Aimé par le lierre
(Marnes-la-Coquette, 27 février, 17h)
Nous marchons. Elle me dit:
Regarde cet arbre, comme il a été aimé par le lierre.
Je lui demande de me le dire encore une fois.
Et puis une autre…
Il faudra...
(Vaucresson, 25 février, 12h)
Je ne suis pas un guerrier.
Je voudrais ne m’occuper que de fleurs et d’amour.
Pourtant combien d’histoires de guerres ai-je écrites?
Aurais-je la même attirance pour les champs de bataille que pour les champs de fleurs?
Je regarde faner les tulipes, j’admire leurs formes et leur texture.
Sur une terre ébranlée par les bombes, les pétales seraient déjà tombés.
Il faudra un jour ne plus se contenter de raconter des histoires.
Confession
(Quelque part en Brenne, Indre, 31 janvier 2021, 16h40)
J’écris ces lignes à quatre heures du matin.
Un rêve étrange m’empêche de dormir.
Je viens de tuer un homme. Nous étions dans une barque, au centre d’un étang profond. Le ciel était bas. Une légère brise ridait la surface de l’eau. J’ai poussé l’homme. J’ignore qui c’était. Je l’ai regardé se noyer, sans aucun état d’âme, avec pour seul témoin un canard à col vert. À l’instant où l’homme a sombré, un timide rayon de soleil s’est posé sur la tête moirée du canard.
J’écris cela sur mon blog, toujours sans remords, toujours dans mon rêve. Au moment où je m’apprête à le publier, je me dis que ce n’est pas une bonne idée. Personne ne sait que je suis un assassin. Puis je me dis qu’on croira que ce n’est qu’une histoire de plus. Alors en un clic je publie ma confession.
C’est à cet instant que je me suis réveillé, perplexe...
J'ai laissé mon enfance à Lestole
(Lestole, Saint Alvère, Dordogne, 11 janvier, 17h 35)
C’était en janvier.
Je suis resté une semaine dans cette maison, à Lestole sur la commune de Saint-Alvère, une vieille maison de pierre sur une colline en bordure de forêt.
Ce fut une semaine de ciels clairs, de splendides couchers de soleil. Je me sentais bien dans ce paysage, dans cette maison qui me parlait une langue familière.
Il y avait dans la prairie face à la maison, une balançoire accrochée à une grosse branche d’un arbre solitaire.
Et chaque soir, à l’heure où le soleil disparaissait derrière les crêtes boisées, la balançoire oscillait,
elle oscillait sans qu’il n’y ait le moindre souffle de vent, elle oscillait au même rythme jusqu’à la nuit. Et chaque matin, la terre au dessous semblait avoir été fraichement remuée, comme si quelqu’un avait toute la nuit poussé sur ses pieds.
La troisième nuit je restais à la porte fixant l’arbre, hypnotisé par ce balancier silencieux, jusqu’à ce que le sommeil me gagne. Je ne vis personne, jamais.
Le quatrième jour, à midi, j’allais m’assoir sur la planche de bois. Je saisis une corde dans chaque main et poussai sur mes jambes.
Après à peine un aller et retour, je fus assailli par un étrange souvenir.
C’était dans un bar miteux d’Oiapoque au Brésil. J’étais en compagnie d’un vieux forestier à qui il manquait trois doigts. Un néon blafard grésillait. Nous venions de finir une bouteille de rhum. Il était tard. Une sono éraillée jouait Born to Be Blue de Chet Baker. De temps en temps une main claquait sur un moustique. Nous avions parlé des heures, des heures de confidences qu’on ne fait qu’à un étranger qu’on ne reverra plus.
Je me souviens de son regard. Dans les yeux, une forêt au couchant.
Et surtout je me souviens de sa dernière phrase avant qu’il s’effondre sur le bar:
J’ai laissé mon enfance à Lestole….
Un toit
(Lestole, Saint-Alvère, Dordogne, 14 janvier, 8h 35)
Une bousculade sur un vieux rafiot, elle passe par dessus bord, l’eau est glacée, elle coule….
Hana se réveille en sursaut, le souffle court. Elle a froid. Toujours ce même cauchemar au petit matin. Mais cette fois il lui a semblé plus court, et surtout elle savait au fond de l’eau qu’elle rêvait, qu’il était temps de se réveiller.
Elle se lève, enfile de gros chaussons de laine, bien trop grands pour elle, couvre ses épaules du dessus de lit en patchwork, et va à la fenêtre.
Du plat de la main, lentement elle essuie la buée, lentement, comme on prend le temps d’ouvrir un cadeau tant attendu.
Le paysage se dévoile, tellement blanc. Tout est blanc de givre, sauf les oiseaux.
Et Hana sourit au soleil levant, heureuse d’avoir enfin trouvé un toit.
Qu'est-ce que je dois faire?
(Vue du Pont Louis Philippe, Paris 5ième, 16h 10)
Il fait gris. Je marche dans Paris.
Sur le pont Louis Philippe, au dessus d’une Seine maussade, j’aperçois une silhouette voutée assise sur un banc de pierre à la pointe de l’île Saint-Louis.
Que sa tristesse est belle, me dis-je, allant d’un pas vif. J’échafaude toutes sortes d’histoires sur ce quai où les amoureux ont si souvent été photographiés.
Je fais demi tour pour photographier cet homme. Un léger crachin se met à tomber. J’aime cette mélancolie qui sourd des murs envasés.
En zoomant sur l’homme en noir, je réalise qu’il regarde simplement son portable.
Alors je préfère rester sur un plan large et l’illusion d’un homme au prise avec ses combats intérieurs, un homme qui dit aux pierres et à la rivière ce qu’on ne peut dire à d’autres hommes, un homme dont le dos se courbe comme un point d’interrogation: Qu’est ce que je dois faire?
À Sophie
(Vaucresson, 9 février, 18h 45)
Sur la table du salon
un bouquet de fleurs fanées
anémones et mimosa
des fleurs qui se laissent aller
un livre, À la ligne,
Feuillets d’usine
de Joseph Ponthus
J’attends que la rue se taise
qu’ils soient passés
ceux qui rentrent du travail
j’attends que s’effacent les ombres
et les pas, plus forts dans le noir
j’attends que la nuit se taise
pour lui dire combien je l’aime
Le Grand et le Petit
(Auxerre, Yonne, 17h 25)
Il a la soif du bout du monde
et le grand lui dit que si l’amour rend fou
c’est bien que la terre est ronde
Il a le cœur en éventail
et le grand lui dit que si sa vue déraille
c’est bien qu’on ne sait pas tout
Le grand et le petit s’en vont à l’unisson
au bout du bout du monde
L'Épouvantail
(Argelouse, Landes, 24 janvier, 18h 15)
Je venais d’arriver chez mes hôtes du jour, en lisière de forêt. Je faisais quelque pas avant la nuit, à l’heure où sortent les bêtes. Il y avait sur le bord de la route deux arbres, un conifère et un feuillu, seuls, l’un près de l’autre, comme deux compagnons, deux vieux compagnons qui attendent, sur le bord de la route.
Immédiatement je pensais à la première scène de L’Épouvantail de Jerry Schatzberg, Max et Lion (immenses Gene Hackman et Al pacino) sur le bord d’une route attendant qu’une voiture daigne les prendre. La route, les clôtures, l’herbe jaune, les poteaux électriques, l’Amérique.
Le froid était vif, la lumière tombait et l’Amérique était juste là de l’autre coté du fossé.
Et je me disais en regardant la route filer à l’est que c’est pas demain que je me rangerai des voitures.
Estrémadure
(Lagleyre, Landes, 25 janvier, 8h)
Il se tient droit sur la terre gelée, les mains dans les poches, le béret vissé sur le crâne.
Il attend que se lève le soleil. À chaque respiration s’échappe de sa bouche un nuage qu’il suit avec attention jusqu’à sa disparition. Il est là chaque matin que dieu fait, il fait partie du paysage, il fait corps avec cette terre au parfum de sable et de résine.
Pourtant cette terre n’est pas la sienne. Il vient d’ailleurs, plus au sud, chassé par les forces franquistes après avoir vu sa famille exterminée à Badajoz, en Estrémadure.
Estrémadure, un mot qu’il aime par-dessus tout, un mot qu’il étire avec délice quand il raconte son pays d’avant à ses enfants et ses petits enfants, un mot qu’il fait sonner comme la rumeur d’un village à flanc de colline, comme un volet qui claque sur la pierre sèche. Il dit de son pays que c’est une fleur à épines. L’Estrémadure, la terre des conquistadors Fransisco Pizarro et Hernán Cortés.
C’est ici à Lagleyre que la guerre l’a mené, un village comme un pied de nez. Il y a planté de nouvelles racines, en compagnie des pins. Il sait qu’elles ne sont pas profondes, alors il se tient droit, les jambes légèrement écartées pour résister aux mauvais vents.
Il se tient droit sous le ciel clair. La lune est encore là, le soleil arrive.
Où que tu sois sur terre, le soleil est le même. La maison où il a grandi en Estrémadure regardait à l’est.
Alors il regarde à l’est le soleil qui vient.
Chez Jeanine
(Dals Rostock, Suède, 13 juillet 2016)
Quand Rick a le cerveau en capilotade,
le doute qui s’accroche comme la bardane,
et le désir qui s’effiloche,
il va chez Jeanine l’herboriste au grand cœur.
Sa boutique est comme un bouquin américain,
rien qu’au parfum on se tire aux confins,
il y a des volcans dans les tiroirs,
des crocodiles aux fenêtres,
et des girafes sous la table.
La femme au balcon
(Manoir de Saint-Pol-Roux, Camaret-sur-Mer, Finistère, 18 septembre 2018)
La mer avait pris son fils.
Un jour de tempête, un jour où ce qui ne devrait jamais arriver arrive.
Du matin au soir, elle chantait sur son balcon.
Elle chantait dos à la mer, elle chantait pour les hommes à terre.
Ce n’était pas une plainte, son chant avait la splendeur de l’adolescence.
On venait de partout l’écouter,
Et sa voix couvrait le bruit des vagues
Et sa voix chassait les nuages.
Puis il furent de moins en moins nombreux au pied du balcon.
Hommes et femmes semblaient disparaître,
Happés par d’étranges maux venus de la terre,
Elle chantait sans faillir pour une terre désolée,
Elle chantait pour les pierres, les herbes et les arbres.
Puis les arbres se flétrirent, l’herbe jaunit, les murs s’effondrèrent.
Elle chantait toujours, seule au balcon, pour un monde en ruine.
Puis elle même disparut, rongée par le vent et les embruns,
Elle redevint poussière portée vers les montagnes au delà des frontières.
C’était il y a longtemps.
Quand on vient sur la falaise, au dessus de l'anse de Pen Hat
Là où reste les traces de cet ancien monde,
On entend encore son chant mêlé aux vagues et aux oiseaux,
Et ce chant est un appel, un fervent appel
À prendre la mer, à prendre la route, à se retrousser les manches.