Le Jardin Miroir
( Le Jardin miroir, Chaumont-Sur-Loire, 18 septembre, 11h 20)
Au Jardin miroir des près du Goualoup se sont égarés plus d’un Narcisse.
Le soleil sur la berce
(Vaucresson, 24 septembre , 10h 20)
Il y avait un petit jardin au pied des tours.
Un jardin oublié que le soleil peinait à atteindre.
Un jour on a entendu des coups de marteau qui résonnaient entre les hauts murs.
De petits coup brefs, répétés.
En se penchant aux fenêtres, on vit un homme dans le jardin.
Il construisait un banc avec le bois de palettes abandonnées.
Une fois le banc terminé, il s’assit face à un bouquet de berce commune que le soleil éclairait entre dix heures quinze et dix heures trente.
Il resta là jusqu’à ce que la lumière passe.
On referma les fenêtres, on ne s’intéressa plus au jardin.
Le lendemain on se pencha à nouveau pour vérifier que le banc était encore là.
À dix heures quinze l’homme revint s’assoir, jusqu’à dix heures trente.
Il venait chaque jour de beau temps.
On prenait plaisir à vérifier sa présence.
Un jour, vint un deuxième homme.
Il restèrent assis côte à côte en silence à regarder le soleil sur la berce.
Puis vint un troisième homme.
Il fallut se serrer sur le banc.
Et puis un jour, les coups de marteau résonnèrent à nouveau en bas des tours.
On vit alors un quatrième homme fabriquer un deuxième banc.
La grâce
Il y avait plus de quatre ans que je n’avais pas revu celle que j’appelais « ma petite Polonaise », mais ma mémoire n’avait pas subi la moindre défaillance. Elle avait un visage aux traits si fins qu’on avait envie de le prendre au creux de la main et une vivacité harmonieuse dans chaque mouvement qui m’avait permis d’avoir une très bonne note à mon bac de philo. J’avais choisi l’esthétique à l’oral et l’examinateur, excédé sans doute par une journée de travail, m’avait dit:
- Je ne vous poserai q’une question et je vous demande de me répondre par un seul mot. Qu’est-ce qui caractérise la grâce?
Je pensai à la petite Polonaise, à son cou, à ses bras, au vol de sa chevelure, et je répondis sans hésiter:
- Le mouvement.
J’eus un dix-neuf. Je dois mon bac à l’amour.
Romain Gary, Les Cerfs-volants, Édition gallimard
La couleur de ses pensées
(Bois de Saint-Cucufa, 12h 05)
Elle attend son chien qui n’en fait qu’à sa tête.
Elle n’appelle pas. Elle laisse faire.
Il pleut. Un léger crachin. Petite pluie sur son front, sur ses joues.
Le chien fouille les feuilles mortes. Au bois de Saint-Cucufa.
Elle s’appuie contre un arbre. Le bleu de son blouson, les verts et rouges de l’écorce.
La couleur de ses pensées.
L'Enfant dans le Taxi
(N 10, 27 août, 20h 40)
Il y a des auteurs qui vous écoutent autant qu’il vous parlent.
À les lire, ils semblent être assis à vos côtés, attentifs.
Vous sentez battre leur cœur, leur souffle se mêle à votre respiration.
Vous lisez tous leurs livres.
Vous les lisez au petit matin, dos à la fenêtre qui donne sur le jardin, aux premières lueurs.
La compagne, ou compagnon dort encore. La lumière du nouveau jour suffit.
Une phrase vous accroche. Vous la relisez. Plusieurs fois. Pour la retenir il faudra la dire.
La dire à l’être aimé à son réveil.
Sylvain Prudhomme est l’un de ces auteurs.
Ce matin je lis les dernières pages de L’Enfant dans le Taxi. Il y est question de famille, de secret, des pères et des fils, des amours et séparations, d’absence, de manque… ce livre est merveilleusement tissé.
J’entends Sophie se réveiller.
Je lui dirai:
« Je voudrai vivre dans un monde où les choses puissent se dire en face, la vérité s’affronter. Où chacun de nous soit assez libre et fort pour accueillir la liberté des êtres qui l’entourent. »*
* L’Enfant dans le Taxi, Sylvain Prudhomme, Éditions de minuit.
Un matin silencieux
(Chaumont-sur-Loire, 18 septembre, 12h 05)
La tige brisée, le papyrus effleure l’étang
Perles d’eau au contact de l’ombelle
Une jeune fille pose sa main sur l’eau fraiche du bassin
Perles d’eau au contact de la peau
Un enfant caresse la surface de la mare d’une plume d’oie
Perles d’eau au contact des barbes et barbules
Perles d’eau semées ici et là sur le chemin d’un matin silencieux
Collée au rétro
(Hendaye, 14h 10)
Y a une vieille Citroën au fond du jardin
Une vieille bagnole qu’il a bichonné des années
Du temps de la route, du pétrole, et de l’insouciance
Il traçait, le coude à la portière, en fumant des sans filtres
Ses cheveux prenaient le vent et ses dents prenaient la lumière
Il vendait de la quincaillerie dans des bleds paumés
Il avait le boniment clinquant et le clin d’œil réflexe
C’est plus qu’un chauve aux dents branlantes
On lui a piqué son permis et y a plus de gasoil
Alors il fait pousser des salades et lit des polars
Et quand le blues sonnent à la porte
Il file se planquer au fond du jardin
Il se cale au volant de sa caisse mutique
Un paquet de clopes sur le tableau de bord
Et collée au rétro la photo d’un de ses paysages préférés
Le temps des catastrophes
(Fontarrabie, vue d’Hendaye, 10 septembre, 20h 20)
Le vieux devin se métamorphose en chien.
Dans sa forme canine ses sens sont exacerbés.
C’est le temps des orages, le temps des catastrophes.
Ce soir le ciel flambe au dessus du parador.
Une boule de feu lancée pour balayer l’homme debout.
Les oreilles du chien se dressent, sa truffe palpite.
Le devin frissonne. Il ne sait pas si ce qu’il voit est le passé ou l’avenir…
Murmure
(Vaucresson, 2 septembre, 18h 45)
Elle est comme cette vieille dame immobile dont la voix s’éteint dans l’air trop chaud.
La rose murmure à l’oreille du jardinier.
À peine entrouverte, elle perçoit la fin.
Elle a tant à dire, avant que ne flétrissent ses lèvres, avant que la tige épuisée ne tienne plus sa tête.
La voix n’est qu’un filet d’eau dans le lit d’un ruisseau à sec.
Le jardinier n’entend pas les mots.
Il n’entend qu’un infime bruissement, feuilles brassées, pierres frottées, un éclat parfois, une syllabe, une seule, à peine entrevue, une grenouille qui saute dans la flaque.
La rose chuchote et le jardinier n’entend pas les mots.
Les noms sous le soleil
(Vallée de la Vaucouleurs, de Rosay à Septeuil, Yvelines, 11h 45)
Nous partons sur les traces de l’arrière-grand-mère de Sophie.
Ernestine Dujardin enterrée à Septeuil.
Sa tombe n’est pas très loin de celle d’Eugène Raton.
Juste le plaisir des noms sous le soleil.
Ernestine a eu deux maris.
L’un mort à la guerre de 14-18, l’autre mort à la guerre de 39-45.
Trouvait-elle la paix sur les bords de la Vaucouleurs.
À l’ombre des saules.
Nous lisons les noms sur le monument aux morts de Septeuil.
En tête de liste, avant les frères Collichon et Lizabaut, un certain Jules Apoil.
Un sourire dans le brouillard des familles décimées.
En forêt
(Paon du jour, Aglais io, Forêt de Rambouillet, 11h 20)
(14h 15)
(Criquet à ailes bleues, Œdipode caerulescens, 15h 25)
Longue marche en forêt de Rambouillet
Salué par le Paon du jour
Le parfum des pins
Et le silence
J’oublie le ciel
J’égare mon regard
L’ombre des fougères sur le chemin
Plus forte que les traces
Le sable, puis la terre, puis l’herbe, puis la pierre
Un éclat bleu turquoise
Le criquet aux ailes bleues se pose sur le caillou
Il replie ses couleurs
Se lie à la pierre du chemin
Je disparais
Dans le sable, dans la terre, dans l’herbe, dans la pierre
Un lit et des draps blancs
(Saül, Guyane, 14 mai, 17h 10)
Elle n’est plus très épaisse mais toujours vive.
Elle garde ses volets fermés. Le clair obscur enrichit son intérieur.
Les murs sont noirs, mais les draps sont impeccables.
Un lit et des draps blancs. Son seul luxe. Une barque. Pour se perdre.
Et un napperon à la fenêtre. Pour dire qu’elle est là, qu’elle l’attend.