mercredi 31 mars 2021


La moitié d'une lettre

(Vaucresson, 10h 40)

Je suis entré un jour dans une maison abandonnée.

Une maison de bois en haut d’une colline.

Du toit pendait une gouttière percée.

Autour l’herbe était sèche et la terre poussière.

Un arbre, un seul, veillait à quelques pas.

Depuis longtemps. Un tilleul chargé de fleurs.

Trois marches, une véranda, une chaise, une porte sans poignée.

Une porte entrouverte qui racle le sol.

La toile d’araignée qui frôle le visage au passage, la lumière qui me précède.

Dedans tout est couvert d’une fine pellicule grise.

Une grande table, deux bancs. Des bêtes ont marché sur la table. 

Dans une antique baratte des cannes et un sabre de cavalerie.

Sur la table, une feuille de papier froissée, un crayon de bois.

Ni mot, ni lettre, la moitié d’une lettre, une majuscule, boucle interrompue.

Une ébauche, le premier geste, timide, d’une ébauche.

Lettre d’adieu, lettre d’amour…

Le trait est inachevé mais net. Son interruption est volontaire.

Un courant d’air. Soudain. 

mardi 30 mars 2021


Le Pompon de Pompogne


(Pompogne, Lot-et-Garonne, 29 mars, 8h 40)

C’est le pompon de Pompogne

un pin dissident

un arbre qui préfère les pierres à la terre

un conifère en haut du clocher

posé comme un oiseau

un pin qui voit loin

un pin musicien

au dessus des cloches de Pompogne

 

lundi 29 mars 2021


"Dans la Brume Électrique" 

(Casteljaloux, Lot-et-Garonne, 8h50)

« la Brume électrique » sur les eaux du lac de Clarens,

comme dans le film de Bertrand Tavernier hanté par les fantômes du Bayou.

Combien de fois au petit matin ai-je vu flotter  au dessus des eaux les âmes enfuies.

On m’annonce encore le décès d’un proche, et vieillissant, la  liste s’allonge.

Il faut guetter l’aube sur les étangs pour côtoyer les spectres,

s’incliner avec la grâce d’un cygne, ainsi se délester des remords et reproches,

pour passer avec légèreté quand viendra le moment tant redouté.

dimanche 28 mars 2021


Miniatures éphémères

(Hendaye, 22 mars, 15h)

Fleur bleue 

samedi 27 mars 2021


Ce qui nous lie

(Cenitz, Guethary, 24 mars, 18h)

La plage de Cenitz, marée basse.

Assis sur une pierre, face à l’océan, je parle au téléphone avec mon cousin Roland.

Nous nous interrogeons sur ce qui fait et défait les familles.

Soudain j’interromps la conversation. Le soleil de fin d’après-midi révèle de ce lieux que je connais bien des couleurs que je n’avais jamais vues.

Je fais part à Roland de mon émerveillement.

Ce qui nous lie, tous, est si vaste! 

vendredi 26 mars 2021


Paréidolie, taille et rugby

(Biriatou, 23 mars, 15h 55)

Tête de nœud, bois fâché, le jardinier s'est appliqué mais le platane n'a pas apprécié la taille.


(Biriatou, 23 mars, 15h 30)

Un géant de fer joue avec la lune. J’attends avec impatience le prochain match de Rugby pour voir s’étreindre des géants de chair.

jeudi 25 mars 2021


Ne plus penser

(Hendaye, 8h 45)

Il trisse pour ne plus penser, celui qui court sous le ciel trop lourd. Foulée après foulée, dans son crâne la mer se retire. Soudain c’est le vide, plus une pensée, il n’est qu’un point qui file sur une ligne. Mais dans le même instant il en prend conscience et ça le travaille, le travaille…



mercredi 24 mars 2021


Confidences

(Hendaye, 23 mars, 18h 20)

Fin d’après-midi sur la plage

on va souvent par deux

c’est le temps des confidences

à pas lents sur le sable mouillé

on se dit des secrets

qui resteront dans la poche

ou s’en iront avec le vent 

mardi 23 mars 2021


L'arbre qui dit non

(Sur les pentes sud du Xoldokogaïna, Biriatou, Pays Basque, 14h 30)

L’arbre est noir. Il ne veillera plus sur le passage. La montagne a brûlé. Geste malveillant ou écobuage malvenu par fort vent du sud, des pans entiers de bois et buissons sont calcinés.

Le printemps a un parfum de cendres.

C’était il y a un mois. Les fumées montaient si haut que Peyo les apercevait de son bateau. Il était loin au large du Cap du Figuier, pour les chipirons. Aussitôt il a pensé à son arbre, pas celui-ci, un autre, à l’écart, entouré de quelques rochers, pas fier, un peu rabougri, mais bavard, amical, un arbre au pied duquel il fait bon s’aimer en faisant des vers. 

Quand il ne pêche pas, Peyo court la montagne. Combien de fois est-il venu au pied de cet arbre! Il y a fait sa demande en mariage, il y a conduit sa fille, il lui a raconté l’histoire de la lune qui roule sur la Rhune, il y conduira son petit fils dès que celui-ci tiendra sur ses jambes, il lui racontera l’histoire de l’arbre qui dit non, l’arbre qui résiste, qui se refuse aux flammes vives.

Oui, son arbre à tenu. Le lendemain de l’incendie Peyo est monté là-haut. La terre était encore fumante, l’odeur acre, une carcasse de pottok gisait en travers du chemin, les oiseaux avaient disparu. L’arbre sur le bord du sentier était noir, mais le sien, à l’écart, était encore clair. Son pied seul était un peu noirci. Tout autour les rochers étaient sales de suie, les genêts desséchés étaient d’un jaune pisseux, ça et là se dressaient des tiges noires sans feuilles, mais son arbre était intact.

Ce jour là Peyo n’est pas resté. Tant de noirceur lui faisait mal au cœur. Il n’avait rien à dire à son arbre, et celui ci restait silencieux, pas un craquement. Des hommes avait mis le feu, Peyo devait se décrasser de cette honte avant de revenir.

Nous sommes au troisième jour du printemps, pendant un mois Peyo a regardé la montagne de loin, en mer, jusqu’à ce qu’il se sente capable de gravir à nouveau la pente.

Peyo n’est pas seul, il est monté avec Ana, sa femme. 

Une herbe vert tendre perce déjà la terre noire. Aux branches des survivants paraissent les premières feuilles. Quelques oiseaux déjà reviennent. Des filets d’eau coulent entre les pierres, doux murmure. Le ciel est dégagé.

Peyo et Ana sont assis au pied de l’arbre qui dit non. 

Ils sont immobiles, silencieux, ils regardent loin devant eux, les montagnes jusqu’en Espagne.

Ils écoutent. 

lundi 22 mars 2021


Une belle après-midi par temps de pandémie

(Château d’Abbadia, sur la corniche à Hendaye, 16h 10)

Les heures passent.

Je suis allé marcher sur la corniche basque.

J’ai croisé le rouge gorge, Txantxangorri. J’aime ce mot qui chante comme l’oiseau qu’il désigne.

J’ai croisé un troupeau de manechs à tête noire, magnifique brebis à cornes torsadées.

Un jeune berger, joues rouges et regard brûlant, disait à une jeune fille  son amour pour ces bêtes.

« Quand je leur porte à manger, elles me reconnaissent, elles me regardent comme un chien fidèle, ou un enfant…Tu vois leurs yeux? »

J’ai croisé le bourdon qui butinait les premières fleurs.

J’ai croisé ma petite sœur qui respirait à plein poumon en répétant, que c’est beau, que c’est beau. Elle regardait la mer et les mouettes rieuses sur les rochers.

J’ai croisé le lézard, si discret, un froissement lorsqu’il s’échappe sous les feuilles.

J’ai croisé le cheval immobile devant la barrière. Qui attendait-il?

J’ai croisé l’ami Paul avec sa compagne et ses enfants s’en allant en promenade.

J’ai aperçu la princesse du château, j’ai couru vers elle, elle portait un masque.

Attention, m’a-t-elle dit, ce n’est pas fini… 

dimanche 21 mars 2021


Miniatures éphémères

(Hendaye, 20 mars, 13h10)

Ce qui reste 

samedi 20 mars 2021


La Côte des Basques

Pour François 

(Biarritz, 19 mars, 16h 25)

La Côte des Basques, le berceau du surf en France.

La première fois que je suis venu surfer ici c’était avec mon oncle François, dans les années 60.

C’était la première fois que j’affrontais des vagues autres que celles d’Hendaye, la ville des origines.

Des vagues autrement puissantes. 

J’étais un gamin qui suivait les grands avec leurs immenses planches. Celle de François était blanche, démesurée. Je ne pouvais la porter que sur la tête. Elle était si lourde que  j’avais le cou qui rentrait dans les épaules. 

Nous surfions sans leash, sans combinaison, tout cela n’existait pas encore, il fallait être bon nageur.

Ce jour là j’avais ma planche, à moi, une Barland flambant neuve, grise au dessous, blanche dessus. Quand mon père l’avait  achetée, il avait précisé que c’était pour toute la famille, mais j’ai très  vite compris que ni lui ni mes sœurs n’en feraient usage. J’aurais la planche pour moi, je pouvais désormais surfer avec François.

Nous étions partis en 2CV, les deux planches dépassant du toit décapoté.

Je me souviens parfaitement de cette session au bout de la plage de la Côte des Basques, des frayeurs et des nouvelles sensations dans des vagues très creuses. Je me souviens d’une chute et de la difficulté à regagner la plage.

En surf, c’est comme au théâtre, il y a des sessions qui sont gravées dans le corps, on ne les oublie pas.

Comme cette  autre quelques années plus tard avec Roland, le fils de François, à Bidart dans une mer déchaînée. J’en garde l’image extraordinairement précise d’une vague énorme, une droite, et du bottom turn, backside, dans un cri gonflé d’adrénaline.

Aujourd’hui la mer est plutôt calme, la puissance est dans le ciel. 

François s’en est allé le 12 février, c’était le dernier d’une fratrie de quatre. Il avait 88 ans. Mon père était l’ainé.

Voilà pourquoi je pense à lui, à Roland et à ses frères et sœurs, du haut de la Côte des Basques,

un jour où les vagues sont dans le ciel.

vendredi 19 mars 2021


Les mouettes

(Biarritz, 16h 40)

Le ciel menace toujours. Les mouettes ne s’en soucient guère. Elles vont et viennent autour du rocher. Rick a les crocs. Mordre, étreindre, humer la sueur du spectateur. Rick est en manque.

Son trio est au garage. Le pianiste est convalescent, le contrebassiste est coincé à Paris.

Il y a de la poussière sur sa caisse claire. Un an sans concert, il se sent des envies de cannibale.

Il fixe son attention sur les mouettes, trois mouettes, un trio, batterie, piano, contrebasse, trois oiseaux. Il faut se détacher du roc, de la dent qui déchire le ciel. Il lui faut la cervelle d’une mouette, ouvrir les ailes, conduire ses compagnons sur une partition entre ciel et mer. 

Et voilà qu’il voit la pochette du 33 tours de Chick Corea, Return to Forever, un oiseau qui frôle les flots, et il repense à tous ceux qui se sont fait la malle depuis un an. C’était pas au programme, il ne sait pas composer pour les revues nécrologiques, son truc c’est plutôt les naissances, la vie qui se pointe avec des yeux ronds qu’ont encore rien vu. Les yeux ronds d’une mouette qui écoute Mélanie de Biasio… je suis une mouette posée sur ta bouche… Ah, non ça c’est autre chose, une histoire de mouche en Guyane ou en Afrique, Rick part en vrille, il faut vraiment qu’il voit du monde, des gens, pas des mouettes ou des mouches, des gens avec qui parler, avec qui jouer. S’il ne peut les prendre dans ses bras, au moins pourra-t-il leur dire à quel point il en a le désir.

jeudi 18 mars 2021


Les tamaris

(Hendaye, 18h)


C’est là, où deux escaliers descendent sur la plage, que nous venions enfants.

C’est là que je me tiens depuis si longtemps en attendant les vagues.

C’est là que la famille se retrouve.

C’est en face exactement à un mille au large que nous avons lancé à la mer les cendres de mon père.

C’est sur ce muret que s’asseyait mon grand-père.

Il y a six arbres, six tamaris, cheveux aux vents, qui regardent la mer.

Un arbre pour chacun d’entre nous, mon père, ma mère, mes trois sœurs et moi-même.

On en devine d’autres hors champs pour mes grands parents, mes oncles et tantes, cousins et cousines.

Et il faudrait en rajouter pour nos compagnes et compagnons, pour nos enfants et petits enfants.

Une forêt de tamaris qui regardent la mer. 

Leurs regards convergent en un point, et ils sont d’accord. 

mercredi 17 mars 2021


Sous une fleur

(Vaucresson, 4 mars, 10h 20)

Combien de fois

 quand la pluie n’était pas à mon goût

me suis-je abrité sous une fleur

mardi 16 mars 2021


Le lilas

(Vaucresson, 8 mars, 15h 15)

Tandis que paraissent de jeunes pousses

un bouton de grains mauves en leur cœur

le lilas garde des anciennes fleurs 

la mémoire d’une dentellière amoureuse 

lundi 15 mars 2021


Givre

 (Orval, Belgique, 7 mars, 9h 30)

Elle a le front contre la vitre

c’est froid

son doigt suit les étoiles de givre

dehors le printemps attend

dimanche 14 mars 2021


Miniatures éphémères

(Forêt de Marly, Yvelines, 9 mars, 16h 10)

Chaos 

samedi 13 mars 2021


Giboulées 

( Sur la N88 entre Florenville et Orval, Belgique, 18h 10)

Après un matin mouillé

une après-midi grêlée

j’ai vu le ciel plonger dans la terre

et j’ai eu une envie folle

de te serrer dans mes bras 

vendredi 12 mars 2021


Voyage

(Abbaye d’Orval, Belgique, 22h 40)

Il y eut d’abord un ciel de suie

des gerbes d’eau sale au passage des camions

un bouquet de jonquilles sur le tableau de bord

puis la nuit tremblante dans la cour d’Orval

où j’allais dans le trouble d’une existence révélée 

jeudi 11 mars 2021


Arabesque

(Forêt de Marly, Yvelines, 9 mars, 16h 40)

Je l’avais croisée plus haut sur le sentier, une femme aux cheveux blancs qui marchait lentement avec deux bâtons. Elle regardait en tous sens, se baissait parfois pour ramasser une feuille où une herbe qu’elle observait longuement.

Je me suis arrêté devant un tronc courbé sous le lierre, arc de verdure au pied des arbres nus.

La femme m’a rejoint, m’a salué une deuxième fois et m’a parlé:

«  C’est beau n’est-ce pas….La dernière fois que l’on m’a offert des fleurs, en fanant, elles se sont courbées au dessus du vase comme cet arbre, la même ligne. Elles ont séché, je les ai laissées, longtemps. Le soleil s’y posait à neuf heures au matin passant par la fenêtre qui donne sur le jardin. »

Elle regardait l’arbre en parlant, son corps s’inclinant légèrement sur le côté. Elle m’a souhaité une belle journée puis s’en est allée. Je l’ai vue s’éloigner, s’arrêter, prendre ses deux bâtons dans la même main, lever l’autre bras en une timide arabesque, puis reprendre son chemin. 

mercredi 10 mars 2021


Le rêve de la sentinelle

(Orval, Belgique, 6 mars, 9h 20)

C’était il y a longtemps.

Un garde en arme s’était endormi dans sa tourelle à l’angle de la place forte.

Un sommeil agité, peuplé d’envahisseurs belliqueux égorgeant à tour de bras, 

faisant fuir jusqu’aux oiseaux qui s’en allaient en nuées.

Il fut réveillé par le silence, un silence effroyable. 

Dehors tout n’était que ruines fumantes et noires.

Ça et là gisaient des corps transpercés par des pieux, du bétail éventré, des têtes sanglantes posées sur des pierres.

Le vent même semblait avoir été chassé, les arbres tétanisés par l’effroi.

Le garde était le seul être vivant à des kilomètres à la ronde.

Seuls deux pans de mur et l’échauguette à l’angle tenaient encore debout.

Comment et pourquoi cet homme et ces pierres furent épargnés, nul ne le sait. 

Comme s’ils avaient été invisibles le temps de l’assaut.

Le garde ne voulut croire en sa vision, il était toujours dans son cauchemar, pensait-il, il avait rêvé de son réveil, il dormait encore, il fallait qu’il se rendorme dans son rêve, pour se réveiller vraiment.

Il ne quitta pas la guérite, il se rendormit, la tête contre la pierre. 

C’est un oiseau qui le réveilla cette fois ci, un oiseau de retour, un rouge-gorge.

Dehors, l’horreur était toujours là, telle quelle.

L’homme se dit que c’était décidément un long, très long cauchemar, mais qu’un jour son réveil serait réalité.

Il entreprit alors d’enterrer les morts, puis de reconstruire ce qui pouvait l’être.

Chaque soir il retournait dormir dans la poivrière, convaincu qu’un matin son rêve prendrait fin.

Puis d’autres hommes sont arrivés, de loin. Ils cherchaient une terre où fonder une communauté de paix.

Le garde les a accueillis, a accepté leur aide pour remonter les murs. 

Il ne parlait pas de son rêve, ce n’était pas nécessaire puisqu’eux-mêmes en faisaient partie.

Il s’étonnait seulement de la durée du songe, s’amusait de se voir vieillir, se disant combien les rêves chamboulaient le temps.

D’autre oiseaux revinrent se poser sur les branches bruissant au vent. 

La vie revint petit à petit au cœur de l’ancienne forteresse.

Un jour l’on vit des hommes et des femmes se héler d’un étal à l’autre sur une place, et des enfants courir en criant.

Ce jour là l'homme ne retourna pas dormir dans sa tourelle, il ne voulait plus quitter son rêve.


 

mardi 9 mars 2021


La pierre et l'arbre

(Orval, Belgique, 7 mars, 9h 15)

À Orval la pierre et l’arbre sont de vieux amis

 

lundi 8 mars 2021


Le Héron Bois 


(La Croix-aux-Bois, Ardennes, 10h 10)

Croix de bois croix de fer si je mens je vais en enfer,

Je l’ai vu de mes yeux vu traverser la route, enjamber la clôture

s’avancer à  grands pas dans le pré, huer à pleine gorge le bec vers le ciel,

un arbre héron, un héron bois, haut comme trois hommes,

coiffé d’une crête branchue, les pattes grêles et la queue rouge.

Son cri était un cri de joie frémissant loin au dessus des bois,

il annonçait la venue d’un roi bien nommé Arthur qui ferait tomber les murs.

Alors d’autres arbres sont venus des lisières, des patauds, des brouillons,

des grands, des petits, des pas finis, des trop vieux, des sans fruits,

ils ont fait cercle autour de l’oiseau bois, un vent froid a secoué les branches bourgeonnantes,

puis ils s’en sont allés en procession sur la route, chacun à son pas, une, deux ou trois jambes.

Oui, je les ai vus en file indienne, les pas de bois sonnant sur le bitume,

ils allaient menés par l’arbre héron à la rencontre du roi Arthur,

c’était un matin d’hiver à la Croix-aux-Bois dans les Ardennes.

dimanche 7 mars 2021


Miniatures éphémères

(Orval, Belgique, 6 mars, 9h15)

Longer les murs 

samedi 6 mars 2021


La sortie du désert ou Le sel de la vie 

(Abbaye d’Orval, Belgique, 8h 25)

« Je suis ici pour la sortie du désert, aider au relevé de la terre. »

Ce sont les premiers mots que je prononcerai cet été dans le spectacle L’Or du Val, d’Antoine Juliens, qui sera joué ici, dans les ruines de l’ancienne abbaye.

Après un report, le spectacle devait être joué en 2020, après l’annulation des répétitions précédentes, après une année au ralenti qui a filé comme le sable glisse entre les doigts, nous voici à nouveau à Orval pour quelques jours de travail, convaincus que nous jouerons enfin l’été prochain.

« Je suis ici pour la sortie du désert… »

Ce matin la phrase tourne dans ma tête tandis que par la fenêtre de ma petite chambre monastique je m’émerveille de la lumière qui accroche les hautes branches comme saupoudrées d’une pincée de sel, le sel de la vie.

vendredi 5 mars 2021

 

Une route

(Sur la D 946 entre Vouziers et Longwé, Ardennes, 16h 35)

Une route qui va loin

pour aller travailler

c’est bien

jeudi 4 mars 2021


La rosée, c'est posé 

(Vaucresson, 10h 40)

La pluie, c’est semé, la rosée, c’est posé.

Ainsi avait parlé le vieux au petit Arthur qui s’étonnait de l’herbe humide au petit matin.

Puis il avait décrit celles qui viennent quand la nuit s’éclaircit, les nymphes à la peau de lune avec leur besace emplie de perles d’eau, leurs longs doigts qui saisissent délicatement chaque goutte et les déposent sur les fleurs, les feuilles, les herbes, la table du jardin, le toit de la cabane et le fil à linge. Il avait décrit ce ballet silencieux à l’heure où s’ébrouent les premiers oiseaux, les formes blanches qui vont et viennent avec leur sac en peau de chèvre, la vitesse avec laquelle elles se déplacent contrastant avec l’extrême précaution au moment de placer une perle. Il lui avait raconté comment parfois l’une des nymphes garde une bille entre le pouce et l’index, la regarde longtemps, penchant la tête à droite, à gauche, puis la porte à sa bouche et l’avale d’un coup, comment une autre découvrant une perle exceptionnelle la vante à ses congénères avant de la déposer sur la plus belle fleur du jardin, comment aux premiers chants elle s’en allaient froufroutant on ne sait où.

Le vieux avait aussi raconté les étés trop secs, les besaces vides, les regards tristes des nymphes amaigries et leurs gestes saccadés, les hivers neigeux où elle se cachaient, fondues dans la neige, dans les nuages ou la lune, les pluies interminables pendant lesquelles elles attendaient patiemment, collées les unes aux autres, que l’autre là haut ait fini de vider ses seaux.

Arthur croyait le vieux dur comme fer. C’est sûr, le vieux les avait vues, peut-être même leur avait-il parlé.

Un soir, à peine couché, Arthur s’était rhabillé puis avait remis son pyjama sur ses vêtements. Ainsi il était prêt pour une excursion nocturne et sa mère qui venait toujours l’embrasser une dernière fois avant d’aller dormir, n’y verrait que du feu. Il n’aurait qu’a prendre ses chaussures et sortir sans un bruit.

Pour que le sommeil ne le cueille pas dans son lit, il avait compté toutes les histoires du vieux, puis avait tenté de les classer, les préférées,  celles qui faisaient peur, les drôles, les tristes, les nulles, car il y en avait aussi des nulles, les trop courtes,  les trop longues dont on ne saura jamais la fin et celles où on ne comprend rien mais qui sont bien quand même.

Ses parents endormis, quand il n’y eut plus aucun bruit dans la maison, Arthur se leva et sortit par la porte de derrière, celle de la buanderie, dont le verrou et les gonds ne grincent pas.

Il se cacha derrière le grand bidon vert plein d’eau de pluie, à l’angle de la cabane. De là, assis sur un billot de bois, le dos calé contre les planches, il avait vue sur tout le jardin. Il lui suffisait d’attendre la venue des nymphes.

Il faisait bon. Ses habits, son pyjama par dessus, étaient suffisants, il était bien dans sa cachette.

Il écoutait la nuit, fixait l’obscurité. Tiens, une forme blanche! Non ce n’est qu’un chat, le chat blanc de Mme Michel. Dès qu’il sentait papillonner ses paupières, il reprenait le compte des histoires.

À trois heures du matin, le sommeil fut le plus fort, Arthur s’endormit contre la cabane de planches, derrière le fût de métal.

À l’aube c’est le chant  d’une grive qui le réveilla. Il sut immédiatement qu’il était trop tard, il avait raté les nymphes. 

Il vit alors alors quelques gouttes de rosée sur sa manche, et même une sur sa main, sur le dessus, au niveau du majeur, juste posée là sur le petit renflement d’une veine.

Arthur regardait sa main, immobile.

Il n’avait pas vu les nymphes, mais elles l’avaient vu et avaient déposé une perle sur sa main.

Arthur porta doucement la main à sa bouche, prenant garde à ce que la goutte reste entière, et il la lécha avec ravissement.


mercredi 3 mars 2021


Le grand hêtre

(Forêt de Rambouillet, 2 mars, 12h 40)

Assoupie dans un creux du grand hêtre

comme s’abandonne à ses bras le petit Arthur

tandis qu’elle fredonne une chanson douce,

elle entend l’arbre murmurer « La Tendresse »

d’une voix aussi claire que Marie Laforêt. 

mardi 2 mars 2021


"Retiens la nuit..."

(Forêt de Rambouillet, 13h 20)

Le couvre feu durait depuis si longtemps. Les deux amants se retrouvaient chaque jour à midi, au pied d’un chêne à deux troncs au dessus d’une nuit retenue dans l’eau d’un étang noir.

lundi 1 mars 2021


La Grive Musicienne

(Hendaye, 27 février, 8h 25)

Une grive babille matin et soir, sur la même branche, en haut d’un érable en bourgeons, face à mon balcon. Une grive musicienne qui chante jusqu’à ce que paraisse la lune bousculée par les nuages. Alors à l’heure du couvre feu je m’évanouis dans son chant, je m’en vais en catimini au dessus des prairies, je rebondis sur le ciel sale, je cours sur les toits jusqu’au balcon d’une fille.