L'or
(Forêt de Rambouillet, 20 novembre,12h 40)
C’était en Guyane, il y a quelques années. Nous avions marché hors layon la journée entière, traçant le sentier à la machette. Avec Éric, j’étais en bonne compagnie, il vivait ici depuis bientôt dix ans et avait appris à faire corps avec la forêt vierge, avec lui impossible de se perdre, du moins le croyais-je. Ce n’était que mon deuxième séjour dans cette région qui m’a fait tomber en amour, j’avais tout à apprendre. Nous bivouaquions sur un inselberg, une tête de granit au crâne chauve surplombant la forêt, la forêt à l’infini d’où s’élevaient ici et là les vapeurs des pluies de l’après-mdi. La nuit venait, le chant des grenouilles s’amplifiait, nous sommes restés un long moment muets, attentifs et muets.
Éric m’a alors raconté sa première nuit en forêt avec son père, en Ariège:
« C’était en automne le jour de mes douze ans. J’ai suivi mon père à la chasse. Je n’avais pas de fusil bien sûr, mais j’avais un bâton, un couteau pliant tout neuf et surtout le droit de suivre les grands. Nous avons fait halte dans une cabane de chasseur abandonnée depuis longtemps. La porte était dégondée, les carreaux de la seule fenêtre cassés, un broc et une roue de vélo étaient accrochés à un mur couvert de toiles d’araignées. Mon père a commencer à cueillir des fougères pour balayer le plancher et nous confectionner une couche. Quand j’ai voulu l’aider, il m’a dit: Ne cueille que celles qui sont ternes et sèches, épargne l’or. »
Pas très loin, des singes ont hurlé. Éric a rajouté:
« J’aime ce pays à la folie. La seule chose qui me manque, c’est l’automne. »