On parle, autour de la table
(Le Mas du Pech, Baladou, Lot, 14h 55)
Il y a le poêle qui ronronne, le chat qui s’étire, les miettes sur la table, le marc au fond des tasses à café.
On parle, autour de la table. On parle de la guerre. On ne se souvient plus à quand remonte ce genre de conversation.
Il y a là trois générations, le grand père, le père, et le fils. Les femmes aussi sont là. Elles ont leur mot à dire.
Tous vivent et travaillent ici. Le grand-père ne quittera jamais sa colline, sa ferme. Il y est né, il y mourra, il l’a dit.
L’une des rares fois où il a quitté sa colline, c’était pour l’Algérie. Il avait vingt ans. Personne, jamais, ne saura ce qu’il a laissé là-bas, dans les Aurès.
Il n’était déjà pas très bavard, il en est revenu quasiment mutique.
Aujourd’hui il ne dit rien.
Et si, et si…Le père dit que c’est la première fois qu’il s’imagine en soldat. Et si…Lui qui n’est même pas chasseur.
La mère lui demande s’il serait capable de tuer. Peut-être, il ne sait pas, mais il y a pensé, et puis certains combats ne souffre aucune contestation ni hésitation.
La grand-mère dit: Parlez, parlez mes enfants, ce ne sont que des mots. La guerre, la vrai, elle n’a pas de mots. Du bruit, et du silence.
Le fils dit qu’il ne se voit pas en héros, que tout part en couille, qu’on ne sait plus s’occuper de la terre, encore moins des autres hommes.
Au mot terre le grand-père a tiqué, il a failli parler, et puis non, il a baissé la tête, les yeux fixé sur le marc de café au fond de sa tasse.
Près du poêle, le chat a changé de position.