Au Cinéma
Dans la ville de mon enfance, le cinéma s’appelait Le Régent. On y allait en bande le jeudi après midi. Je me souviens avoir pleuré à chaudes larmes en regardant Le Docteur Jivago tandis qu’au fond de la salle les autres garçons se lançaient des capotes anglaises gonflées.
Dans une autre ville, en bord de mer, où nous allions tous les étés, il y avait en ce temps là trois cinémas. Je me souviens d’une séance au Ciné-Plage. On y jouait Le Gendarme de Saint Tropez. Je devais avoir une dizaine d’année, j’étais avec ma mère. Devant nous un couple d’amoureux qui s’embrassaient goulument cachait une partie de l’écran à ma mère. Lorsque celle ci tapa sur l’épaule du jeune homme lui intimant de cesser leurs ébats afin de ne plus obstruer sa vision, le jeune homme lui répondit d’une voix agressive "Vous êtes jalouse?". J’éprouvais alors un mélange de gêne et d’amusement accentué par les images.
Il y avait cette autre salle, Le Casino, dans un bâtiment de style mauresque. Un soir, bien plus tard, mon amoureuse du moment se sentit mal devant une séquence de Salo où les 120 journées de Sodome et nous quittâmes précipitamment la salle. Je n’ai toujours pas vu ce film en entier et la jeune fille a disparu.
Je me souviens encore d’une soirée d’hiver dans une salle municipale où s’était arrêté un cinéma itinérant. C’était à Mens , en Isère. L’écran était un drap tendu qui faisait des plis. Je ne sais plus ce que nous y avons vu mais je me rappelle du froid mordant lors de notre retour à pied travers la campagne gelée.
Il y eut aussi ce jour où j’allais seul pour la première fois de ma banlieue à Paris en train jusqu’à Saint Lazare pour voir un film de grands, Le Clan des Siciliens. J’avais douze ans et quelques mois.
Et un peu plus tard, cette séance sur les Champs Elysées. Nous étions avec mon père et ma soeur ainée, c’était Satyricon de Fellini, je devais avoir treize ans et j’étais stupéfait par l’extrême sensualité de ces images. Le mystère est que mon père a toujours été d’une infini pudeur et la nudité l’incommodait. Je me suis toujours dit qu’il avait du se tromper de salle et n’avait rien osé dire.
Tant d’autres séances me reviennent comme celle ci avec ma grand mère et mes soeurs, avenue de l’Opéra, Les Enfants du Capitaine Grant. Les images de ce film d’aventures sont imprimées en moi.
Et encore Woodstock, dans une petite salle du quartier Latin. J’avais écarté le guidon de ma Peugeot 101 pour lui donner des airs d’Easy Rider et roulé huit kilomètres jusque là. J’ai du voir ce film une dizaine de fois. J’avais quinze ans et au delà de la musique je découvrais qu’on pouvait librement s’aimer, se baigner nu dans les rivières, se rouler dans la boue et danser du matin au soir. Quelques mois plus tard je partais sac au dos sur les routes avec un sentiment de liberté inouï.
Enfin, dans quelques jours, je serais au Balzac sur les Champs Élysées, à la fois dans la salle et sur l’écran. Le film y raconte la distance d’un père à son fils.
Tous ces films, toutes ses salles, ces moments de rêves mais aussi de vie.
Quand j’ai vu cet homme devant le cinéma de Pornic, je me suis dit qu’il avait l’horizon à portée de regard et pourtant il préférait se réfugier dans l’obscurité. Je me suis dit qu’il était plus facile de vivre par procuration.
Et puis tous ces souvenirs ont surgi, le fil d’une vie, sans procuration.
Là bas au bout de la rue, la voie est libre, l’horizon est ouvert, il suffit de prendre le large.
Et là, à coté, dans le noir, l’envers, l’intérieur, ici aussi la voie est libre, il suffit d’y plonger.
Plonger, prendre le large, plonger à nouveau, prendre le large….