud.
Et puis, l’avion a disparu.
Alors Monsieur Pierre a suivi le bruit de l’avion.
Et puis ce fut le silence.
Monsieur Pierre a regardé le chemin.
Il y avait sur le talus un papillon sur un bleuet.
Un Demi Deuil. Monsieur Pierre se souvient des noms des papillons, et des oiseaux.
Il a pensé aux costumes d’Aristide.
Alors il a pris la route de Soumagou….
(Demi Deuil sur Bleuet, Arborétum de Chèvreloup, 16h 15)
Peter Brook
(Les Bouffes du Nord)
(Vaucresson, 9h)
Un regard bleu intense, espiègle, un bonjour coloré d’un accent anglais au charme indémodable,
au théâtre des Bouffes du Nord Peter Brook saluait tout le monde jusqu’au moindre ouvreur dont il connaissait le prénom.
C’était en 1977, nous avions joué dans ce théâtre Prends bien garde aux Zeppelins de Didier Flamand. C’était ma première fois. Je n’avais du théâtre qu’une profonde intuition et un désir sauvage. Ma seule formation consistait en cet atelier à la faculté de Jussieu avec Didier Flamand et Jean Luc Terrade, atelier qui m’a conduit à participer cette année là aux spectacles de Didier(Prends bien garde aux Zeppelins) et Jean-Luc( Select Hotel) aux Bouffes du Nord.
C’était une époque débridée, j’allais où l’on bousculait les conventions. Ce théâtre était le lieu idéal. C’était un théâtre à l’italienne qui était longtemps resté à l’abandon. Peter Brook l’avait investi et gardé quasiment en l’état. L’artifice des ors et rouge velours avait disparu, ne restait que la vie brut que dessinent les peintures écaillées.
Après le spectacle de Didier, j’étais resté travailler dans ce merveilleux théâtre. Durant trois saisons, j’y ai pratiqué tous les petits métiers, ouvreur, caissier, contrôleur, réceptionniste, barman et régisseur plateau.
Nous étions une bande de jeunes comédiens embauchés à l’accueil des spectateurs. Nous refaisions le monde et rêvions à de grands projets sur les marches du théâtre. Jean-Claude Carrière nous avait même un jour proposé une grange de sa maison de campagne comme lieu de répétition.
Chaque soir, je regardais le spectacle jusqu’au bout. J’étais comme un oisillon au bec grand ouvert. Je me souviens de chaque détail D’Ubu Aux Bouffes. Quand je pense à tous les spectacles de Brook que j’ai vus, la première sensation est celle d’une respiration et de l’immensité, de l’espace et de l’âme.
Un soir, c’était pendant la Conférence des Oiseaux, je croise Peter Brook dans le couloir. Il me demande avec son habituelle délicatesse de lui porter un sandwich et un verre de vin dans son bureau. C’était le moment, en tête à tête, j’allais pouvoir lui dire toute mon admiration, à quel point l’essence de son théâtre me touchait. Je frappe, j’entre, il était en train de travailler avec quelqu’un. Merci beaucoup Pierre, posez ça là, me dit-il avec cette voix douce et chantante immédiatement identifiable. Bien sûr je n’ai rien osé dire, j’étais bien trop timide et maladroit.
Côtoyer Peter Brook et son équipe durant trois saisons fût sans doute l’une de mes plus belles formations.
Nous étions sur la route, avec Sophie ma compagne quand nous avons appris sa mort.
C’est en 1977 au Bouffes du Nord que j’ai connu Sophie, elle distribuait les programmes au premier étage quand je contrôlais les billets au rez-de-chaussée.
Je dois beaucoup au Théâtre des Bouffes du Nord.
J’entends à la radio dans une rediffusion d’interview, Brook trouvant le mot « disparition » , concernant le décès de Jean-Claude Carrière, inapproprié. Jean-Claude est toujours présent dit-il, il n’a pas disparu, il s’en est allé, simplement.
Puis parlant du grand âge et de la fin: C’est comme ça.
Bon voyage Monsieur Brook et merci infiniment.