Hé merde 2
(Ostie, Italie, 12 avril)
Rick a bu quelques verres en bord de mer en compagnie d’un ancien employé des pompes funèbres de Palerme.
Gino sortait de taule. L’entreprise pour laquelle il travaillait servait de couverture à un trafic de drogue. Il n’était qu’une petite main, il n’avait pas pris lourd, mais maintenant, impossible de retrouver du boulot, alors il bricole de ci de là. Aujourd’hui il vend des lunettes de contrefaçon sur les plages d’Ostie. Quand Gino a vu Rick assis sur la plage, son pantalon d’alpaga retroussé, ses chaussures de daim bleues soigneusement posées sur le sable, son air de chien battu face à la mer, il s’est assis à côté. Il lui a même semblé voir une larme couler au coin de son oeil.
Ils sont restés un moment côte à côte silencieux. Une fille est passée au bord de l’eau. Elle portait une jupe courte, elle était pieds nus, un bracelet brésilien à la cheville gauche, ses jambes étaient interminables. Ils l’ont suivie du regard, ils se sont regardés, ils ont soupiré, puis ils se sont confiés l’un à l’autre. Gino a raconté ses histoires d’urnes funéraires bourrées de cocaïne, sa copine qui l’a plaqué quand il s’est fait coincé, son père qui l’a déshérité, le chinois qui lui fourgue les lunettes, la concurrence africaine, et son goût immodéré pour la Grappa. Rick a raconté son concert de la veille à Rome. A l’instant où il se lançait dans un de ses solos de batterie mémorables, à mille kilomètres de là, son vieux père s’éteignait paisiblement. Il ne l’avait pas vu partir mais ils s’étaient parlé juste avant qu’il ne s’envole pour l’Italie. Son père qui était un turfiste invétéré, sentant sa fin proche, lui avait dit qu’il souhaitait que ses cendres soient répandues au pied du poteau d'arrivée de l’hippodrome de Vincennes, ainsi il passerait chaque jour à la télé avait-il dit.
Rick se demandait comment s’y prendre pour ne pas trahir son père. C’est à cela qu’il pensait quand Gino s’est assis sur le sable.
Les deux hommes avait besoin de réconfort, d’un peu de Grappa, et d’une fille qui les serre dans ses bras.
Rick a acheté une paire de Ray-Ban à Gino, et ils sont allés vider quelques verres au Vittoria Beach bar. Gino s’y connaissait en dispersion des cendres, il avait pas mal d’idée sur la question.
Après avoir évoqué les idées les plus saugrenues, ils en ont conclu que Rick devait se rapprocher de la société d’entretien des pistes de l’hippodrome. Ils ont alors imaginé l’esprit du vieux flattant la croupe des pur-sang, félicitant le vainqueur, ils ont imaginé les cendres accrochées aux sabots, soulevées par le souffle des naseaux, et Rick voyait son père hilare tel un centaure en cavale sur un air de Vivaldi.
Les deux hommes se sont quittés bien éméchés deux heures plus tard. Rick devait retrouver les membres de son trio à Rome pour un dernier concert avant de retourner en France. Il arriverait juste à temps pour la cérémonie, sa soeur s’occupait de tout. Par contre, il ne savait pas si elle était au courant des dernières volontés de son père. L’incinération, oui, mais la dispersion, ce n’était pas sûr. Elle avait toujours reproché à son père de préférer les chevaux à sa mère et ses enfants. Rick attendait de la voir pour lui parler. Quoiqu’il en soit il tiendrait sa promesse.
Rick marchait vers la gare embrouillé par l’alcool et ses questions qui tournaient dans sa tête. La rencontre de Gino l’avait égayé, laissant parfois la place à quelques bouffées d’émotion.
Soudain, devant le petit parc d’attraction, il aperçoit la fille de la plage, ses longues jambes qui effleurent le trottoir. Il repense à son père qui aimait les filles, à Gino qui en aimerait bien une, à la dernière fois qu’il a tenu une fille dans ses bras, à la mer, aux chevaux… et il trébuche sur la trompe d’un éléphant, s’étale de tout son long, trouant son pantalon d’Alpaga…Hé merde!