Une robe nuptiale
(Villers-devant-Orval, 9 juillet, 16h 30)
Ils longeaient le ruisseau, s’attardant devant la moindre fleur, fouillant du regard la végétation en quête d’insectes dont ils copieraient les noms sur leur agenda poétique: la Chrysomèle, l’Hoplia coerulea, le Vulcain…
Un Vulcain, papillon aux couleurs vives, noir, blanc, rouge, quelques pointes de bleu, s’était posé sur une feuille sèche elle même posée sur une fleur blanche. À peine l’avaient-ils aperçu que le papillon s’était envolé.
Le Vieux avait tenté de le suivre tandis qu’Arthur restait immobile devant la feuille percée de mille trous où passait la lumière.
L’insecte avait disparu au delà du sentier et le Vieux était revenu vers Arthur.
Alors le Vieux avait dit:
« Un Elfe qui cherche sa promise, sans doute…
Vois-tu, Arthur, ces feuilles sont des morceaux d’étoffes, dentelles de robes nuptiales prises dans les branches lors des courses effrénées des fées au printemps le long des ruisseaux.
Les fées tissent leurs robes tout l’hiver durant au fond des bois dans les grottes ou les arbres creux. Elle manient le crochet, aussi bien que ta grand-mère dont les nappes, rideaux et napperons font voler les tables et ouvrent les fenêtres aux histoires du bout du monde.
Les fées sont comme nous, elles ont besoin d’aimer. C’est au bord des cours d’eau où se baignent et s’abreuvent les elfes qu’elles trouveront aux beaux jours celui qui les comblera.
Elles se vêtissent alors de ces robes ajourées qui laisse transparaître leur cœur palpitant et s’en vont sur les berges chanter et courir avec l’eau, jusqu’à ce qu’un elfe se prenne dans leur filet. »
Le lendemain Arthur était revenu au ruisseau. Toute la journée il avait ramassé des feuilles trouées. Il les avait patiemment nouées les unes aux autres jusqu’à en faire une robe à la taille de Nina, sa petite voisine dont il connaissait parfaitement les mensurations à force de la regarder.
Au premier jour des vacances, il avait retrouvé Nina au pied du noisetier, là où un trou dans la clôture permet d’aller d’un jardin à l’autre. Il lui avait offert la robe de feuilles et avait dit.
« Tu sera ma fée, je serai ton elfe »
Elle avait passé le vêtement de dentelles avec d’infinis précautions et, craignant de déchirer la fragile robe, ils étaient restés là, parfaitement immobiles, les yeux dans les yeux,
jusqu’à ce que tombe la nuit.