Saint-Raphaël
( Paris Est, Autoroute A4 )
Alors que sa vue baissait, c’est en invoquant l’Archange Raphaël qui guérit Tobie de sa cécité, que le docteur Juppet élabora en 1830 la recette du St Raphaël, apéritif à base de quinquina, et recouvra la vue.
Sortie Est de Paris, bloqué sur l’autoroute A4 dans son antique fourgon diésel, Marco sourit. Il revoit la bouteille sur la table du vieux, l’affiche au mur du café, il entend la voix éraillée de son père qui pour la centième fois lui raconte cette histoire et lui fait l’éloge du quinquina. Son père qui a tiré sa révérence à 73 ans avec de drôle de trucs dans les poumons, son père qui l’emmenait sur les chantiers quand il était môme. Son père qui lui a laissé l’entreprise de peinture, des pots, des dettes et des pinceaux.
Ça n’avance toujours pas sur l’autoroute. Marco s’en fout. Il a le temps, sa journée est finie, c’est vendredi et Corinne est en vacances. Il tousse, gratte une goutte de peinture sèche sur sa joue et adresse un signe de tête à l’enseigne là-bas comme si son père s’y tenait à califourchon. Tu vois vieux, je l’ai tenu la boite, dit-il.
Marco a chaud, il a coupé le moteur, les vitres sont baissées, ça pue les gaz d’échappement. Dans la voiture d’à côté une jeune femme se maquille, un délicat coup de pinceau sur les cils. Elle va manquer son rendez vous, pense-t-il.
Il passe de plus en plus de temps en bagnole. Il faut se lever de plus en plus tôt pour éviter les bouchons, il doit accepter des chantiers toujours plus loin.
Il tousse à nouveau, regarde les voitures, les usines, le ciel. Hé, Raphaël, peut-être bien qu’il n’y a pas que Tobie qu’il faudrait guérir de la cécité, dit-il.