La visite
(Lamenay-sur-Loire, Nièvre, 12h 40, 16h 15)
Elle a toussé, gigoté, toute la nuit, le repoussant au bord du lit jusqu’à ce qu’il tombe.
Il ne s’est pas recouché, attendant le jour à la fenêtre.
Il a entendu le coq, les chiens, puis les bœufs.
De temps en temps il regarde sa femme étalée en travers du lit. Il ne reconnait pas le visage d’autrefois. Même endormi, ce visage n’est qu’inquiétude, tics, tremblements. La peau flasque semble en mouvement continu. Quelque chose se trame là dessous, quelque chose de moche.
Il le sait, on ne peut rien faire, c’est la maladie, et la maladie change le caractère, change le visage. L’amour se perd dans des connexions neuronales bousculées.
Elle ouvre les yeux, se racle la gorge, le regarde et brusquement, sèchement:
- Va me chercher du gui, il en faut sur la porte, au dessus aussi, et sur la cheminée. Ils arrivent aujourd’hui, il faut décorer la maison, il y a longtemps qu’ils ne sont pas venus nous voir.
De qui parle-t-elle? Personne ne vient depuis longtemps, la maladie, ça fait peur. Il ne pose pas la question, il acquiesce. Il enfile sa veste, ses chaussures et sort dans le matin gris.
Le ciel est comme une lourde cape de mauvaise laine qui voute ses épaules. Il marche lentement dans l’herbe détrempée le long du canal. Il sait où trouver du gui, à deux kilomètres, juste avant les Vanneaux. Encore faut-il qu’il y en ait aux branches basses. Il ne grimpe plus aux arbres.
Soudain, au pont de Jagny, il entend une clameur. Ce sont les grues cendrées qui craquettent et trompettent, elles se sont posées tout autour dans les champs, elles font bombance dans la terre lourde.
Trois d’entre elles se sont échappées du troupeau, passent à hauteur de trois boules de gui, bien trop hautes.
Alors il se redresse.
- Oui! Ce sont les grues, elles arrivent, elles sont là, ce sont elles, elles viennent nous voir!
Comme chaque année. Mon amour, mon tendre amour.
Et il grimpe à l’arbre comme un jeune homme pour y cueillir le gui précieux.