vendredi 31 mai 2024


Le bruit de la pluie sur les palmes

(Rorota, Remire-Montjoly, Guyane, 5 mai 2023, 12h 26)

À Vaucresson, une pluie drue me surprit ce matin sur le chemin de la gare. Je ramassai un morceau de plastique épais laissé sur le trottoir pour me protéger. Le son de la pluie sur le plastique était  exactement celui de la pluie sur les palmes de la forêt guyanaise. Je suis resté là, sur le trottoir, entre la gare et ma maison, immobile sous la pluie, mon bout de plastique sur la tête, jusqu’à ce que cesse l’averse.

jeudi 30 mai 2024

 

Sylvestre

(Château du Ravier, Frasnay-Reugny, Nièvre, 19 mai, 9h)

Elle se tenait pied nus dans la boue près de l’abreuvoir. Une dame blanche sortie des brumes. Elle tenait haut sa robe dévoilant des jambes de porcelaine. Damoiselle de Thoury, s’est-elle présentée, née en 1750 morte en couches en 1773, je loge dans ces pierres, approchez monsieur, n’ayez pas peur, je sais qui vous êtes, écoutez mon histoire, racontez la et je serai libérée. Elle me parlait à l’oreille, sa voix était comme le vent dans les herbes, je frissonnais.


J’ai aimé à la folie, un homme à tête de cerf qui vivait dans la forêt de Vincence. L’homme au visage allongé portant ramure avait été rejeté à sa naissance, trop effrayant pour le commun des mortels. Il s’était réfugié au plus profond des bois en compagnie des bêtes. 

Un jour, partie en chasse à courre bien malgré moi avec Monseigneur de Thoury, mon père, et ses amis, je quittais cette détestable troupe pour aller me perdre loin sous les épais feuillages tenant mon cheval par la bride. C’est au bord d’un étang que je le vis, infiniment triste, penché sur l’eau luisante.

On entendait au loin sonner le cor. Il s’est redressé, m’a aperçue, a esquissé un geste de fuite, s’est ravisé et s’est approché. Aucun mot ne peut dire ce que je ressentais à cet instant, c’était un tel tumulte d’émotion, d’excitation, corps et cœur aux abois. Je l’ai serré dans mes bras, j’ai caressé son corps d’homme, j’ai caressé ses bois de cerf, doux et veloutés. Il n’avait pas de nom. Personne n’avait pris la peine de le nommer, on ne voulait pas de ce monstre. Je le nommai Sylvestre. 

Nous nous retrouvions régulièrement, je m’éloignais de la communauté des hommes, j’utilisais d’insensés stratagèmes pour détourner les chasseurs de ces bois. On voulait me marier, je me refusais à tous les prétendants et passais de plus en plus de temps en forêt. Des rumeurs commencèrent à circuler sur mon compte, on me disait diablesse. 

Puis mon ventre a grossi. Mon père craignant le scandale me fit enfermer.

J’entendais chaque nuit mon amant bramer de détresse.

L’enfant grandissait. J’avais parfois la sensation qu’il allait me percer le ventre. Lorsque j’ai perdu les eaux, un bois pointu est apparu, le reste ne pouvait suivre cette voie trop étroite, je suis morte épuisée et déchirée après des heures de travail sous le regard effaré de l’accoucheuse.

On étouffa l’accident, on jeta mon corps dans une tourbière en bas de la colline.

Racontez mon histoire monsieur, ce seront mes funérailles, je vous en serais infiniment reconnaissante.

mercredi 29 mai 2024


Marcello

(Venise, 23 janvier 2018, 15h 25)

Il va au hasard, toujours à pied, il change de nom chaque fois qu’il change de chaussures. Aujourd’hui, il s’appelle Marcello. Quand au fond d’une impasse il se cogne à un mur il chante.

Une voix de baryton qui caresse les portes et les fenêtres. Son chant peut être bref ou interminable, c’est selon le chemin qui l’a mené jusqu’ici. Parfois aucune fenêtre, aucune porte, ne s’ouvre; il fait demi tour tranquillement. D’autres fois on le chasse; il file. D’autres fois encore on l’applaudit, on l’invite même à entrer; il fait connaissance. 

Une fois, il est resté une semaine au troisième étage d’un immeuble ancien chez une dame presqu’aveugle qui lui a demandé de lui lire de sa voix chaude toutes les lettres de son mari défunt, les lettres de ses enfants et celles d’un amant de printemps. Les lettres les plus longues était celles de l’amant. 

Dans un autre pays, une autre ville, un jour sa voix a déplu. Un objet lancé d’une fenêtre criant « ça suffit! » l’a assommé. Quand il a repris connaissance, il faisait nuit, un chat jouait à ses côtés avec les débris d’une statuette de terre d’un dictateur bien connu. Il a caressé le chat en lui chantant tout bas Bella Ciao, puis s’en est allé en se frottant la tête marquée d’une jolie bosse.

Un autre jour, dans un pays où le soleil tape sur les maisons blanches, une bombe a crevé le mur devant lequel il chantait. Il n'a pas bronché, debout, couvert de poussière, puis a repris sa route tout droit en escaladant les gravats. Il est resté plusieurs mois sans voix.

 

mardi 28 mai 2024


Chevauchée

(Vaucresson, 10 mai, 18h 05)

Le vent dans les herbes sous l’érable du japon

Des milliers d’hommes portant drapeaux

À cheval sur la terre rouge vibrant sous les sabots

Une seule couleur aux étendards

Vert 

lundi 27 mai 2024


Vers l'ouest


(Bellegarde, Tarn, 25 avril 2017, 20h)

Le ciel s’est ouvert d’un coup, comme le sourire du petit qui vient comme ça quand on ne s’y attend pas. Il est tard, ça sent la pluie, la route mouillée prend encore un peu de lumière. Jimmy marche entre les flaques, il va vers l’ouest, il ne sait pas où, il va fier et joyeux, il va chercher du travail. Maintenant il y a un sourire de plus à la maison. Il va  vers l’ouest. À chaque naissance il part vers l’ouest, il y a toujours de l’embauche à l’ouest. Il va comme ça, s’arrête dès qu’il trouve, reste un temps et rentre à la maison. C’est la quatrième fois. Il y a de plus en plus de bruit à son retour à la maison. Il va fier et joyeux, mais une petite appréhension lui grattouille le cœur. Et si un jour, il n’y a plus d’embauche?

dimanche 26 mai 2024


Miniatures éphémères

(Frasnay-Reugny, Nièvre, 19 mai, 10h 20)

Sur son petit nuage

samedi 25 mai 2024


Vieilles voitures

(Grenade, Haute-Garonne, 20 février 2017, 17h)

Je connais un gars qui n’a pas un rond et adore les vieilles bagnoles. Le soir, avant de s’endormir, il feuillette un magazine Auto Rétro aux pages froissées et tachées à force d’être tournées. Il se choisit une voiture pour la nuit, une pas trop grosse, qui tienne dans son jardin au cas où il se réveillerait avec, il ferme les yeux et il part en virée dans la nuit noire. Une nuit, il s’est tiré en 404, il s’est planté dans un fossé sur une route des Pyrénées, il s’est réveillé très tard ce jour là, avec une bosse sur le front. Une autre nuit, il a choisi une DS verte, il a pris une fille en stop dans la Mayenne, elle avait une robe verte, vert jade, comme la voiture du magazine. Au réveil, la fille était dans son lit.



(Rome, Italie, 10 avril 2017, 17h 20)


 

vendredi 24 mai 2024


Bastien

(Saül, Guyane, 16 mai 2023, 10h 15)

Bastien, mon ami, mon frère, le gars qui ne parle qu’aux tortues*, s’est mis colère hier. On a bousillé sa cabane, aplatie, tordue, tout mêlé, ses affaires, la tôle et les planches. Il n’a sauvé que son assiette et sa cuillère. On lui avait dit de partir, qu’ils allaient mettre des panneaux solaires dans la prairie, un champ de panneaux solaires, un grand champ d’électricité. Bastien, il y a des trucs qu’il ne comprend pas, alors il n’est pas parti, et quand ils sont venus avec le tractopelle, il ne s’y attendait pas, il s’est mis colère, colère colère. Et la colère, ça lui fait des crises avec après des trous dans la tête. Quand il a repris connaissance, il était dans la voiture des pompiers accroché à son assiette et sa cuillère de fer blanc. Quel jour on est? Comment tu t’appelles? Quel mois on est? C’est qui le président de la république? Tu es né quand et où? Le pompier insistait. C’est toujours comme ça après les crises, il lui faut du temps pour tout remettre en ordre, il préfère se taire, à moins qu’une tortue passe par là. Il a fait motus bouche cousue, et dès que les gars ont tourné la tête , il s’est tiré dans le bois et s’est planqué dans un tronc creux.

Là, il attend que ça se range dans sa tête. Il manquera des bouts comme chaque fois, mais ce n’est pas grave, c’est joli la dentelle. 

Et puis il sait que je vais venir, que je vais le trouver, je le retrouve toujours, c’est comme ça, on est liés, à la vie à la mort, mon ami, mon frère.


*Post du 13 avril 2016 

jeudi 23 mai 2024


Sur le chemin

(Frasnay-Reugny, Nièvre, 17 mai, 20h)

Jess caresse les herbes sur le chemin et le paysage ronronne. 

mercredi 22 mai 2024


La Valse du Petit Chien

(Frasnay-Reugny, Nièvre, 19 mai, 9h)

Madame de Molière se lève tard. Avant de prendre son café, elle fait le tour du jardin en robe de chambre, récite quelques poèmes aux fleurs et aux escargots, reste un instant immobile face aux champs qui s’étendent au-delà, puis s’assoit à son piano et joue la valse du Petit Chien, de Chopin. Chaque jour le même morceau, chaque jour une interprétation différente. Ce matin elle vient d’avoir 86 ans et le temps est à la brume, le tempo est un peu plus lent.

mardi 21 mai 2024


Une signature de ciel

(Frasnay-Reugny, Nièvre, 17 mai, 19h 50)

Le soleil tombe, frôle les herbes, et vient le soir. Jess revient des vaches, il traine ses guêtres  sur la route de Viemont, il n’est pas pressé de rentrer. L’année prochaine, il entre au collège, en pension comme dit la grand-mère, on ne peut pas faire le trajet tous les jours. Il ne pourra plus aller aux vaches matin et soir, parler aux grenouilles et aux grillons  avant de s’endormir. 

Ce soir, il prend son temps, s’accroche au paysage et respire pour une année entière. 

Il a remarqué un truc chez les grands, il faut signer des papiers, souvent. Alors maintenant qu’il devient grand il va lui falloir une signature à lui aussi, oui, une signature de grand. Il va s’entrainer, signer d’un trait, la première lettre qui gonfle, et le reste qui suit, d’un trait, comme le nuage là bas, une signature de ciel, c’est ça, il signera comme le ciel de chez lui au dessus des vaches. 

lundi 20 mai 2024



(Frasnay-Reugny, Nièvre, 19 mai, 9h 15)

Portrait de groupe dans le matin calme 

dimanche 19 mai 2024


Miniatures éphémères

(Frasnay-Reugny, Nièvre, 10h 25)

Songe d’un matin calme sur l’ail des Indes 

samedi 18 mai 2024


Les voisins

(Frasnay-Reugny, Nièvre, 13h 20)

Nous sommes venus fêter l’anniversaire d’un cousin à Frasnay-Reugny. La maison est pleine, on rit, on chante, on écrit, on gonfle des ballons, tandis que cuit le gigot de sept heures, on prépare la fête.

En fin de matinée, je dois m’absenter une heure ou deux, répéter le spectacle que je reprends la semaine prochaine, Le Pas de la Tortue, né de ce blog, d’histoires de terrains vagues et de bords de route. Je vais à l’écart, dans la maison mitoyenne abandonnée, rachetée il y a quelques années par nos hôtes. La maison de Robert qui ne voyez plus rien à la fin de ses jours. Son fils lui tirait des fils dans le potager pour qu’il puisse passer son motoculteur malgré sa cécité. Le jardin en a gardé quelques trous… La maison de la femme de Robert, une polonaise rejetée par la famille de Robert à leur mariage. Est-ce pour cette raison qu’on ne se souvient pas de son prénom. Je la nommerai Agnieska, il lui faut un prénom, comme lui en a un. Elle est décédée bien avant lui. C’était des voisins bougons, violents parfois, leur hargne cachait une magnifique histoire d’amour.

Je répète face à ces pièces en enfilade. la maison est froide et humide, je joue sans mesure pour me réchauffer, je raconte toutes mes histoires à la maison vide.

À la fin, le balai posé contre le mur tombe et le chapeau au dessus de la porte se décroche. 

Est-ce un signe de Robert et Agnieska, un salut, des applaudissements, ou des sifflets… 

vendredi 17 mai 2024


En haut de la colline

(Frasnay-Reugny, Nièvre, 19h 45)

On voit jusqu’au Morvan, il y a des oiseaux, des grenouilles et quelques vaches qui lui tiennent compagnie. Pour rien au monde il échangerait sa maison en haut de la colline. Il aimerait juste que de temps en temps quelqu’un s’arrête et frappe à la porte pour lui demander un service. Il aimerait bien ça, rendre service…

jeudi 16 mai 2024


Manège 

(Bar-le-Duc, Meuse, 7 novembre 2023, 17h 10)

C’est un gars qui a la chance en peau de banane, des heures qu’il fait claquer et biper les machines pour que dalle, il ne lui reste plus que quelques pièces au fond des poches, de quoi se payer un dernier tour de manège avant de rentrer le ventre vide et la tête pleine de « j’aurais pas du » . Il est monté dans le Speed Flip histoire de se mettre la tête à l’envers pour nettoyer.

La machine à déraillé, la nacelle a décollé, ça sentait l’orage et le court circuit, ça sonnait comme un bandit manchot qui disjoncte. On le croira pas mais le voilà catapulté dans l’espace  avec les oreilles qui sifflent et tous les voyants au rouge.  Le futur ou le passé, y sait plus trop où il va, quand raisonnent les pierres et les tambours. Il est aspiré dans un trou noir, dans le chat d’une aiguille, dans un câble XLR. Il retombe sur ses pattes dans un terrain vague envahi d’angélique devant un chien errant qui le regarde la tête penchée en disant ça va aller, ça va aller…


mercredi 15 mai 2024


Un anniversaire

(Sculpture de Suzanne Kiniksi (Arviat, Nunavut), Vaucresson, 13 février, 8h 50)

Un anniversaire sur l’étagère

entre les Myriades d’oiseaux de Utamaro

Et le Petit Tokaido d’Hiroshige 

mardi 14 mai 2024


Sapajou


(Saint-Laurent-du-Maroni, Guyane, 30 avril 2023, 18h 20)


Elle parait bien plus grande avec sa coiffure en ananas. Elle l’appelle mon sapajou, elle le tient dans ses bras. C’est comme ça quand le soleil se couche sur le Maroni, on s’aime un peu plus fort, en silence. Lui, il aimerait bien que le soleil reste accroché aux nuages, il a peur du noir.

lundi 13 mai 2024


Entre les deux...

Une aventure de Rick Delaveine, surfeur et batteur de jazz de renommée internationale

(Îlet Saint-Georges, sur l’Oyapock, entre le Brésil et la Guyane, 24 mai 2023, 6h 10)

Il est comme ça Rick, le cœur comme un saloon aux portes battantes.

Il est venu à Saint-Georges cueillir les chants du Kanmougé.

Chez Modestine, il a rencontré Joséphine, une institutrice aux pieds nus.

Il a fait son timide, lui a dit un poème de Pablo Neruda:


Tes pieds

Quand je ne peux regarder ton visage
je regarde tes pieds.
Tes pieds. Leur os cambré.
Tes deux petits pieds durs.

Je sais bien qu’ils te portent
et que sur eux se dresse
le doux poids de ton corps.


Ce n’était pas la première fois qu’il disait ce poème, et ce ce ne sera pas la dernière, c’est comme un ver de tête, une musique qui tourne dans la tête et qui s’entête. Il y a des poèmes comme ça  qu’on dégaine sans s’en rendre compte quand s’ouvre la porte du saloon.

Il n’a plus pensé aux chants du Kanmougé.

Il est resté trois jours collé contre elle à écouter tomber la pluie sur la tôle du carbet.

Le lundi elle est allée bosser, elle lui a dit attends moi là. Mais Rick, quand il est décollé, il a la bougeotte. Il a traversé le fleuve pour cueillir à Oyapok des chants d’orpailleurs.

Au bar du Floresta, il a rencontré Manuella, une brésilienne aux mains d’obsidienne.

Il lui a dit un poème de Reiner Maria Rilke:


Dame au balcon

Soudain elle apparait, enveloppée de vent,

claire dans la clarté, arrachée semble-t-il,

et sa chambre, taillée en biseau,

remplit la porte derrière elle,


Celui là c’était la première fois, il l’avait lu quelques jours avant à la seule librairie de Cayenne. Il ne se souvenait que du début, il a jaillit comme un courant d’air. 

Manuella n’a rien compris, elle ne parle pas français, mais elle l’a regardé les yeux ronds, touchée par sa voix de tambour.

Ils ont marché toute la journée bras dessus bras dessous dans les rues de terre rouge d’Oyapok.

À la nuit tombée, il a regardé ses chaussures couvertes de poussière et a pensé à Joséphine.

Il a dit à Manuella, je ne peux pas rester, je dois retourner à Saint-Georges ce soir, je reviendrai.

Au milieu du fleuve, il a dit au piroguier, laisse moi sur l’îlôt, j’ai le cœur sous pression, reviens me chercher demain 

Le gars du carbet lui a loué un hamac. Rick s’est balancé toute la nuit, les portes du saloon ne cessait de battre.

Au matin il est retourné au Brésil, Manuella n’était plus là.  Il est reparti dans l’autre sens. Le piroguier s’est dit que c’était vraiment un bon client. 

À Saint-Georges Joséphine lui a claqué la porte au nez.

dimanche 12 mai 2024


Miniatures éphémères

(Orval, Belgique, 23 avril 2021, 15h 50)

Confusion 

samedi 11 mai 2024


Un cadeau

(M° Porte de la Chapelle, Paris, 21h 40)

C’est au théâtre des Bouffes du Nord.

Ça s’appelle La Cachette, une production du Baro D’Evel. Ils sont trois, Camille Decourtye, Blaï Mateu Trias et Nicolas Lafourest.

Ça chante, ça joue, ça danse, ça dessine, ça tourne la terre, et la tête, c’est tendre, sauvage, sensuel, ça parle d’amour, de tentatives, de ratages, du temps qu’il reste, de là, maintenant, de l’urgence d’essayer, ça ne se prend pas au sérieux.

C’est si vivifiant. Je n’ai qu’une envie, prendre la main de celle qui est à mes côtés, courir vers le couchant le long de la voie ferrée, monter en haut des grues illuminées, hurler comme un loup qui appelle à la vie, faire tous ce qui n’est pas permis avant que le soleil ne se couche.

C’est au Théâtre des Bouffes du Nord, là où j’ai joué pour la première fois en 1977, où j’ai rencontré celle qui me tient la main tout en haut de la grue.

C’est au théâtre des Bouffes du Nord et c’est un  magnifique cadeau. 

vendredi 10 mai 2024


Le bouton d'or

(Vaucresson, 18h)

Au fond du jardin

Dans les hautes herbes

Un secret pointe le bout de son nez 

jeudi 9 mai 2024


Miniatures éphémères

(Vaucresson, 18h 45)

Petite fugue 

mercredi 8 mai 2024


Le Sanglier 

(Parc de Saint-Cloud, 6 mai, 15h 45)

Infatigable coureur des bois le jeune Billy était rentré ce soir là après le coucher du soleil, sa chemise tachée de sang et de terre. 

Ses parents avaient vite compris qu’on ne pouvait rien imposer à ce gamin, il faisait sa vie comme il l’entendait. Il avait très vite acquis leur confiance par son sens de l’observation et ses remarquables capacités d’apprentissage. Ils le laissaient aller et venir où bon lui semblait, leur seule exigence étant qu’il rentre avant la nuit. Souvent, il dormait tout habillé pour pouvoir partir plus vite au petit matin. Au coucher, il voulait bien un baiser, mais pas d’histoire, juste que l’on froisse quelques feuilles mortes à son oreille et il s’endormait aussitôt.

Ce jour là il était sorti dès l’aube emportant le canif  reçu la veille pour ses sept ans. La journée s’était écoulée sans que l’on ne s’en préoccupe. Le père avait coupé du bois, la mère avait mené les brebis au pré puis démoulé les fromages. On n’avait pas vu passer la journée. Alors, à la nuit tombée, après la traite, au moment de se mettre à table, quand personne n’avait répondu au retentissant Billy! du père, on avait commencé à s’inquiéter.  Le père et la mère avait attendu sur le pas de la porte, en se mordant les lèvres, n’osant ni l’un ni l’autre partager leur angoisse.

Billy était arrivé triomphant, l’œil brillant, son couteau à la main, la chemise déchirée. Les parents n’avait encore rien dit que Billy leur raconta avec ferveur s’être battu avec un sanglier géant qu’il avait pisté toute la journée, s’être battu  comme le grand-père à la dernière guerre, plus fort encore, comme le taureau du père Cazaux, plus encore, comme un lion d’Afrique, comme un tigre de Sibérie, comme Aigle Noir et toute sa tribu. Il jura lui avoir coupé la tête avec son couteau tout neuf, une tête trop lourde pour la porter jusqu’ici, et promit de les y mener le lendemain aux aurores.

Billy s’endormit rapidement après son récit. Les parents, eux, eurent du mal à trouver le sommeil.

Au petit matin ils partirent tous les trois vers la forêt, Billy en tête. Il les conduisit loin dans le bois au pied d’une énorme souche à forme de tête de sanglier. 

Voilà, dit-il, voilà la bête. Le corps a été mangé par les loups, la tête est devenue sèche et dure pendant la nuit.

Les parents n’ont pas posé plus de questions, leur confiance restait intacte. Mais ils ont compris que leur fils ne serait pas paysan comme eux, les grands-parents et les arrières grands-parents.

Peut-être bien qu’il sera conteur…

mardi 7 mai 2024


Herbes d'eau

(Ville-D’Avray, 10 octobre 2023, 15h 50)

À l’étang de Ville-d’Avray

Ils se sont regardés

Légers comme des herbes d’eau

 

lundi 6 mai 2024


Un petit souci


(Cairanne, Vaucluse, 22 octobre, 18h 20)

Une petite route sur les hauteurs. On voit loin. Le soleil se couche. Une voiture est arrêtée sur le bas coté, une américaine. Le coffre est ouvert. Un tapis persan roulé en dépasse. Un gars creuse un trou dans le champ d’à côté. Je lui demande s’il a besoin d’aide. Non, me dit-il, ça va merci, j’enterre un petit souci. Je passe mon chemin.

dimanche 5 mai 2024


Miniatures éphémères

(Camaret-sur-Aigues, 7 mars, 16h 55)

Ascension 

samedi 4 mai 2024


L'air du large

(Maasholm, Allemagne, 11 juillet 2016, 11h 25)

Il a dix ans. Il serre la main de sa mère. Rien qu’à regarder le bateau il a le cœur qui tangue.

Demain il embarque avec son père. C’est la première fois. Faut pas montrer sa trouille. Respirer l’air du large.

Un jour il aura la peau dure comme tous les pêcheurs de la baltique. 

vendredi 3 mai 2024


Une prière


(Conques, Aveyron, 3 mai 2018, 14h 50)

Bientôt, je repars sur les routes avec le spectacle Le Pas de la Tortue peuplé de personnages de ce blog. Je me mets au travail, je pars à leur recherche, je les observe, je les réveille, sans brusquer, les mots qui parlent d’eux sont les mêmes mais eux, ils ne sont plus tout à fait les mêmes.

Ce soir, je retrouve l’un d’eux, Joseph, endormi au pied d’un mur, au pied d’une prière. 

jeudi 2 mai 2024


Mécanique

(Conques, Aveyron, 3 mai 2018, 14h 30)

Il est aussi têtu que son père.

Voilà plusieurs jours qu’il est enfermé dans le garage. Il ne faut surtout pas le déranger. De toute façon, dans ces moments là, il n’entend rien. 

La voiture est en pièces détachées. Le père l’a laissée là. Il a renoncé malgré sa tête de bois. Trop d’inconnu dans ces nouveaux moteurs. Ce n’étaient pas ses doigts qui faiblissaient, c’était sa tête. Fini le temps où il lui suffisait de regarder un moteur pour comprendre comment ça marche. Son front restait plissé devant les pièces détachées. Il a renoncé et a abandonné son atelier. Il a même cesser de conduire. Il va et vient de chez lui à l’étang par un chemin de terre, sans un regard pour la route.

Le fils a dit: je le ferai, j’y arriverai, cette voiture roulera, traversera le village en klaxonnant, capote relevée et toi, le père, debout comme le président sur les Champs Élysées. Je le ferai pour toi, et pour tous ceux qui ne m’en croient pas capable.

Derrière la porte fermé on l’entend jurer, grogner, parfois crier de joie. Ça cogne, ça grince, ça fume, ça racle. Sur le pas, l’herbe a poussé. On vient de partout voir où il en est, plutôt écouter, pas question d’entrer. Chaque jour ils sont plus nombreux devant l’atelier. On commente, on fait des paris, les plus vieux apportent leur chaise, espérant être là quand la porte s’ouvrira.

Et puis un jour on entend un grand cri, un hourra qui tient dans une bulle aussi grosse que le village tout entier, un silence, le toussotement de la mécanique, puis le rythme parfait des soupapes. La porte grince  les deux battants s'ouvrent, l’un après l’autre, on retient son souffle, la voiture sort, au ralenti, on fait oh!!!, tous, d’une seule voix. 

la voiture roule, toute seule. Il n’y a personne au volant. Le fils a disparu. 

mercredi 1 mai 2024


Miniatures éphémères

(Vaucresson, 8 avril, 15h 30)

Cessez le feu!!