Jardin d'enfants
(Landévénnec, Finistère, ancienne abbaye, 9 septembre)
Il y a quelque temps lors d’un « atelier théâtre », c’est le nom officiel, avec des personnes âgées, l’une d’entre elles, nouvelle venue, ne voyant dans ces échanges informels rien de ce qu’elle entend par théâtre me pose cette question: comment ça s’appelle ce que vous êtes en train de faire? Incapable de répondre précisément, je me tourne vers les autres. L’une, une femme très cultivée qui manifestait un fort désir de théâtre, répond: ça s’appelle art et essai, mais il manque quelque chose, oui, poésie, on pourrait appeler ça art essai et poésie. Une autre, une ancienne fleuriste, répond: Enfance, ça s’appelle enfance!
Depuis dix jours je suis au monastère de Landévénnec pour les répétitions d’un spectacle qui sera joué dans les ruines de l’ancien monastère. Chaque matin je regarde se lever le soleil du même endroit avec une joie profonde. Un jour je croise un moine remontant du verger en chantant, sautillant et battant des bras. Un autre jour le regard brillant d’un autre moine qui sert contre lui le paquet de fraises Tagada qu’on vient de lui offrir, me réjouit. Un autre jour encore, à table, nous parlons des jeux de billes de notre enfance, des billes de verres, des billes de terres, des agates, des calots, nous sommes des gamins qui sortent de leurs poches des poignées de billes et comparent leurs splendeurs. Un soir, sur un banc face à une prairie qui doucement descend vers l’Aulne, c’est un inextinguible fou-rire lors d’une italienne avec ma partenaire de jeu.
Dans le potager une main a inscrit en grosses lettres naïves sur l’épaisse écorce d’une courge le mot amour. Un matin, les moines ramassant les pommes mûres tombées de l’arbre nous font de grands signes de salut, tandis que nous descendons vers les lieux du spectacle. Beaucoup de sourires croisés, de rires échangés, et le désir de bêtises là où prône la rigueur.
Et chaque soir nous répétons au milieux des vieilles pierres, nourris de leur puissance et de leur mémoire, sous le ciel étoilé, à l’heure où le vent est tombé. Nous jouons, nous questionnons, graves et joyeux, nous sommes des enfants barbus et dégarnis, des enfants qui ont vécus mille vies.
Ici, le jardin d’enfants!