Les vieux indiens IV*
(Marnes-la-Coquette, 16h 55)
Vol au Vent et Genoux Écorchés viennent à leur barque.
L’embarcation est pleine d’eau.
Ils ne navigueront pas aujourd’hui, ni sur l’eau ni dans les cieux.
L’après-midi est extraordinairement chaude.
Quelque part, un enfant pleure.
Vol au Vent et Genoux Écorchés s’assoient sur la berge
Ils regardent le fond de l’eau.
Les grands arbres s’y reflètent jusqu’à la cime.
Le sillon d’une poule d’eau trouble l’image.
Ils attendent que la surface s’immobilise.
À nouveau ils plongent leurs regards.
Tout en bas le bleu du ciel est plus chaud.
Ils plissent les yeux. C’est à celui qui verra le plus profond.
À celui qui remontera le plus loin dans ses souvenirs.
Vol au Vent se souvient d’un jouet et d’un chagrin.
Les deux étaient indissociables. Le jouet calmait le chagrin en même temps qu’il le fixait dans sa mémoire. Un petit autocar bleu ciel et la mort de sa grand-mère.
Genoux Écorché se souvient d’un chien devant une boulangerie. La peur des aboiements aussi violente que le désir des gâteaux aux étals.
Vol aux Vent et Genoux Écorchés ont les yeux presque fermés.
Vol au Vent se souvient de la poussière sous un radiateur. De la poussière et de la chaleur. De la douceur.
Genoux Écorchés se souvient d’un parfum. Les pavés humides et glissants d’une arrière cour.
Vol au Vent se souvient de sa main dans une autre main tellement plus grande.
Genoux Écorché se souvient d’une voix derrière une vitre sale. Une voix d'homme.
Maintenant ils ferment les yeux.
Soudain Vol au Vent se souvient d’encore plus loin, avant d’être Vol au vent….
« Je me souviens d’avant, bien avant, j’étais une…. »
Genoux Écorché le regarde stupéfait.
Et voici la poule d’eau qui revient en gloussant. L’eau se trouble à nouveau. Le souvenir s’échappe avant même de s’être dévoilé.
* I,II,III billets du 27/11/2020, du 11/02/2021, du 16/10/2021