Miniatures éphémères
(La Carapa, Macouria, 29 avril, 7h 40)
Obia
(Titre de l’un des formidables polars de la trilogie Guyanaise de Colin Niel)
En attendant Godot
(Pointe des Amandiers, Cayenne, 11h 15)
À la pointe des Amandiers, on attend.
Je ne crois même pas qu’on attende qu’il se passe quelque chose.
On attend, c’est tout.
Ce serait un beau décor pour « En attendant Godot ».
Vladimir, Estragon, Pozzo, Lucky, ils sont tous déjà là.
Ils semblent avoir toujours été là.
Et si Godot venait du large?
Déjeuner
(Aigrette bleue, plage de Montabo, Cayenne, 12h 30)
Ils étaient plus d’une centaine.
Une centaine de mômes qui ne se soucient pas de leur avenir.
Des mômes aussi joyeux que la pluie qui tapait fort sur le toit.
Après le spectacle le petit Bradley me demande: Tu vas où, tonton?
Ici, ils m’appellent tonton. Quand on raconte des histoires, on fait un peu partie de la famille.
Cette après midi, je vais dans une autre école, mais d’abord je vais manger.
Tout seul?
Hé oui, enfin pas tout à fait. Parfois je mange avec des oiseaux, des papillons, ou des chiens, quand je suis très loin de ma maison.
T’as une maison?
Oui, de l’autre côté de l’océan.
Pourquoi t’es parti?
Ben, pour te rencontrer…
Tu vas manger quoi?
Du riz avec un peu de viande et des haricots, et une banane.
Tout ça!
Bradley a rejoint ses camarades. J’ai démonté et chargé mon décor et je suis allé déjeuner sur la plage de Montabo. La pluie avait cessé, la plage était déserte, le sable détrempé.
Aujourd’hui, assis sur une souche au bord de l’eau, j’ai mangé en compagnie d’une aigrette bleue.
Faire son lit
(Macouria, Guyane, 23 avril, 18h 50)
J’ai la peau qui colle
La voix qui rocaille
La pluie mange le papier
La pluie étouffe la voix
Il ne faut pas lutter
Il faut ouvrir les bras
Les histoires sont des couchers de soleil
Je vais ouvrir le lit
Laisser venir
Laisser les grillons et les grenouilles
Se repaître de mes courbatures
Et au matin
Je referai mon lit
Comme on ferme un livre
C’est ainsi
Chaque jour
Faire son lit
Je l’ai toujours fait
On me l’a appris sans doute
Ce soir je comprends pourquoi
Loao et Émmanuel
(Régina, Guyane, 11h 50)
Emmanuel, le créole, poussait sa bouteille de gaz sur un chariot à roulette. Emmanuel a de mauvaises jambes, la marche est difficile. Il fait une pause sur le perron d’une maison aux volets clos.
Loao, le brésilen, est venu le retrouver. Parler un peu, ou juste regarder ensemble les gens qui passent. Loao habite à côté, une toute petite maison. Il n’y pas grand monde ce matin à Régina,
quelques militaires qui attendent leur pirogue et un gars en sueur qui regarde partout et photographie les caciques cul-jaunes qui piaillent dans le grand manguier.
Ici, tout le monde se connait. Le photographe, pas sûr.
Hé oui c’est bien moi qu’ils regardent. Ce n’est pas la première fois que je viens ici. J’aime ce bourg qui ne paye pas de mine. Chaque fois j’y rencontre de nouvelles personnes. Le village est paisible.
Je salue les deux hommes, nous échangeons quelques mots.
Loao a 82 ans. Il a écumé la Guyane de l’ouest à l’est en faisant tous les boulots possibles et imaginables. Il a un fils à Paris.
Emmanuel est moins bavard, le sourire et le regard suffisent. Il a 46 ans.
Quand je leur dit que je viens faire un spectacle pour les enfants de l’école, ils rigolent.
Je leur raconte les histoires, le blog, et ça fait les fait encore marrer.
Ils me permettent de les photographier.
Je photographie rarement les gens, je n’ose pas. Il faut d’abord faire connaissance (j’aime cette expression).
Là, c’est une évidence, deux gars ordinaires sur les pas d’une porte qui me regardent avec bienveillance.
Et c’est ça la Guyane: la forêt et les gens.
Mobil-home
(La Carapa, Macouria, Guyane, 17h05)
Un bijou qui traine son mobil-home de feuille et de terre
Sans doute une chenille de la famille des psychidae
Je l’ai regardée des heures trainer cahin-caha son sarcophage
Disparaitre à l’intérieur, réapparaitre de l’autre côté
C’est peut-être ça qu’il me faudrait, un van de terre et de feuille
Et pour après, un cercueil de terre et de feuilles
Je suis là depuis hier soir et j’ai déjà la peau qui change
Songlines
(Yarrkalpa, détail, Acrylique sur toile de lin, 2013, œuvre collective: Kumpaya Girgiba,Ykartu Bumba, Kanu Nancy Taylor, Janice Yuwali Nixon, Reena Rogers, Thelma Judson, et Ngalangka Nola Taylor, Exposition Songlines, Musée du Quai Branly, 11h 40)
Déclaration des artistes, 2013:
« Nous sommes sœurs, mères, filles, petites filles, tantes, nièces.
Nous sommes peintres, nous sommes des femmes martu, qui veillons sur notre pays.
On y chasse, pour en prendre soin.
On pratique le brûlis, puis on récolte les fruits du bush.
On pratique le brulis, et les animaux mangent le waru-waru.
Ils engraissent, alors on chasse et on mange les animaux.
Le goanna, le kangourou des collines, l’outarde, le chat sauvage.
On raconte des tas de petites histoires sur la chasse dans le territoire de Parnngurr.
Toutes les femmes réunissent leurs histoires sur une même grande toile.
C’est spécialement pour enseigner aux autres - qu’ils soient du Pays martu ou non - la façon dont nous vivons.
Dont nous avons toujours vécu.
Dans ce pays.
Ce pays c’est nous.
Nous devons le partager, et en parler, et le protéger.
Le garder fort. »
Cette peinture cartographie un paysage, collines, dunes, plaines, rivières, grottes, sources.
Je suis longtemps resté devant cette carte aussi sensible que précise.
Invitation au voyage. Invitation à cartographier ses pays, réels et imaginaires, les pays qui vous font, une couleurs pour chaque lieux, pour chaque chose, et la vie éclate, et le chemin est un chant.
Demain je pars en Guyane, l’un de mes territoires de prédilection.
J'emporterai Le Chant des Pistes de Bruce Chatwin et une boite de crayons de couleurs.
Une lyre
(Glycine, Vaucresson, 16 avril, 19h)
Juste avant que les feuilles ne se déploient
Juste avant que les fleurs ne se déplient
On peut entendre au jardin une douce musique
Ce n’est ni le vent, ni la pluie, ni les oiseaux
Ce sont les murmures de timides poètes
Qui trouvent à la pointe des branches
L’élan pour avouer leur amour
Étreindre
(Vaucresson, 14 avril, 23h)
Hier soir par la fenêtre de toit à Vaucresson, une étrange lumière, bleu, blanc et rouge. Explosion, ovni, chantier, fête? Je n’entends rien d’autre que les bruits habituels de la nuit.
Une étrange sensation. Inquiétude et excitation. Troubles de l’inconnu. Prémonition d’un avenir incertain.
Éteindre, étreindre. Une petite lettre de différence, une lettre que certains roulent avec bonheur,
comme la chanteuse et violoncelliste Anna-Carla Maza.
Je pars bientôt pour un long voyage. Aujourd’hui j’ai voulu prendre ma vieille mère dans mes bras.
Nous nous sommes seulement effleurés les joues. C’est comme ça chez nous. C’est enfoui.
« Ce qui me manque le plus, c’est qu’il n’y a personne pour me tenir dans ses bras », disait une amie qui venait de perdre son mari.
Étreindre.
Cette image qui ne me quitte pas depuis quelques jours, dans le magnifique et poignant film de Laura Mora Ortega, Los Reyes del Mundo: En Colombie, quatre jeunes garçons des rues ayant entrepris un long voyage pour rejoindre la terre de l’un d’entre eux, font une halte dans un bordel de campagne. La jeunesse a déserté les lieux depuis longtemps et voici ces vieilles putains qui dansent avec les enfants, le plus âgé a dix sept ans. Une danse lente, chaque garçon dans les bras d’une femme, chaque femme dans les bras d’un garçon, juste une danse, sensuelle, la solitude de chacun, des mères sans fils et des fils sans mère, dans les bras les uns des autres.
La caméra s’attarde sur les visages, sur les bras, les mains, les nuques. C’est un slow bouleversant.
Étreindre.
Encore un film. Vu ce soir. impossible de contenir mes sanglots au générique. The Quiet Girl de Colm Bairéad. D’une telle délicatesse! En Irlande, une gamine solitaire, taiseuse, sauvage et malaimée est envoyée par ses parents passer l’été chez des cousins, un couple tout aussi taiseux portant sous des couches de silence le deuil d’un enfant. Ces trois là font connaissance, s’apprivoisent, se réconfortent. Trois lumières.
Étreindre
Avenir Incertain?
Éteindre la lumière, étreindre…
Boucs de fer
(Travaillan, 18 mars, 12h 50)
Les boucs de fer broutent les branches mortes.
Ils tournent le dos aux fleurs, à l’herbe tendre.
Machines au rebut, pulvérisateur de poison,
Abandonnés au bord du champ après de bons et loyaux services,
Condamnés à la rouille et aux feuilles mortes.
Hélas le vigneron n’a pas abandonné le poison.
Il a seulement remplacé les machines,
Bêtes de métal plus grande, au crachat plus performant.
Elles finiront elles aussi au bord du champ.
Toute un peuple de ferraille qui un jour
Disparaitra englouti par la végétation.
Un jour.
Quand nous ne serons plus là.
Manif
(Avenue de l’Opéra, Paris, 14h 50)
La lutte est joyeuse avenue de l’opéra.
Elle le sera un peu moins en fin de journée. Comme chaque fois.
Le cortège passe devant la Comédie Française.
J’ai vu alors un homme immense vêtu d’une combinaison de moto noire, portant un énorme bouquet de fleurs, traverser la foule, puis une rangée de CRS, pour se diriger vers le théâtre.
Un bouquet sans doute pour une actrice se préparant dans sa loge.
Une actrice qui peut-être prononcera des mots de lutte. On joue Angels in America en ce moment à la Comédie Française.
Des mots de lutte dans la lumière et le velours.
C’était vraiment un très beau bouquet.
Vive la république
( Thomise sur tulipe, Vaucresson, 17h)
Folie au jardin.
Entre deux averses,
Une ballerine danse sur le bord d'une feuille,
Quand aux tulipes, elles aboient, elles braient,
Ou se prenant pour des lapins de Pâque,
Elles se chevauchent avec frénésie.
Vive la république!
Combien de batailles
(Ermitage San Martial, Irun, Espagne, vu d’Hendaye, 4 avril, 8h 10)
Par la fenêtre.
Je gomme la ville au premier plan.
Tout au fond les montagnes ennuagées
Une trace de soleil dessine un chemin.
De l’ermitage San Martial vers les Trois Couronnes, hors de vue.
La cascade d’Aitzondo reste dans l’ombre.
Petite tache blanche, à droite.
La cascade et l’ermitage, en symétrie dans le paysage.
De ma fenêtre.
Lors des grosses pluies la montagne crache.
La cascade parade, jaillissante, blanche, fière, visible à des kilomètres.
L’été dernier, chétive, elle s’est endormie.
L’eau, le sang de la montagne.
Qu’adviendrait-il des montagnes exsangues.
À gauche, dans la lumière, l’ermitage San Martial.
De là haut on aperçoit la baie de Txingudi.
Par temps clair on peut voir les bateaux de pêche quitter le port de Fontarrabie.
San Martial fut édifié par Don Beltrán de la Cueva, capitaine général de Guipúzcoa en commémoration de la victoire contre l’envahisseur français le 30 juin 1522.
D’autres batailles ont ensanglanté ces montagnes.
Dans les vieux murs, des traces de balles franquistes.
De l’ermitage aux Trois Couronnes, en passant par la cascade, par les tunnels menant aux anciennes mines, suivre des chemins de sonnailles.
Et à venir, combien de batailles?
Une planète et son satellite
(Euphorbe, Buxerolles, 7 avril, 10h 50)
Les mots me manquent.
Entre deux voyages je ne sais plus trop où je suis.
Dans le silence de la nuit la lassitude subrepticement m’envahit.
C’est à l’instant où j’abandonne que vient une image.
Celle que je retiens de cette journée.
Sur le marché de Poitiers, une femme toute ridée, coiffée d’un fichu coloré, roule sur sa table la pâte pour faire le Börek. Ses gestes sont précis, rapides, sensuels. Aucune pause, il faut fournir, ses galettes sont réputées.
Pourtant, elle s’arrête, un court instant, elle se penche au dessus de l’étal pour saluer le môme de deux ans qui l’observe depuis un moment, les yeux ronds, fasciné par les mains usées qui roulent et étirent la pâte.
Elle se penche. Ses mains sont blanches de farine. Son sourire creuse les rides. Ses seins lourds touchent la table. Elle semble suspendue, comme le petit garçon qui ne la quitte pas des yeux, suspendus, reliés par un fil de lumière, une planète et son satellite.
Et cette image ne me quitte plus. Dans la nuit étoilée l’enfant tourne autour de la femme. Les galettes sont des planètes, et les seins de la femme, et son visage, et les mains de l’enfant, si petites, si fines, et nous qui regardons, et vous qui lisez…
Le ciel devient une peinture de Chagall traversé d’ânes, d’amoureux et de musiciens et au centre une géante aux seins lourds qui roule autant de crêpes qu’il faudrait pour nourrir l’humanité entière.
Vœux
(Buxerolles, Vienne, 11h 45)
Sur le pissenlit
Sur la lune pleine
Sur la lune plume
Faire un vœu avant de souffler
Quel vœu?
J’hésite
Ci et ça
Et encore ça qui va pas
Et pourquoi pas ça
Plutôt que ça
Et puis tout ça
Alors y a le môme qui souffle
Qui souffle sur le pissenlit
Qui me souffle à la figure
Qui rigole des aigrettes sur mon nez
Des aigrettes qui me font éternuer
À tes souhaits!
Le haut liseron
(Hendaye, 4 avril, 15h 25)
Le tamier commun, le reponchon, le haut liseron, le raisin du diable, l’herbe aux femmes battues, le sceau de Notre-Dame, la vigne noire, autant de noms pour cette plante dont les baies rouges sont toxiques et les racines bienfaisantes; elles soignent les contusions et meurtrissures.
Il en faudrait tant….
Les barbichus
(Hendaye, 15h 30)
95 vieillards barbichus vivaient au fond d’un trou luxuriant.
Ils s’étaient éloignés des affaires accablés de tant d’incompétence.
Pour ne pas se couper totalement du monde, une fois par jour, ils grimpaient les uns sur les autres jusqu’en haut du trou afin que le dernier puisse rendre compte de ce qu’il se passait au delà.
Chaque jour ils intervertissaient leurs places, le plus haut passait au plus bas et ainsi de suite.
Chacun pouvait alors jouir du spectacle de ce qu’ils avaient quitté et décrire aux autres l’état du monde.
Le moment du récit étaient le point culminant de la journée, on commentait avec ferveur et le fond du trou bruissait des voix des 95 barbichus comme une ruche en effervescence.
Le Dragon de Saint-Léon
(Saint-Léon-sur-Vézère, Dordogne, 12h 20)
Au manoir de Saint-léon on peut voir au grenier des fossiles d’Amphisbene, de Basilic et de traces d’Hyppogriphe, des cornes d’Éale et de Licorne, et autres merveilles, preuves que les monstres qui peuplent mes nuits existent bel et bien.
Un Dragon tapi dans la charpente surveille ces trésors.
Une Joconde tient la caisse. Elle accueille les visiteurs d’une voix de Sirène. Elle se garde de dire qu’un sur cent disparait, qu’elle trafique la billetterie de façon qu’il en sorte toujours autant qu’il en est entré.
Le soir, épuisée d’avoir tant souri, elle retrouve le monstre du grenier et se livre à lui en poussant de tels râles qu’ils effraient les chauve-souris. Derrière une porte interdite au public, il y a au chaud sous un amas de paille, quelques œufs de bonne taille, fruits des amours de la caissière et du Dragon.