Lever
Le clapot de l’eau
Sur la rive sombre
Le jour se lève
9 mm Parabellum
(Hendaye, 19h)
Un ciel indigné
De l’encre noire
Pouce appuyé de force
Pour relever les empreintes
Un coup de feu
Annoncé d’une phrase assassine
Un adolescent
Une balle en pleine poitrine
Un voile noir sur le regard
Noir
Noir
Noir
Et ça gronde
De larmes accumulées
D’incompréhensions
D’une confiance dissoute dans les insultes
Où est-il le gendarme de Guignol
Qui faisait rire les enfants
Un Sig-Sauer SP 2022 9MM Parabellum
À remplacé le bâton
Au petit théâtre de Guignol
Les bancs sont vides
Les enfants sont dans la rue
Bon courage
(Hendaye, 20h 30)
Je suis parti à l’aube.
Un nuage de particules venu du Canada voilait le soleil.
De plus en plus de camions sur la route.
J’ai vu à une station service un chauffeur aux jambes si lourdes qu’il avait du mal à marcher.
Les jambes d’un gars qui passe sa vie dans son camion.
Ces gars qui vont du camion à la douche de la station leur trousse de toilette sous le bras.
Des camions qui transporte des tas de trucs dont on a pas forcément besoin.
En fin d’après midi j’étais dans l’eau, les jambes frémissantes.
Je viens rendre visite à mon père qui repose au fond de la baie.
Nous n’étions jamais d’accord, mais nous aimions discuter.
Mon optimisme naïf, revendiqué, se heurtait à son pessimisme réaliste.
Je suis venu prendre quelques vagues et donner des nouvelles d’ici bas.
Elle ne sont pas terribles les nouvelles, peut-être bien que tu avais raison papa.
À l’est c’est le bordel, à l’ouest ça crame, ici ça se raidit…
Mais bon, l’eau est bonne, et toute à l’heure Arthur, ton arrière petit fils m’a fêté mon anniversaire au téléphone, un chouette petit gars de deux ans et demi qui répète tout.
Sais tu que chaque fois qu’il dit au revoir, il rajoute: Bon courage!
C’est qu’il doit souvent l’entendre cette expression…
Serpents corail
(Bois du Butard, La Celle-Saint-Cloud, 25 juin, 21h 25)
Arbres braisés, arbres bagués, arbres serpents corail
Au bois du Butard dans la fraicheur du soir
Taches rouges du couchant sur les troncs dressés
Et la rêverie s’enflamme quand les arbres glissent
En sinuosités sur les feuilles mortes
Dans le reflet du saule
Dans le reflet du saule un poème de Li Bo (701-762):
Pourquoi vivre au cœur de ces vertes montagnes?
Je souris sans répondre, l’esprit tout serein.
Tombent les fleurs, coule l’eau, mystérieuse voie…
L’autre monde est là, non celui des humains.
(Poème extrait du livre de François Cheng, D’où jaillit le chant, la voie des fleurs et des oiseaux dans la tradition des Song, éditions Phébus)
Démission
(Dégrad-des-Cannes, Rémire-Montjoly, Guyane, 6 juin, 8h 40)
Il a eu du mal à l’écrire.
Une lettre de démission.
Il ne suffit pas de le dire, il faut l’écrire, et ça il ne sait pas bien.
Il connait mieux les moteurs que les mots, n’a jamais pu écrire une ligne sans tacher de graisse la feuille.
Cette fois ci, c’est fait. Il débarque définitivement. C’est officiel. Après quarante ans sur les mers, à fond de cale, les mains dans le cambouis.
On disait de lui qu’il avait l’oreille absolue de la mécanique, capable de détecter la panne avant qu’elle n’arrive.
Mais il faut savoir s’arrêter. Surtout quand l’oreille faiblit et qu’on a fait dix fois le tour des mers en répétant les mêmes gestes.
Il est sur le pont, son sac sur l’épaule. Les grues tournent, déjà on décharge les conteneurs.
Il s’en fout.
Le parfum des bois et de la pluie vient jusqu’ici, couvre celui des huiles.
Il regarde le fleuve Mahury qui remonte loin à l’intérieur des terres bordé de ce vert impénétrable.
Il y a tant à explorer.
Et le ciel applaudit.
Orage et poussières
(Sur la D 177 entre Auneau-Bleury-Saint-Symphorien et Ablis, 18 juin, 19h 10)
Nous revenons de chez notre fille à Buxerolles. Quelques jours à partager les rires et découvertes du petit fils.
Après un arrêt à Chambord pour voir l’exposition de Lionel Sabatté qui travaille avec les poussières et rebuts organiques du château, nous sommes pris sous l’orage.
Le ciel est noir dessus les prairie jaunes, l’eau déborde des fossés et caniveaux, le vent couche les blés et emporte feuilles, fleurs, pollens et branches qui couvrent la route.
Nous roulons au pas dans une lumière de fin du monde.
Aucune photo du ciel zébré d’éclairs à l’est, du blanc claquant des éoliennes et chateaux-d’eau, de la ligne contrastée noir sur jaune, nous roulons sur la plaine de Beauce défaite de sa monotonie.
Quand enfin, après l’orage, nous nous arrêtons sur un banal bas côté, je découvre à l’ouest le ciel maintenant allégé, ouvert à une soirée parfumée d’humidité.
je suis alors cueilli par la vision du marcheur de Giacometti qui avance à contre jour, plus grand que les arbres et les maisons, qui ne serait pas de bronze mais de poussières et fils de fer, comme les loups de Lionel Sabatté.
(Poussières des cimes de Chambord, photographie révélée à la poussière des cimes de Chambord et aux poussières de l’atelier de l’artiste sur toile, Exposition Lionel Sabatté: Pollens clandestins, Château de Chambord, jusqu’au 17 septembre. On peut voir d’autres images, notamment des loups sur le site du château, chambord.org)
Avant la nuit
(Saint-Laurent-du-Maroni, 3 juin, 18h 15)
Rentrer avant la nuit, avant que le ciel et la nuit tombent, c’est ce qu’il faudrait, c’est ce qu’il se dit.
Pourtant il pagaie de moins en moins vite.
Le ciel s’encombre, la nuit vient et il ralentit.
S’envelopper une dernière fois d’inconnu, à quelques encablures du dégrad.
Libellules et Demoiselles
Les jours
(Rhyothémis plutonia, Montsinery-Tonnégrande, Guyane, 29 avril, 16h 35)
Enlaçant un brin d’herbe sur le sentier du bagne des annamites
Epousant le feuillage d’un jeune saule en forêt de Rambouillet
Brindille parmi les brindilles dans une prairie de Buxerolles
De loin en loin Libellules et Demoiselles marquent les jours
Petit poème silencieux
(Awala-Yalimapo, Guyane, 4 juin, 11h20)
Cette après midi je suis allé au marché de la poésie.
On aurait dit une volière.
Impression renforcée par les hautes barrières grillagées qui entourent le marché sur la place Saint-Sulpice.
Alors je me suis dit que ce soir j’écrirai un petit poème, un petit, mais un poème quand même.
Mais voilà, je suis flemmard et mon amour vient de rentrer.
Ce ne sera que le silence d’une image.
Soigner avec nos fantômes
(Crique Pierre, Saint-laurent-du-Maroni, 3 juin, 17h 40)
Je titube, comme le marin de retour après des mois de haute mer.
Il est tard. À Vaucresson La nuit de juin a un parfum d’adolescence.
Je viens d’assister à une rencontre avec Philippe Charlier, medecin et ethnologue, Delphine Horvilleur, rabbine et écrivaine, et Wajdi Mouawad, metteur en scène, sur le thème Soigner avec nos fantômes, au formidable festival Récithérapie à l’hopital Pitié-Salpêtrière.
Le frigo ronronne comme le bruit lointain d’une pirogue solitaire qui remonte le fleuve.
Je suis immobile dans la maison vide. Je tends l’oreille. le chant des grillons est resté, au creux, comme un acouphène, un délicieux acouphène.
J’écoute. Je n’attends rien. Je sais que la nuit est peuplée.
Sophie est auprès de ses parents, vieux et malades. Elle m’a rapportée il y a quelques jours cette phrase stupéfiante de sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer:
Si on faisait l' autopsie de mon être, on verrait que je suis avec vous sans être là.
Je la réentends ce soir. Nous savons si peu de ceux dont nous devons prendre soin. Acceptons cette ignorance, tendons l’oreille, apprenons.
Un bijou
(Abeille orchidée, Euglosa dilemna, La Carapa, Macouria, 6 juin, 11h 40)
Une abeille orchidée, très occupée.
Dernières images de Guyane, quelques heures avant de m’envoler.
Un bijou. On sait combien les abeilles sont précieuses.
Un cadeau.
Hier soir à l’aéroport j’ai été controlé je ne sais combien de fois.
Quand je leur ai dit que je ne ramenais que de l’amour dans mes bagages, ils n’ont même pas souri et ont fouillé ma valise.
Ce qu’ils avaient pris pour des paquets de shit ou de coke en passant la valise au scanner, n’étaient que les bouquins que je trimballe toujours avec moi.
Ciel d'orage
(Awala-Yalimapo, Guyane, 4 juin, 11h)
Sur la plage d’Awala
Ciel d’orage
Chiens errants
Et le Maroni là bas
Qui rejette ses eaux brunes
50000 habitants à Saint-Laurent
Officiellement
80000 officieusement
5000 il ya 45 ans
Et partout ces mômes qui cavalent
Qui me tapent dans la main
Après le spectacle
Je les vois par milliers
Emportés dans le courant
Vers où?
Marie Emmanuel
(Saint-Jean-du-Maroni, Guyane, 11h 40)
Sauterelle, criquet ou grillon, je n’ai pas encore réussi à identifier ce merveilleux insecte.
Il était posé près de la tombe de Marie Emmanuel Debray au cimetière des relégués de Saint-Jean-du-Maroni.
Il n’y a que deux tombes identifiées parmi des centaines dont il ne reste que l’emplacement marqué par un rectangle de fougères.
Deux tombes, quelques pierres à moitié enterrées, des bougies, deux noms, Marie Emmanuel Debray et François Baumann.
Étaient condamnés à la relégation les récidivistes, même pour de petits délits, que l’on jugeait incorrigibles, irrécupérables. Bannis de notre bonne société, bons pour les colonies, à l’autre bout du monde, en Guyane ou Nouvelle-Calédonie.
Marie Emmanuel, plombier couvreur de profession, condamné pour quelques vols et tentatives de vol, est mort ici à 39 ans au bout de dix ans de travaux forcés, après s’être vu refuser une n ieme demande de relégation individuelle (une mise en liberté avec interdiction de quitter le territoire).
Le cimetière est sur une butte, entourée de jungle. Le silence est impressionnant. La forêt se tait.
Un peu de vent, le bruit d’une feuille ou d’une graine qui tombe et cet orthoptère qui me regarde, les antennes vibrantes, posé sur une branche épineuse qui se balance légèrement au dessus de la sépulture de Marie Emmanuel Debray.
Alors, en attendant de trouver le nom exact de l’insecte, petit bout de vie qui se laisse approcher sans crainte, je l’appellerais Marie Emmanuel.
Dans le post du 5/10/2015 je parlais déjà de ce lieu.