Un air de printemps
(Arboretum de Chèvreloup, 20 février, 10h 35)
Le brouillard ne résiste pas aux amoureux
Broussin
(Le Faune et le Chêne, suite, post du 13 février 2021)
(Forêt de Rambouillet, 15 février, 15h 20)
Je suis revenu tâter le ventre de l’arbre engrossé par un faune .
Trois ans déjà que j’ai découvert cette étrange idylle.
Le ventre s’est élargi et palpite toujours.
La gestation est longue.
À moins que le monstre à naître refuse de rejoindre un monde dans lequel il pressent qu’il ne sera pas le bienvenu.
L'Homme Tortue
(Une histoire d'Arthur et le Vieux)
(Forêt de Rambouillet, 15 février, 13h 55)
(Un petit coin de forêt que j’aime bien, posts du 8 octobre 2021 et du 17 février 2021)
C’est un mois de février printanier. Arthur et le Vieux vont sur les sentiers sablonneux de Rambouillet précédés de nombreux papillons jaunes.
Ils s’arrêtent devant la cabane verte prise dans les pins, en bas de la Route du Chêne du Renard, juste avant Les Hayes.
La porte et les volets sont fermés. Le Vieux appelle. Personne ne répond.
Personne, dit le Vieux, il a du aller faire un tour.
Qui?
Mon ami, c’est sa maison.
Comment il s’appelle?
Je ne sais pas, je l’ai toujours appelé L’Homme Tortue. Je passais un jour par là, lorsque je l’ai vu me faire signe du pas de sa porte. Il tenait un stylo et un carnet. Il voulait m’échanger un peu d’encre contre une histoire ou deux, son stylo était sec. Ça tombait bien, j’ai toujours sur moi de quoi écrire. Je lui ai donné mon stylo, un stylo bic quatre couleurs. Il m’a dit chouette je vais aussi pouvoir dessiner. Voici son histoire, la première qu’il m’a racontée:
C’était un brave et gros homme tortue qui allait partout sa cabane sur le dos.
Il fit halte un jour de printemps dans une clairière plantée de jeunes pins.
Il posa sa bicoque et parla aux arbres nouveaux.
Cet homme tortue avait déjà beaucoup voyagé. Il était très bavard.
Il parla si longtemps qu’il ne vit pas passer le temps et grandir les arbres.
Quand il se tut, une haute futaie encerclait l’homme et sa maison.
Impossible de se faufiler entre les troncs, son lourd bagage sur le dos.
C’était un signe, il était temps de s’établir.
Il choisit de rester et surtout de noter tout ce qu’il avait dit.
Voilà, Arthur, l’histoire de mon ami. Je viens parfois ici lui échanger de l’encre contre de nouvelles histoires. Aujourd’hui il n’est pas là, il est sans doute aller courir après les papillons.
Et aujourd’hui t’as un stylo?
Oui
Tu peux me le donner?
Bien sûr, mais ce n’est pas un quatre couleurs, c’est un noir.
C’est bien aussi. Tu me le donnes?
Tiens Arthur.
Arthur prend le stylo, le met précautionneusement au fond de sa poche. Il compte bien le garder et repasser par ici, tout seul.
Chagrin mouillé
(Arboretum de Chèvreloup, 20 février, 10h 45)
Les deux pieds dans la boue, chagrin sous la pluie, il regarde un cormoran posé les ailes grand ouvertes tout en haut d’un arbre.
Le cormoran le regarde, petit homme mouillé et solitaire au bord de l’Étang du Héron.
Alors il grimpe le petit homme chagrin trempé, il grimpe tout en haut de l’arbre se blottir dans les plumes.
Que fais-tu là? Dit le cormoran.
Ben, je viens me réconforter dans tes bras dit le petit homme douché.
Que crois-tu, je fais sécher mes ailes
Ah bon, mais il pleut.
Oui, mais quand je sèche mes ailes, la pluie cesse.
Quatre autres cormorans posés sur les branches voisines écoutaient la conversation.
C’est ce que tu dis, dirent-ils en chœur, n’empêche que ça ne marche pas toujours et là, pour l’instant ça ne marche pas du tout.
Ça c’est sûr, dit le petit homme ruisseau, tu as les plumes qui gouttent.
Alors le grand cormoran, le plus grand, le plus haut, donne de grands coups d’ailes qui rajoutent de la pluie dans tous les sens et dit:
D’accord, il pleut et ça n’est pas prêt de s’arrêter, mon ami. Nous sommes cinq, cinq oiseaux aux becs robustes et aux vols puissants. En quelques coups d’ailes nous pouvons de porter au dessus de la pluie.
Les voilà qui saisissent le petit homme gouttière, deux par les jambes de pantalon, deux autres par les manches, et le cinquième par le col, et s’en vont percer les nuages.
Quelques heures plus tard un jeune pilote prénommé Antoine aux commandes d’un Lightning P 38, croise sous un soleil radieux au dessus d’une mer de coton, cinq oiseaux noirs tenant en leurs becs un petit homme hilare.
Couleurs
(Roche du Curée, Route des Quenouilles, Forêt de Rambouillet, 15 février, 12h 20)
Mousses, lichens, feuilles et rouille sur le rocher
La Roche du Curée, un trou, un cul de sac
Les chiens hurlent, les gardes crient
L’homme traqué n’a plus d’échappatoire
Il se concentre sur l’explosion de couleurs
Dans l'intimité des brumes
(Arboretum de Chèvreloup, 20 février, 10h, 35)
C’est la nuit ou les jours de brouillard que se promènent les fantômes.
Ils sont discrets. Ils apprécient l’intimité des brumes.
Ils sont aussi nombreux, aussi différents que le sont les arbres dans les bois et les parcs.
C’était un matin voilé. Le grand préposé aux rideaux ne s’était pas réveillé.
Je savais qu’en allant à Chèvreloup je trouverais à qui parler.
Oh, pas grand chose à dire, juste quelques questions dans l’opacité de l’air.
Pourquoi se confondent si souvent passé et futur?
Pourquoi je trouve parfois si beau ce qui fait si peur à d’autres?
Il y avait beaucoup d’oiseaux ce jour là, les sentiers étaient boueux.
J’ai longtemps marché, d’arbre en arbre, jusqu’à ce que, vers midi, le voile se lève.
Les Prunus étaient en fleurs, aux Saules pendaient de longues branches d’un vert tendre.
Le général
(Forêt de Rambouillet, 15 février, 16h 20)
Une procession entre les arbres
Ce sont des enfants
Un chien va devant
Un Terre-neuve noir
Derrière un petit frappe des cymbales
Le plus fort qu’il peut
Quatre autres portent un cercueil de branches mortes couvert de fougères d’hiver
D’autres suivent en chantant à tue tête
Ils portent des nappes en guise de cape
Ils vont enterrer un arrière grand-père qu’ils n’ont pas connu
On leur a raconté l’histoire de cet ancêtre général qui refusa d’envoyer ses hommes à l’abattoir
Un général couvert de décoration qui soudain à Verdun désobéit aux ordres
Les enfants lui rendent les honneurs
Ils vont au Panthéon
Un monceau de bois posé contre un vieux chêne
Après le bois de bouleau
Déjà y logent un renard, un chat, le Père Noël, Anne Sylvestre, Jacques Prévert
Et René, l’oncle magicien disparu au Tibet
Ils suivent le chien habitué au raffut des enfants
Les bêtes sauvages les regardent passer en silence, figées
La procession va entre les arbres
Trace une allée dans les fougères froissées
Et tout au fond du bois
Dans l’ombre des bouleaux serrés les uns contre les autres
Le général en grand uniforme
Les observe avec fierté
Au bout du fil
(Le Chesnay, Yvelines, 17h 10)
Sur le parking désert d’un centre commercial
Un homme fait les cents pas le téléphone à l’oreille
Il parle fort, fait de grands gestes
Comme s’il voulait stopper la course des nuages vers le couchant
On n’identifie pas la langue de sa rage
Seuls surnagent des noms propres
Alexeï Navalny, Poutine, Ukraine, Nétanyahou, Gaza, Hamas…
Il parle fort, les nuages vont vite
Il n’y a personne au bout du fil
Le garde forestier
(Bois de Saint-Cucufa, 19 janvier, 16h)
Au cœur du bois de Saint-Cucufa,
il y a une barrière de bois.
Elle ferme le jardin de la maison forestière qui surplombe l’étang.
Il y a un peu de neige qui fait plus noirs les corbeaux.
J’y vois courir les traces du môme que j’ai été.
Un chien aboie, deux poules caquettent.
La porte de la maison est ouverte.
Un homme se tient là, debout, un mug de café fumant dans la main.
C’est le garde forestier.
Il a l’air de celui qui pour rien au monde ne changerait de métier.
Le chat a mangé la montagne
(Hendaye, 27 janvier, 10h 50)
Soleil et brouillard
Fraicheur d’un matin irisé
L’enfant a les yeux collés
Sa mère le réveille
Doucement
Fermement
C’est l’heure
La mère a les yeux cernés
L’enfant regarde par la fenêtre
Il dit:
Le chat a mangé la montagne
Elle dit:
Il a aussi bouffé l’usine on dirait
Et ils se recouchent
L’un contre l’autre
Dans le grand lit clair de la mère
La danse des épis dans le vent discret
(Vaucresson, 6 février, 9h 45)
Un long manteau, jusqu’aux chevilles presque, sur la tête une chapka les oreilles tombantes, dans la main un cabas de supermarché, toujours sous la main pas dans les fonds marins écrit dessus, des bouteilles vides qui tintent dedans, l’homme est très grand, ses pas sont tout petits, il se tient droit, comme s’il cherchait à toucher le bleu du ciel du bout de sa chapka.
Son ombre est immense dans le soleil du matin. Les autres vont vite sur le trottoir qui vient d’être nettoyé, ils vont travailler. Lui va lentement, très lentement, il s’accroche à son ombre.
Il s’arrête devant un parterre d’herbes sèches. Il regarde la danse des épis dans le vent discret, longtemps, très longtemps.
L'être idéal
(Musée Maillol, Paris 7ième, 14h50)
C’était un sculpteur perfectionniste et orgueilleux, un solitaire qui passait sa vie sur le même motif, modeler l’être idéal, le seul habilité à lui tenir compagnie. Après des années de tentatives infructueuses il eut la surprise un soir d’hiver de sentir frémir l’argile. Les lèvres de la statue s’animèrent. Il recula, un mètre, deux, puis contempla l’œuvre du bout de l’atelier. Elle irradiait, le regard fixe, vers lui, son créateur. Elle avait des mains d’une finesse exceptionnelle, des mains à délier tous les imaginaires.
Ça y est! j’y suis! Il parlait tout haut, tremblait, fiévreux, le visage soudain rouge. Tu es là, au centre. Je vais vider, nettoyer l’atelier. Aucune autre sculpture que toi n’a de place ici, désormais.
Tu es mienne et moi-même, mon double, mon amour, mon obsession. Je porterai mon lit ici, je couvrirai le sol et les murs tachés de tapis et tentures. Je choisirai des rouges et des bleus pour grandir ta blancheur. Nous regarderons s’éteindre la ville en écoutant le concerto pour piano en la mineur de Robert Schumann…
Alors, elle répondit. La statue qui le regardait de haut sur son socle répondit.
Non! Je déteste Schumann et les romantiques. J’ai du les supporter tout le temps de ton labeur. Il n’est pas question que je reste ici. Tu m’a créée. Je ne t’appartiens plus. Je suis libre. C’est ainsi.. Je veux voir le monde, je veux être vue du monde. Il me faut d’autres regards…
Stupéfait, il se jeta sur la sculpture pour la faire taire. Il sentait la bouche vibrer sous sa main. Un bras tenta de le repousser. Il devint fou, atterré et enragé, il la fit tomber de son socle. Elle perdit son nez, un bras, un pied, un bout de sein. Mais pas la parole.
Artiste de merde, laisse moi vivre, tu m’a fait pour ça, non!
Il s’effondra dans un coin de l’atelier.
Calme toi, se dit-il, ce ne sont que des hallucinations, un excès de travail, un burn-out….
Et il vit la statue se relever, ramasser ses morceaux, mettre le tout dans un cageot et sortir par la porte, le cageot sous le bras restant.
Un veilleur
(Forêt de Rambouillet, 18 janvier, 14h 30)
« On ne peut pas connaître un pays par la simple science géographique…On ne peut, je crois, rien connaître par la simple science; c’est un instrument trop exact et trop dur. Le monde a mille tendresses dans lesquelles il faut se plier pour les comprendre avant de savoir ce que représente leur somme… Seul le marin connait l’archipel » Jean Giono, L’eau vive
C’est le premier épigraphe du livre « Les derniers rois de Thulé » de Jean Malaurie, premier volume de la collection Terre Humaine (Plon) fondée par l’auteur.
Ce livre est à portée de main dans ma bibliothèque. Les pages ont jauni. J’avais vingt ans quand je l’ai lu. Un livre dédié aux esquimaux polaires de Thulé. Le récit de quatorze mois seul à leurs côtés, en 1950, quatorze mois d’apprentissage, quatorze mois pour commencer à comprendre un peuple, un mode de vie. Un livre d’une intensité rare.
Jean Malaurie consacrera une grande partie de sa vie aux inuits.
Ce livre est l’un de ceux qui m’a le plus marqué et j’ai autant de reconnaissance que d’admiration pour cet homme et son œuvre, une œuvre qui va bien au-delà des livres.
Jean Malaurie est mort aujourd’hui à l’âge de 101 ans. C’était un veilleur.
« Toute société sans transcendance, habitée par une civilisation à dominante matérialiste et dirigée par les seules forces financières, est, à terme, condamnée. »
Jean Malaurie, lettre à un inuit de 2022
Magie
(Buxerolles, Vienne, 16h 30)
Un vieux mur et quelques traces de peinture sur les bords du Clain.
De quoi voyager loin vers l’est où les montagnes surplombent des vallées de pierres,
Où les rivières apparaissent et disparaissent, gèlent et dégèlent,
Où les quelques arbres sont d’insensés signes d’espoir,
Où les vents soufflent sur les yeux plissés,
Où les enfants courent derrière les troupeaux de chèvres,
Où les hommes ont les mains rêches et la langue sèche,
Où les femmes règnent et veillent dans l’ombre,
Où la lueur de l’âtre brille dans les yeux de ceux qui se regardent en silence.
De quoi remonter la rivière loin vers demain et encore plus,
Se demander quelles interprétations auront les archéologues d’une nouvelle humanité
Devant ces peintures et gravures rupestres.
Y verront-ils aussi de la magie?
Normes
(Buxerolles, Vienne, 17h 05)
Il y a une vieille bâtisse au fond du parc de Valvert.
Ancienne maison de maître devenue centre de loisir après rénovation, elle est maintenant définitivement fermée. Elle n’est plus aux normes.
Les gamins qui tournent autour, cherchent une issue, un carreau à casser, se foutent totalement des normes.
Au Grand-Fouilloux à Saint-Maurice-La-Clouère
(Le Grand-Fouilloux, Saint-Maurice-La-Clouère, Vienne, 14h 10)
Je m’arrête pisser
Sur la D 741
Une route qui sonne comme un jeu de dés
Il y a un hangar de tôle qui semble abandonné
Je m’approche
le Grand Fouilloux
C’est le nom sur le panneau
Sur la commune de Saint-Maurice-La-Clouère
Un vent mouillé fait bouger les tôles disjointes
La petite musique des cabanes
Des cabanes de ceux qui font avec ce qu’ils trouvent
Dans le hangar, de vieilles machines
De la ferraille inutile
Le ciel a la couleur de la tôle
Pas d’effet "rayon de soleil avec la poussière dedans"
Les machines restent sans vie
Sans mémoire
Les machines d’un agriculteur qui aurait baissé les bras
Ou n’aurait trouvé aucun repreneur.