J'ai voulu voir Beaubec
(Poème de déconfinement 5)
(Lisors, Eure, 24 mai, 14h 30)
Il me fallait un nom pour un poème un peu con.
J’ai tracé sur une carte un cercle de 100km de rayon autour de ma maison.
J’ai regardé tous les noms de villes et villages.
Au sud il y avait Gland, au nord il y avait Beaubec-la-Rosière.
Le premier faisait sens, mais je trouvais le second plus élégant.
Alors j’ai écrit un poème titré Beaubec-la-Rosière, c’était vendredi.
Je ne savais pas à quoi ressemblait Beaubec-la-Rosière.
Alors dimanche j'ai voulu voir Beaubec et j’ai vu Beaubec.
Il y a la place de l’église, place de la Presle, avec l’église,
une allée d’arbres taillés au carré, un monument aux morts,
un obélisque surmonté d’un coq de bronze aux ailes ouvertes.
Beaubec est un petit village, il y a peu de noms inscrits sur la pierre.
Une plaque de marbre blanc a été ajoutée au pied de l’obélisque,
pour les victimes civiles, deux noms y sont écrits.
Mr René Gosse et madame, morts le 2 septembre 1944.
Madame n’a pas droit à son prénom, pourquoi?
Jeannine Toudic décédée le 10 juin 1940, Toudic, un joli nom,
un nom qui dit quand on n’est pas d’accord, qui dit tout droit.
Comment est tombée Jeannine? Une balle perdue? Un toit qui s’écroule?
Quelque chose me dit que Jeannine Toudic a vécue libre
et s’en est allée libre.
C’est tout ce que j’ai vu à Beaubec,
la place de la Presle et quelques maisons de brique.
J’ai pensé à tous ceux qui sont morts ces derniers jours.
J’ai pensé aux médailles de pacotilles
que certains veulent épingler aux poitrines des infirmières
pour solde de tout compte.
Alors je suis allé marcher dans la forêt de Lyons,
prendre des nouvelles des grands arbres,
espérer croiser une biche ou un renard,
oublier un peu le monde des hommes.
Je me suis assis sur une large souche,
sous un jeune châtaignier
pour manger un bout de saucisson.
je me suis senti bien là, un peu con mais bien.
L’endroit n’avait rien d’extraordinaire,
il y avait juste ce qu’il fallait de soleil
pour éclairer sa banalité.
La souche était si large que la chute de l’arbre
avait du être fracassante, et maintenant tout était si calme.
Il ne restait de cet arbre qu’une souche
et une trouée dans le sous bois.
là, le silence était tel que je me suis dit
que c’était un bel endroit pour mourir.
Ce n’est pas que je voyais ma fin proche,
Oh, non, j’allais reprendre mon chemin
avec une couronne de feuille sur la tête,
de ces couronnes que l’on tisse enfant
avec des feuilles de châtaigner et quelques bouts de bois.
C’était simplement que là, dans cette banale clairière,
vie et mort étaient en parfaite harmonie.