La rosée, c'est posé
(Vaucresson, 10h 40)
La pluie, c’est semé, la rosée, c’est posé.
Ainsi avait parlé le vieux au petit Arthur qui s’étonnait de l’herbe humide au petit matin.
Puis il avait décrit celles qui viennent quand la nuit s’éclaircit, les nymphes à la peau de lune avec leur besace emplie de perles d’eau, leurs longs doigts qui saisissent délicatement chaque goutte et les déposent sur les fleurs, les feuilles, les herbes, la table du jardin, le toit de la cabane et le fil à linge. Il avait décrit ce ballet silencieux à l’heure où s’ébrouent les premiers oiseaux, les formes blanches qui vont et viennent avec leur sac en peau de chèvre, la vitesse avec laquelle elles se déplacent contrastant avec l’extrême précaution au moment de placer une perle. Il lui avait raconté comment parfois l’une des nymphes garde une bille entre le pouce et l’index, la regarde longtemps, penchant la tête à droite, à gauche, puis la porte à sa bouche et l’avale d’un coup, comment une autre découvrant une perle exceptionnelle la vante à ses congénères avant de la déposer sur la plus belle fleur du jardin, comment aux premiers chants elle s’en allaient froufroutant on ne sait où.
Le vieux avait aussi raconté les étés trop secs, les besaces vides, les regards tristes des nymphes amaigries et leurs gestes saccadés, les hivers neigeux où elle se cachaient, fondues dans la neige, dans les nuages ou la lune, les pluies interminables pendant lesquelles elles attendaient patiemment, collées les unes aux autres, que l’autre là haut ait fini de vider ses seaux.
Arthur croyait le vieux dur comme fer. C’est sûr, le vieux les avait vues, peut-être même leur avait-il parlé.
Un soir, à peine couché, Arthur s’était rhabillé puis avait remis son pyjama sur ses vêtements. Ainsi il était prêt pour une excursion nocturne et sa mère qui venait toujours l’embrasser une dernière fois avant d’aller dormir, n’y verrait que du feu. Il n’aurait qu’a prendre ses chaussures et sortir sans un bruit.
Pour que le sommeil ne le cueille pas dans son lit, il avait compté toutes les histoires du vieux, puis avait tenté de les classer, les préférées, celles qui faisaient peur, les drôles, les tristes, les nulles, car il y en avait aussi des nulles, les trop courtes, les trop longues dont on ne saura jamais la fin et celles où on ne comprend rien mais qui sont bien quand même.
Ses parents endormis, quand il n’y eut plus aucun bruit dans la maison, Arthur se leva et sortit par la porte de derrière, celle de la buanderie, dont le verrou et les gonds ne grincent pas.
Il se cacha derrière le grand bidon vert plein d’eau de pluie, à l’angle de la cabane. De là, assis sur un billot de bois, le dos calé contre les planches, il avait vue sur tout le jardin. Il lui suffisait d’attendre la venue des nymphes.
Il faisait bon. Ses habits, son pyjama par dessus, étaient suffisants, il était bien dans sa cachette.
Il écoutait la nuit, fixait l’obscurité. Tiens, une forme blanche! Non ce n’est qu’un chat, le chat blanc de Mme Michel. Dès qu’il sentait papillonner ses paupières, il reprenait le compte des histoires.
À trois heures du matin, le sommeil fut le plus fort, Arthur s’endormit contre la cabane de planches, derrière le fût de métal.
À l’aube c’est le chant d’une grive qui le réveilla. Il sut immédiatement qu’il était trop tard, il avait raté les nymphes.
Il vit alors alors quelques gouttes de rosée sur sa manche, et même une sur sa main, sur le dessus, au niveau du majeur, juste posée là sur le petit renflement d’une veine.
Arthur regardait sa main, immobile.
Il n’avait pas vu les nymphes, mais elles l’avaient vu et avaient déposé une perle sur sa main.
Arthur porta doucement la main à sa bouche, prenant garde à ce que la goutte reste entière, et il la lécha avec ravissement.