Dernière image de l'année
(Vaucresson, 7h 50)
Nuages rouges
et la lune devant
pour la nouvelle année
Arthur et le Vieux
Les poèmes dans les nuages
(Travaillan, Vaucluse, 27 décembre, 17h)
Il avait plu toute la journée.
Arthur et le Vieux avaient regardé la pluie faire des trous dans les flaques en écoutant Serge Gainsbourg.
Ils avaient regardé dans la cheminée les flammes changer de couleurs.
Ils avaient fait des trucs et des machins, avec des clous, des cailloux, du bois, et de la peinture.
Aussi, ils étaient restés longtemps sans rien faire.
Enfin, presque, puisque chacun regardait comment l’autre s’y prenait pour ne rien faire.
En fin d’après-midi la pluie avait cessé. Quelques nappes de brume se posaient ici et là, sur les vignes et sur les champs.
Aussitôt ils étaient sortis.
Au bout du champ, derrière la maison, dans le flou du brouillard, Arthur avait vu le Vieux fouiller l’herbe de son bâton.
-Qu’est-ce que tu cherches?
-Des mots. Tu vois Arthur, là, c’est le mot humide, et là cheval et là, entre les feuilles mortes, le mot emprunte. Partout dans le monde des gens pensent, rêvent, souvent quand ils ne font rien, ou croient ne rien faire. Leurs pensées, leurs rêvent, s’échappent, montent dans les nuages qui passent, et les nuages s’en vont, parfois à l’autre bout du monde. Quand un nuage atterrit, les pensées et les rêves se déposent. On trouve les mots entre les pierres, les herbes et les racines. Quand on les ramasse, ça fait des poèmes.
Le Vieux avait fermé les yeux quelques secondes puis avait dit:
-Sur la terre humide
Je galope vers toi
Profonde
Est l’emprunte de mon cheval
Peut-être celui-ci vient-il de Mongolie?
Alors Arthur avait lui aussi fouillé l’herbe de son bâton.
Il avait trouvé les mots escargot, train, sac et zut.
Il avait fermé les yeux, longtemps, puis avait dit:
-Zut! Dit l’escargot
Avec son sac sur le dos,
J’ai encore raté mon train
Sur le bord des rivières
(Travaillan, Vaucluse, 26 décembre, 15h 45)
À la chaleur des tons fauves des herbes sèches,
la douceur d’un geste, celui d’un homme qui se penche,
ramasse une pierre, la regarde, et la lisse du revers de sa manche.
Un geste tant de fois répété sur le bord des rivières,
des pierres ramassées pour construire des maisons,
ou simplement pour caler une porte que l’on veut garder ouverte.
Boule à neige
(Travaillan, Vaucluse, 16h 55)
Y a plus de quoi payer le chauffage, y a plus de quoi se rincer le gosier.
Seul devant la cheminée froide, le chat sur les genoux, Henri s’engourdit.
Il est collé sur un banc au fond d’une boule à neige. C’est le calme plat.
Faudrait que quelqu’un s’amène, attrape la boule et la remue.
C’est sûr, il retrouverait sa jeunesse,
du temps qu’il était un cador à l’usine de tomates.
Dans le ciel, le Tibet
(Hendaye, 29 octobre, 19h 15)
Il est 17h à Vaucresson.
Une brume épaisse se dépose sur le jardin, sur les arbres, sur les maisons.
Les lumières aux fenêtres palissent.
Je cherche un ciel dans mes souvenirs.
En voici un.
Éloignez vous de la photo, plissez les yeux, fixez le ciel. Vous êtes au Tibet.
Bon voyage.
Ernst
(Pont Mirabeau, Paris 15ième, 13 décembre, 18h05)
Ernst.
Un prénom dont on aurait fauché des voyelles.
Bancroche à la naissance puis une vie comme une photo sale.
Une vie avec des bouts en moins, une vie à ne pas savoir où se mettre.
Ernst, traduction de l’allemand: grave, sérieux.
Il avait essayé. Mais non. Était-ce un manque ou un trop de quelque chose?
Ce qu’il savait faire, après tant d’années?
Attraper la nuit, attraper la lune, ramasser des plumes, coller des mots et en faire des secrets.
C’est le 21 décembre, la nuit la plus longue.
Ernst est assis sur une grille qui crache la chaleur du métro.
La maraude du secours populaire vient de passer.
Ça va, ça va bien, je ne bouge pas, il me faut de l’air, vous comprenez?
Non, on ne comprend pas, mais on le laisse. À force, on le connait.
Ernst, celui qui a les yeux qui bougent sans cesse, celui qui n’est jamais bien loin de la Seine.
Ernst, l’homme qui porte trois manteaux hiver comme été.
Ernst, l’homme qui sourit qu’il fasse -10 ou + 30 degrés.
La nuit la plus longue, pas loin du Pont Mirabeau.
Ernst sent les vibrations d’un train qui passe, en dessous.
Il se souvient d’un vieux poème.
Et nos amours, le deuxième vers.
Il boit au goulot, un rhum offert par une amazone.
Et sur la Tour Eiffel étêtée par la brume se posent tour à tour des visages.
Autant de visages que de compagnes et compagnons de route,
pour habiter la nuit la plus longue.
Ernst.
Le Parloir des souhaits
(Exposition Duy Anh Nhan Duc, Musée Guimet, Paris 16ième, 12h)
Le Parloir des souhaits
Quel est votre souhait? Voici le mien. J’aimerais que chacun prenne un instant pour se poser une question: À quoi tenez vous vous vraiment? Ce parloir préserve en son cœur une envolée de graines sauvages, comme autant de vœux à mettre en action. Ils étaient si puissants, nos rêves d’enfants. Ouvrez les yeux, souvenez vous….
Duy Anh Nhan Duc
Nous sommes au dernier étage du musée Guimet, la rotonde.
Il y a là tant de légèreté, de douceur, de lumière.
C’est une ode au pissenlit, une ode à la nature, une ode à l’enfance.
Exposition hypnotique, on retient son souffle devant la fragilité des aigrettes qui cernent la pièce.
Une part de soi est immobile, la joue caressée par le geste de l’artiste, l’autre part s’échappe par la fenêtre, s’envole au dessus de la ville où vont et viennent les amoureux.
C’est une ode à l’amour.
Union....
(Eugi, Navarre, Espagne, 10 août, 15h)
Ongi Etorri
Bienvenue
Il avait hésité
Il avait fallu forcer le cadenas rouillé
Il y avait là une assemblée d’hommes et de femmes de gauche
Leurs cheveux, leurs barbes, leurs ongles avaient poussé
Ils se tenaient autour d’une table usée à force de ratures sur du papier trop fin
L’encre des plumes s’était épuisée
Ils ne parlaient plus
Ils se contentaient de hocher la tête de gauche à droite
Johnny B.Goode
(Sur la N 4 entre Coole et Soudé, Marne, 17h)
Le ciel est clair, la route court.
Johnny B. Goode rentre à la maison.
Accrochée au rétroviseur
la photo de Rita se balance
dans son médaillon d’argent.
Sainte Rita, la sainte de l’impossible.
Go Johnny go go
Johnny B. Goode
appuie sur le champignon,`
la route s’en va vers la nuit.
Un sac de riz
(Strasbourg, Bas-Rhin, 16h 40)
C’est un tunnel qui passe sous l’autoroute,
près du cimetière militaire de Strasbourg.
C’est un passage vers un autre monde.
Non, on ne va pas au centre ville
où la foire de Noël bat son plein
dans des centaines de chalets identiques.
On s’en va bien plus loin, en Asie,
ou, pourquoi pas à Valparaiso.
On s’en va avec un sac de riz.
Sur chaque grain est inscrit un prénom.
On s’en va rendre visite, à tous,
vivants et morts,
tant qu’il est encore temps.
Atomic Bowl
(Amnéville, Moselle, 15h 50)
Le bras droit lance la boule, il se tend vers les quilles tandis que le buste pivote légèrement, le bras gauche vers l’arrière. Mais c’est surtout le mouvement de la jambe droite, la pointe du pied glissant sur le parquet derrière la jambe gauche, qui fascine Kévin, l’instant, quand la boule touche la piste, où tout le corps d’Adèle est une diagonale en suspension, une flèche qui transperce son cœur. Adèle ne bouge plus tandis que roule la boule, Kévin suit la trajectoire, penche la tête à l’inverse du corps d’Adèle comme s’il voulait retenir la silhouette de la jeune femme dans cet équilibre précaire, comme s’il voulait disparaître définitivement au croisement de ces lignes et forces contradictoires qui lui semblent être l’expression la plus parfaite de la grâce.
Alors quand la boule atteint son but, dans le fracas des quilles entrechoquées, Kévin gueule, il gueule son amour et son désir, il ose ce que le silence lui interdit, il gueule des mots de bucheron, des mots taillés dans le bois brut, des mots qui se perdent dans l’explosion des quilles.
Aucune quille n’est restée debout. Tandis que la machine les remet en place, Adèle se retourne, elle sourit.
L’a-t-elle entendu? Qu’a-t-elle entendu? C’est si difficile de dire je t’aime…
Une fille qui s'ennuie
(Sur la D 933, Entre Châlons-en-Champagne et Montmirail, Marne, 13h 40)
À Bergères-les-Vertus, sur la D 933 dans la Marne, il y a une fille qui s’ennuie.
Elle regarde passer les camions.
Quand il n’y a pas de camions, elle regarde passer les oiseaux.
Quand il n’y a pas d’oiseaux elle regarde passer les fourmis.
Quand il n’ y a ni camions, ni oiseaux, ni fourmis, elle regarde la route toute droite,
qui s’en va loin, là-bas, tout au bout,
et elle s’ennuie un peu plus…
Dans le ruisseau
(Quelque part dans la Somme, 3 novembre 2016)
Une main tient le pinceau, l’autre est derrière le dos.
Le geste est flottant sur le papier.
Maître Akeji utilise des pigments de sa confection.
Après avoir fait sécher la feuille au vent, il la trempe dans le ruisseau.
Est-ce là l’un de ses secrets, qui donne transparence à l’œuvre?
Ce ciel a-t-il été trempé dans le ruisseau?
C’est une vieille photo, prise sur la route, encore.
Je me souviens ce jour là avoir dormi au dessous d’une image du Grand Canyon.
Je n’ai pas encore l’âge de Maître Akeji, même si je m’en approche.
Je ne suis qu’un vieux marionnettiste qui depuis 43 ans joue le même spectacle.
Autrefois je sautais, je virevoltais, je plongeais, je chantais tête en bas, je riais les pieds au mur.
Maintenant je bouge moins, beaucoup moins.
Pourtant je vois dans le regard des enfants, que je saute, que je virevolte, que j’ai la tête en bas et les pieds aux murs.
Je n’ai pas encore la longue barbe de Maître Akeji.
C’est mon corps tout entier que je trempe dans le ruisseau.
Picorer
(Exposition Écrire c’est dessiner, Centre Pompidou-Metz, 12h)
Aujourd’hui, galerie n°1 du Centre Pompidou-Metz, je picore de la beauté,
comme cet homme oiseau en quête de nourriture.
Sur le Parvis...
(Parvis des droits de l’homme, Metz, Moselle, 6 décembre, 14h 50)
Le ciel est pris dans les vitres,
les arbres sont pris dans la dalle,
la fuite est de béton,
et pourtant le vent souffle
la mémoire d’un paysage originel
où des pas s’inscrivent
sur une terre aride.
Et l’homme qui vient
est traversé par l’éclatant souvenir
de l’oasis de son enfance.
À 15h devant la gare de Metz
(Metz, Moselle, 15h)
À 15h devant la gare de Metz,
il y a un gars qui joue de l’accordéon.
Il a froid aux doigts et il n’y a que trois sous dans son pot.
Le visage collé au clavier, il se recroqueville sur son tabouret.
Il se replie dans son son instrument,
pour s’y réchauffer
À 15h devant la gare de Metz,
il y a une femme qui attend.
Une épingle coincée entre ses dents, elle remonte ses cheveux blancs en chignon.
À ses pieds trois cabas de plastique.
Son geste a la grâce d’une jeune fille,
une jeune fille amoureuse.
À 15h devant la gare de Metz,
il y a un homme qui regarde.
Il n’a rien d’autre à faire. Il regarde l’horloge.
Les mains dans les poches, il écoute la musique, Mon manège à moi c’est toi…
Les yeux plissés, il attend le moment,
le moment où la vieille dame et le musicien se regarderont.
Un cheval blanc
C’est un cheval blanc.
Un cheval blanc qui attend que quelqu’un pose ses rêves sur son dos.
Alors, il bondira jusqu’aux plus hautes branches du grand arbre,
et de là s’en ira par delà les mers jusqu’aux montagnes de l’ami américain,
dévalera la pente aussi blanche que son pelage,
pour disparaître au grand galop là où le vent courbe les herbes sèches à l’infini.
La Dame blanche
(Autoire, Lot, 7 novembre, 11h 30, 11h 35, 11h 50)
Ils avaient marché jusqu’au fond du vallon, où le sentier se heurte à la falaise, où l’eau du Causse se jette joyeusement dans le vide, où la pierre est glissante, où le soleil se fait attendre.
Au pied de la cascade, le Vieux avait trempé ses mains dans l’eau froide, puis s’était aspergé le visage en fermant les yeux. Arthur l’avait vu sourire, un sourire contagieux, un sourire comme un souvenir, un souvenir du temps où on ne sait rien.
Alors le Vieux avait dit:
J’écoute la Dame blanche, celle qui recueille les histoires des hauts plateaux et les répand dans la vallée, celle qui enfante, arcboutée au rocher, celle qui nous nourrit et nous rafraîchit.
Elle me parle d’un temps où elle était capable d’écarter les montagnes, de creuser la route jusqu’à la mer, d’un temps où les êtres humains n’étaient pas encore là.
Elle est arrivée, silencieuse comme un nuage, à grandes enjambées sur une terre où il n’y avait que des pierres. Son ventre était énorme et ses jambes interminables.
Il y avait là sur un caillou une grenouille desséchée, une grenouille cramoisie qui paraissait aussi plate qu’un manuscrit, une grenouille à l’agonie qui ne trouvait plus ses mots.
Zut…zut…soif….murmurait le batracien.
La Dame blanche l’a prise dans ses mains et a posé ses lèvres sur sa bouche. Un long et tendre baiser. La grenouille s’est regonflée, et s’en est allée à grands bonds sur les pierres sèches.
La Dame blanche a regardé autour d’elle ce paysage désolé, dont la seule pointe de joie était la tache verte qui bondissait de pierre en pierre.
Elle décida de faire son lit de ce pays. Elle creusa un large trou dans le sol et mit au monde des arbres, des bêtes et des hommes qu’elle se promit d’allaiter tant qu’elle en aurait la force.
C’est elle, Arthur, qui se dresse devant toi.
Alors Arthur a plongé ses mains dans l’eau, s’est aspergé le visage en fermant les yeux, et le Vieux l’a vu sourire, un sourire contagieux, un sourire comme un souvenir, un souvenir d’un temps où on sait beaucoup, beaucoup de choses.