mardi 30 avril 2019


Un frère jumeau


(Peñas de Haya, Espagne)

Un homme est venu à quelque pas d’ici déposer les cendres de son aimée. Elle s’appelait Zoé.
Il a disposé quelques pierres, un bouquet de marguerites, un papillon de plastique et un moulin de papier.
Cet homme ignorait qu’il avait un frère jumeau, un arbre, un pin poussé sur la pente face à la mer.
Et cet arbre était là, bras ouverts, prêt à bercer l’âme de Zoé, durant toute sa vie d’arbre.

lundi 29 avril 2019


Aux dunes de Sokoburu


(Hendaye, 28 avril)

À l’ombre des ganivelles, euphorbe, pourpier et roquette retiennent le sable.
Vieillissant, je viens chaque soir aux dunes de Sokoburu retenir le temps.

dimanche 28 avril 2019

samedi 27 avril 2019


Équilibre


(Montagne de Kaw, Guyane, 14 avril)

Là où nichent les coqs de roche
coule un filet d’eau
au seuil de l’obscurité
le bois et la pierre s’accordent
dans l’aube bruissante
il y a un parfait équilibre
mon amour

vendredi 26 avril 2019


De guingois


(Suriname, 31 mars)

Il est tard, les yeux piquent. J’ai passé la journée à Gramat dans le Lot avec un groupe de handicapés, autistes et aveugles avec qui nous préparons un spectacle. Nous y parlerons d’amour, c’est l’amour qui me fait courir d’un bout à l’autre du pays. Ce sera  une noce, un tableau de Chagall, ils y voleront en procession.
Après la répétition, j’ai repris la route  vers le Pays-Basque. 400 kilomètres de vert tendre, après le vert sombre des forêts guyanaises. Vert et mauve, c’est le temps des lilas et des glycines. Je suis arrivé à la nuit, on ne voyait pas la mer. En descendant de voiture je fus cueilli par un délicieux parfum de Pittosporum. Dès l’aube j’irai voir la mer et guetter les vagues.
Il est tard. Je vais aller dormir, mêlant les images de Guyane et le jeu de mes compagnons du jour. Des compagnons de travers, un peu à l’envers, de ceux que l’on pense inutiles, qui ne produisent rien d’autre qu’une tendre poésie. Adrien me dit: « J’aime bien quand ça hurle, ça me fait rire, ça me fait chanter, ça grelotte dans le coin. » ou encore: « faut pas se faire enturlupé. Quelqu’un qui turlupe, c’est quelqu’un qui fait de la turlupation, qui passe à la télé. »
Je les aime ces gens de guingois, comme j’aime ces baraques bricolées, un peu bancales. Celle-ci se trouve dans un village noir-marron dont j’ai oublié le nom, sur les rives du Maroni.
Il est tard, je vais pousser la porte, prendre garde à ne pas déranger la grosse araignée qui loge sous le plafond près du chambranle, je vais dormir dans cette pièce de peu où tous les rêves sont permis.

jeudi 25 avril 2019


À Saint-Céré


(Saint-Céré, Lot, 24 avril)

Le sourire de Jeanne, c’est comme ces fleurs orangées qui poussent dans les interstices des vieilles pierres.
Ils sont venus en autocar, bien accompagnés, il ne faut surtout pas s'éloigner du groupe. Chacun porte autour du cou, dans une pochette plastique, une fiche avec son nom et l’adresse du foyer.
Ils ont vu le château. La montée était rude. Jeanne était essoufflée, les sorties sont rares. Là-haut, il n’y avait que des ruines.
Ils sont redescendus. Ils ont mangé les sandwichs sur la place de la fontaine, une fontaine sans eau.
Ils ont vu la statue de Charles Bourseul, l’inventeur du téléphone. Jeanne aimerait bien recevoir et donner des coups de téléphone.
Ils sont allés sur le pont d’où les allemands ont jeté trois hommes dans la rivière pendant la guerre. Il y a une plaque. Mais ça n’intéresse pas Jeanne. Les belles façades moyenâgeuse que les autres regardent émerveillés ne l’intéresse pas non plus.
Les seules choses qui l’intéressent sont ces maisons banales, ces maisons de tout le monde, où elle aimerait habiter, et la rivière, la Bave, qui s’enfuit loin là-bas, vers le couchant.

mercredi 24 avril 2019



Peinture


(Acarouany, Guyane, 3 avril)

Ce matin, ils sont venus repeindre Joseph. Deux beaux gars en tenues de travail toutes neuves.
L’un pour le blanc, l’autre pour le bleu, chacun son pot et son pinceau.
Immobile dans l’encadrement de sa porte, Josiane les a observés toute la matinée. Ils prenaient leur temps.
Leur travail achevé, elle leur a demandé le reste de peinture, le blanc pour les murs, le bleu pour les volets.
Ils lui ont répondu qu’il fallait encore repeindre Marie, que ces pots étaient destinés aux saints, uniquement aux saints, le règlement interdisait d’en détourner l’usage.

mardi 23 avril 2019


Attendre


(Rivière Tonnegrande, Guyane, 7 avril)

Il y a une joie profonde dans l’attente.

Attendre au bord de la rivière le passage du jaguar
sur le tronc tombé en travers du lit.
Attentif au moindre frémissement des feuilles,
attentif aux odeurs portées par la brise.
Parfois le cœur s’accélère, la paupière se plisse,
et puis rien, le calme à nouveau.

Attendre au bout du quai l’être aimé,
guettant sur le tableau d’arrivée les retards annoncés.
le train s’avance, grince et s’immobilise.
Attentif alors à tous ces visages qui viennent,
attentif aux couleurs des habits, aux teintes des cheveux.
Soudain elle est là, tirant sa valise. Le cœur s’accélère, la foule disparaît.

Attendre au sommet d’une colline le lever du soleil,
les pieds dans l’herbe humide.
Attentif au moindre changement de lumière,
attentif aux brumes qui se délitent, au chant des oiseaux qui s’impose.
Soudain le voilà. Aucune accélération du cœur. la respiration se fait profonde.
Sa venue est inévitable, depuis que l’homme est homme.

lundi 22 avril 2019


Consolation


(Kourou, Guyane, 5 avril)

Le ciel gris, les eaux brunes, une femme pleure sur la rive. Ses pieds s’enfoncent dans la vase.
l’horizon est vide, désespérément. Entre la femme et le lointain, sur un caillou glissant, un homme pêche. À l’instant où il lance son filet, d’un geste précis, la femme essuie une larme et esquisse un sourire.

dimanche 21 avril 2019


Miniatures éphémères


(Île Royale, Guyane, 6 avril)

Sur le flamboyant
songe de feu

samedi 20 avril 2019


Jaune


(Vaucresson)

Retour au jardin
sous le lilas
tulipes langoureuses
le jaune
peut être doux

vendredi 19 avril 2019


Une maison


 (Cayenne, Guyane, 13 Avril)

Docteur Raphaella Gustave-Rabord. C’est la dernière personne qui a vécu ici. C’est écrit.
Je l’imagine magicienne aux mains d’or capable au premier coup d’œil de deviner sous la peau les articulations douloureuses.
Les murs, portes et volets parlent. La peinture s’écaille, dévoile de petits bouts d’histoires, tandis que le chant du griot égrène les noms des ancêtres.
Un jour une femme dos au mur a glissé lentement en se couvrant le visage.
Un jour un homme a ouvert la porte en criant: c’est un garçon!
Un jour un enfant a retenu ses larmes tandis que sa mère extrayait une écharde de son doigt.
Un jour deux sœurs se sont disputées pour une question d’héritage.
Un jour une femme amoureuse, au moment de frapper à la porte de bois, a interrompu son geste et fait demi-tour.
Un jour un chien a gémi la nuit entière.
Un jour un homme a volé une horloge dans une cloche de verre.
Un jour un enfant a menti à son père.
Un jour un mari a menti à sa femme.
Un jour un homme est entré, on a crié: il est revenu!
Un jour un vieil homme a pleuré.
Un jour, dans la maison vide, il n’y eu que la poussière en suspension.


jeudi 18 avril 2019


La sorcière de Bigiston


(Bigiston, Suriname, 31 mars)

Elle s’appelait Angélique. C’était une riche hollandaise follement amoureuse d’un piroguier.
Il avait cédé à ses manières de prédatrice implacable. Elle l’avait longtemps tenu, ignorant l’esprit de liberté qui fait les hommes du Maroni. Inassouvie, elle aurait aimé le garder à demeure entre ses jambes. Elle ne pouvait vivre sans le parfum musqué de sa peau. Quand il s’absentait plus d’une journée pour une course sur le fleuve, avant de le laisser partir elle enfouissait sa tête sous ses bras, entre ses cuisses, où l’odeur est la plus vive, elle se frottait comme une chienne jusqu’à imprégner sa chevelure noire. Elle ne se lavait pas jusqu’à son retour.
Un jour l’homme n’est pas revenu. Avait-il été pris par les rapides? Ou bien s’était-il enfui, lassé de ce carcan de chair.
Angélique ne pouvait imaginer qu’il l’ait abandonnée, encore moins qu’il ait fait naufrage. Son amour était tel, que son homme ne pouvait qu’être immortel.
Elle l’avait attendu sa vie entière sur la rive, se desséchant au soleil des tropiques. Du lever au coucher elle attendait au même endroit, les paupière tombantes à force de chagrin.
Les enfants ignorant les tourments de l’amour la surnommait la sorcière.
On dit qu’elle est toujours là, sèche et figée, un siècle plus tard.

mercredi 17 avril 2019


La dent


(Macouria, Guyane, 7 avril)

Nuit, grillons et grenouilles, sous le carbet, après quelques verres de rhum, Franck, un ancien d’Afrique, chasseur de papillons, me raconte cette histoire:
Enfant, il a vécu quelques temps à Tahiti. Vivre dehors, suivre son père à la pêche, les joies d’un môme né en Afrique, qui y retournera plus tard, pour en être chassé lors d’un coup d’état.
Une nuit, ils pêchaient dans le lagon avec un tahitien, lorsque la mer se mit à vibrer de grandes gerbes blanches, sursauts d’un requin, les branchies prises, venu mourir loin des siens.
Le père de Franck et le pêcheur tahitien réussirent, en bataillant dur, à se saisir du monstre. Franck ne perdait rien du combat de ses héros aux muscles luisant sous la lune.
Quand d’un coup de couteau parfaitement ajusté, on ouvrit le ventre de la bête, une femelle, il vit avec stupeur s’échapper plusieurs  petits requins prêts à être expulsés.
On trouva aussi dans ses entrailles une chevelure noire et un anneau d’or. Le pêcheur reconnut immédiatement l’alliance d’une jeune femme  disparue en mer après avoir été projetée hors de la pirogue frappée par une mauvaise vague.
La famille de la jeune femme allait pouvoir enfin faire son deuil.
Franck n’oubliera jamais cette nuit de pleine lune dans le lagon.
Après avoir dépecé le poisson, le père garda les plus belles dents. Il les fit sertir d’or et en offrit une à chacun de ses enfants.
Pour Franck c’était un précieux cadeau, souvenir d’une nuit sauvage et magique. Il la garderait constamment autour du cou.
Quelques années plus tard Franck vint en métropole, à Égleton, faire des études de mécanique.
Son permis de conduire fraichement acquis, une nuit froide, une nuit sans lune, au volant d’une 4 chevaux, il perdit le contrôle de l’automobile pour s’écraser dans le fossé en bas de la grande descente vers Tulle.
À son réveil, après deux jours de coma, le chirurgien lui apporte la dent de requin: « vous avez failli y passer, cette dent vous a percé la carotide. »
Depuis, Franck conserve cette dent, mais ne la porte jamais plus autour du cou.

mardi 16 avril 2019


Une pièce de cuir sur le cœur


(Montagne de Kaw, Guyane, 14 avril)

Une pièce de cuir sur le cœur
le sang gorgé d’humus
je m’absente entre les fûts
ma vie pour une feuille

lundi 15 avril 2019


Incendie


(Cayenne, Guyane, 13 avril)

Comment ne pas faire de tragiques raccourcis.
J’ai fait cette photo samedi de retour d’une marche en forêt. Un vagabond quasiment nu, agité de tocs venait de se lever de ce banc, s’en allait la démarche hésitante sur le trottoir défoncé.
Une phrase que je ne cesse d’entendre depuis le début de mon séjour me tournait dans la tête: tout se barre en couille…
Un marin ici depuis sept ans me disait qu’il était temps de reprendre la mer.
Nous nous disions encore, avec un fragile optimisme, qu’il restera toujours la haute forêt.
Aujourd’hui à Paris, Notre-Dame est en feu. Samedi encore a eu son lot de violences policières. Combien de livres de science-fiction ont été écrits, décrivant un monde totalitaire où les nantis vivent dans des bunkers aseptisés tandis que des foules affamées se pressent aux portes définitivement closes.
Notre-Dame est en feu. Ce n’est qu’un accident. Mais le symbole à cet instant est bouleversant.
Celui d’un monde vacillant.
Il y a au dessus de mon bureau à Vaucresson le tableau d’un ami, un bleu intense avec des éclats de couleurs qui vont en cercle. Il s’était inspiré de la rosace de Notre-dame.
Il y aura toujours l’art, et la haute forêt.

dimanche 14 avril 2019


Miniatures éphémères


(Saint-Laurent-du-Maroni, Guyane, 30 mars)

Sur l’hibiscus
pensées froissées

samedi 13 avril 2019


Bateau à sec


(Cayenne, Guyane)

Bateau à sec
veille dame indolente
le marin panse le ventre éprouvé
bois caressé
la vieille repartira pêcher
il le faut

vendredi 12 avril 2019


Où viennent pondre les tortues


(Awala-Yalimapo, Guyane, 3 avril)

Pour C.

Les premières tortues sont arrivées, des tortues vertes. Leur chemin marque le sable sur la plage des Hattes; elles viennent y enfouir leurs œufs puis à bout de force regagnent la mer.
La femme qui vient chaque soir sur ce banc ne laisse aucune trace dans le sable. Parfois, du bout de son pied nu, elle esquisse un dessin, qu’elle efface aussitôt.
Tandis que le soleil descend sur l’estuaire du Maroni, elle boit le paysage à petites gorgées, déguste chaque grain de ciel. Parfois ses lèvres bougent, dessinent des mots qu’elle garde précieusement.
La nuit venue, le sommeil se fait capricieux. Alors elle écrit. Sur des feuilles blanches, les mots de la mer, des dunes et du vent, les mots de l’enfance, les mots de l’absence.
Ainsi elle se déleste, ainsi elle peut aller pieds nus où viennent pondre les tortues.

jeudi 11 avril 2019



Il a suffi d'une caïpirinha


(Oiapoque, Brésil, 9 avril)

Il a suffi d’une caïpirinha au Chàcara Do Rona pour se perdre en chemin,
voir la lune à l’envers sur un pont branlant, trébucher sur les nids de poules,
voir venir du fond d’une rue déserte Leyla Mccalla son banjo à la main.
Leyla chante The Capitalist Blues, Leyla chante Money is King.
On a construit un pont sur l’Oyapock, un pont qui ne sert pas à grand chose,
un pont pour s’en mettre plein les fouilles, Money is King.
À Saint-Georges-de-L’Oyapock la corruption va grand train.
D’une rive à l’autre on s’offre pour quelques réals, pour des papiers,
pour un collier de perles, pour une promesse.
On finit dans la nuit noire sous les yeux du crapaud buffle.
Il a suffi d’une caïpirinha pour succomber à la voix de Leyla,
chanter malgré tout, aller pieds nus, aimer encore.

mercredi 10 avril 2019


Se refaire et chuter à nouveau


 (Matoury, Guyane, 8 avril)

Reprendre les mêmes chemins, faire les mêmes photos, retrouver ses personnages comme de vieux amis (Billet du 4/03/2016).
Dans cette impasse de Matoury, trois ans plus tard, la même voiture garée au même endroit. La végétation a poussé, épiphytes sur les câbles électriques.
Tony s’est refait. Il flambe à nouveau jusqu’à la prochaine chute.
C’est ainsi sur ces rives. La vase venue de la grande Amazone couvre les plages, puis la mangrove prend sa place, jusqu’à ce que tout soit balayé pour libérer le sable blond qui brûle les pieds.
On dit tous les dix ans.
Pour Tony, il n’y a pas de règles. Il sait qu’il chutera à nouveau, il ne sait pas quand mais il chutera.
C’est pour cette danse au bord du gouffre qu’il ne cessera jamais de jouer.

mardi 9 avril 2019


Chambre commune

 
(Saint-Jean-du-Maroni, Guyane1er avril)

C’est ainsi chaque soir.
Sous la véranda madame et Monsieur sirotent un jus de gingembre, ou de maracudja, exceptionnellement un ti-punch.
Confortablement assis sur leurs fauteuils de rotin, ils regardent le soleil descendre sur le fleuve.
Vient un moment où les derniers rayons effleurent l’épaule de Madame.
Si Madame laisse glisser son étole sur les lames de bois, laissant paraître une peau tachetée de rousseur où perle parfois une goutte de sueur, Monsieur sait alors que ce soir ils feront chambre commune.


(Montsinery, Guyane, 7 avril)

lundi 8 avril 2019


L'encre de Guyane


(Port de Cayenne, Guyane)

L’encre de Guyane est une encre brune.
Cette nuit la pluie a claqué sur la tôle,
une rigole de blues autour du carbet,
le chant des grenouilles, un corps luisant sous la drache.
La feuille boit, le serpent se glisse entre les racines.
Que deviendront-ils tous ces enfants sur le bord des routes.
Dès l’aube ce sont des dizaines d’autocars
qui les mènent aux écoles d’un pays sans avenir
tandis que les voitures s’entassent sur des routes cabossées.
Un homme chante, hamac balancé,
à l’encre de Guyane on n’écrit que l’instant
un mouvement de rein, une goutte de sueur
le pas traînant, le regard insistant,
un filet lancé, le poisson mangé,
le poisson qui vient des eaux noires.
Tandis que les urubus se repaissent de carcasses abandonnées dans la vase,
un enfant dort sur le ventre d’une femme ronde à nouveau.
Il y a la mer, il y a la forêt, entre les deux il y a des hommes
pris par les antennes relais.
À ciseaux feuille caillou le métal perdra un jour.
Les enfants reviendront au bois.

dimanche 7 avril 2019


Miniatures éphémères


(Réserve Trésor, Guyane, 23 mars)

Sur l’heliconia
le rêve de Yves Klein

samedi 6 avril 2019


Gros Chou


(Mana, salle polyvalente, Guyane, 4 avril)

Jeudi il y avait un spectacle à l’école. Gros Chou a vu l’homme devenir petit, puis grand, puis très vieux. Gros Chou a vu l’homme allumer les lumières en claquant des doigts. Gros Chou a fermé les yeux, l’arbre a grandi, Gros Chou a mis la tête dans ses bras, le village a grandi. Gros Chou a vu l’oiseau s’envoler, un grand oiseau bleu. Gros Chou a chanté avec l’homme. Gros Chou a déplié ses ailes, comme un oiseau.
Quand tout a été fini, Gros Chou a fait un check avec l’homme. Le soir il a tout raconté a sa grande sœur. Il lui a dit que l’homme lui avait dévoilé ses secrets, que plus tard il ferait comme l’homme. Alors elle pouvait toujours l’appeler Gros Chou, il n’en avait plus rien à fiche.

vendredi 5 avril 2019


Les sirènes du Maroni


(Saint-Jean-du-Maroni, Guyane, 3 avril)

Alanguies sur les roches noires les sirènes du Maroni guettent le piroguier au saut Maripas.
Combien d’hommes ont disparu dans les vagues brunes des rapides, attirés par leur antique voix. Rassasiées, elles sortent de l’eau, et se réfugient dans le sous-bois, finissant leurs jours pendues aux branches et aux lianes. Dans ce doux balancement les âmes des hommes perdus se libèrent. On dit que sont sont les singes qui hurlent, je sais qu’il y a aussi des âmes qui se lamentent.

jeudi 4 avril 2019


Chapelle Sixtine


(Saint-Laurent-du-Maroni,  Guyane, camp de la transportation, 2 avril)

Dans la cellule 23, le matricule 49201, allongé sur une planche, la tête posée sur un morceau de bois dur taillé en biseau, le pied entravé par une lourde manille de fer, regarde fixement le plafond.
Jean n’a fait que deux voyages dans sa vie chaotique. Le premier, c’était à Rome pour son voyage de noce avec la sulfureuse Rita. Rita servait au Eddy’s Bar à Montmartre tandis que Jean y préparait ses coups entre deux verres. Ils leur fallait du feu, des alcools forts et des nuits sans fin. Ils étaient fait pour s’aimer. Rita a explosé un soir d’été, ivre, chutant lourdement d’un toit de zinc où il fêtaient leur dernier casse en regardant dormir Paris.
Le deuxième voyage fut pour le bagne.
Rita disparue, Jean s’est mis à faire n’importe quoi, jusqu’à se faire prendre bêtement. Il s’est endormi complètement cuit dans le lit a baldaquin d’un sous préfet après être entré par effraction dans cette somptueuse demeure où les ors et les velours vous étourdissaient.
Le deuxième voyage. Saint-Laurent-du-Maroni. Peut-être bien le dernier.
Dès que la lumière pénètre dans la cellule, Jean fixe les murs, le plafond, la peinture écaillée, les différentes couches de badigeons. Il reconstitue le plafond de la Chapelle Sixtine. Ils se souvient avoir longtemps regardé les fresques après avoir fougueusement embrassé Rita sous le regard désapprobateur du garde.
Il gratte sa mémoire en quête du moindre détail. Il voit les corps charnus, les trompettes, les étoffes en volutes colorées. Chaque jour reviennent de nouvelles scènes. Peut-être les invente-t-il. Nombre de ces corps ont le visage de Rita.
C’est ainsi qu’il tiendra le coup.


mercredi 3 avril 2019


Sous-bois


 (Saint-Jean-du-Maroni, Guyane)

La moiteur du sous-bois
la lenteur du pas
la légèreté du nouveau né

mardi 2 avril 2019



973


(Saint-Laurent-du-Maroni, Guyane, 1er avril)

Teddy n’est qu’un gamin qui joue encore aux petites voitures et fait chanter les oiseaux.
Son grand frère fait la mule le ventre chargé de cocaïne, sa sœur ouvre les jambes devant le professeur pour avoir de bonnes notes, sa mère dort toute la journée le petit dernier somnolant sur  son ventre, son père fait la queue à la poste pour les allocations, son cousin ne tient plus debout, son grand-père a oublié ses histoires.
Teddy est né au bord du fleuve. Il sait qu’il faudra partir un jour, et ça lui fend le cœur.

lundi 1 avril 2019


La calebasse d'Isaac


(Bigiston, Surinam, 31 mars)

Isaac faisait une sieste sous le calebassier.
Un fruit lui est tombé sur la tête.
Il s’est réveillé trois jours après.
Il s’est mis à danser, il s’est mis à chanter.
C’est sans gravité disait-il,
j’ai rêvé du vent, j’ai rêvé des gens,
nous sommes fait pour aimer.
Puis  il a parlé à l’envers, puis il a parlé en latin,
actioni contrariam semper et aequalem esse reactionem:
sive corporum duorum actiones in se mutuo semper esse aequales
et in partes contrarias dirigi.
Il a parlé de mécanique des corps,
d’engrenages et d’huile de coprha.
On venait désormais le trouver quand ça ne marchait pas,
on venait le trouver quand ça venait trop vite.
on venait le trouvait quand l’âge avait fait son office,
on venait le trouver en cas de lassitude  ou d’incompatibilité,
on venait le trouver en cas de frénésie,
on venait le trouver quand on ne savait pas comment s’y prendre,
on venait le trouver pour tout et n’importe quoi.
Isaac avait réponse à tout,
il comptait, il dessinait sur le sable, il imitait la poule et le coq,
toujours, il souriait.