Histoire courte
Elle avait la discrétion d’un myosotis.
Le monde fut stupéfait lorsqu’elle se fâcha.
Une tache
(Vaucresson, 27 avril, 20h 25)
Je l’observais depuis un bon moment.
Un homme immobile assis sur une chaise de jardin la tête penchée sur une table de plastique craquelée.
Son dos vouté comme un rocher au fond du parc.
Lisait-il, regardait-il un téléphone, dormait-il, était-il seulement vivant?
Je me suis approché. Il n’y avait rien sur la table, hormis les traces du temps.
L’homme a levé la tête. Un nez en trompette, les oreilles décollées, des yeux à s’y perdre, un sourire plus large que les Champs Élysées.
« Il y a une tache! » me dit-il.
Le silence
Au bord du bassin
je regarde tourner les poissons.
Je me tais.
Soudain je pense à Nils, mon fils.
Petit, il avait gagné un poisson rouge dans une fête foraine.
Nils est si tendre avec les bêtes
qu’il sortait son poisson du bocal pour le caresser.
Nils parle aux chevaux, aux chats, aux cochons d’Inde…
Entre nous, nous pratiquons le silence.
C’est plus simple.
Ou peut-être pas.
À nouveau je me tais.
Je regarde tourner les poissons.
Les pas sur le toit
(Williers, Ardennes, 26 avril, 9h)
Il avait bien vu dans le regard de l’ancien propriétaire un immense soulagement. Le temps de trinquer au vin d’épine, la vente était faite. le vendeur avait immédiatement accepté sa proposition, trop content de se débarrasser de cette maison intranquille. Il ne lui avait rien dit des pas sur le toit, des ossements dans la cave, des rumeurs alentours.
Dès la première nuit, Bastien entendit marcher sur l’ardoise, un pas qui allait et venait au faîte du toit, le pas d’un détenu dans sa cellule, le pas d’une pensée qui rumine, le pas d’un égaré, ou le pas de quelqu’un qui attend, qui attend…
Il en fut ainsi chaque nuit au dessus de lui, yeux grand ouverts, fixés au plafond tremblant.
Dans ce coin reculé des Ardennes, là où il pensait trouver la paix, il ne trouva que des nuits qui semblaient ne jamais finir.
On lui raconta l’histoire de deux jeunes hommes s’aimant passionnément à l’ombre des grands pins tandis qu’autour la bataille faisait rage. Un vigoureux fermier d’ici ayant échappé à la conscription car sourd et muet et un soldat allemand qui déclamait des poèmes de Rainer Maria Rilke en caressant son amant, persuadé que celui ci percevrait le poème au bout de ses doigts.
On lui raconta le départ précipité de l’armée ennemie, le désespoir du jeune fermier, la réprobation des villageois haineux, jusqu’à ses propres parents qui le condamnèrent à l’isolement.
On lui raconta comment ce jeune homme se laissa mourir de faim et de soif dans un réduit obscur.
On lui dit que c’était son âme qui battait la tuile, que tous le savaient mais évitaient d’en parler, on lui dit combien de fois la maison avait changé de propriétaire.
Bastien avait appris deux choses des anciens: qu’il fallait libérer les âmes tourmentées, et que la seule façon de chasser la peur était de lui sourire les yeux dans les yeux.
Alors il fouilla la bâtisse de fond en comble en quête de traces de cette triste histoire.
Il trouva un squelette à moitié enfoui dans la cave. Il le hissa sur le toit, le fixa à la cheminée, le regard tourné vers l’Allemagne.
Et chaque soir il dit un poème de Rilke au condamné qui maintenant triomphe sur son toit.
Puis quand vient la nuit muette comme une tombe il s’endort comme un loir.
Ce soir:
Sappho à Eranna
Je veux t’entourer d’inquiètude
balancer ta hampe couverte de feuillage
je veux te pénétrer telle la mort
et tel un tombeau te léguer
à toutes choses
Rainer Maria Rilke
Le Grand Duc
(Orval, Belgique, 23 avril, 17h50)
Le petit du grand duc blotti dans l’ombre observe de drôles d’oiseaux qui en bas jouent à la guerre dans les pierres effondrées.
Au pied des colonnes nous arpentons la terre brûlée avec l’énergie de ceux qui se sont tus trop longtemps.
Un an que nous retenons nos voix à conter l’histoire de ces murs et de ses fondateurs qui furent le cœur battant du pays de Gaume.
Aujourd’hui nos mots ricochent contre les murs jusqu’à l’oiseau qui ne reconnait pas ce chant.
Qu’a-t-il à nous dire que nous ignorons le Grand Duc, la vigie, celui qui a fait des ruines son domicile, celui qu’on entend lumière éteinte?
Il me faudra penser à lui au cours de ce voyage, il est la vie préservée, coûte que coûte.
Danser encore
(La-Croix-aux-Bois, Ardennes, 10h 50)
Ce matin j’ai revu le Héron bois*.
Il venait de voir le roi et avait fait vœu de délicatesse.
Il repartait au combat la fleur au fusil.
Oui je l’ai vu de mes yeux vu
danser encore sur le bord de la route.
Croix de bois croix de fer si je mens je vais en enfer.
* Post du 8 mars
Présences
(Arborétum de Chèvreloup, Rocquencourt, 17h)
Est-ce la hauteur exceptionnelle de l’arbre au bout du sentier qui lui fait lever la tête, ou cette présence là haut qui lui offre un dos, une épaule, qui regarde au delà de ce qu’il peut voir, qui repose sur son souffle?
Alors il reprend confiance, celui qui va cahin-caha, qui peine à s’accorder à ses semblables, qui se tient à l’écart, sur les bas côtés, dans les fourrés, celui qu’une foule joyeuse émeut aux larmes sans qu’il sache pourquoi.
Il se redresse. Cette présence est faite de tous, ces hommes et ces femmes qu’il regarde de loin.
Aujourd’hui au dessus d’un grand arbre, d’autres fois dans une pierre, un buisson, une fleur, le lit d’une rivière, le bois d’une porte, une souche, un fruit gâté, le marc du café, présences qui chaque fois le relient à ce qu’il craint, ce dont il est fait, présences qu’il ne peut nommer, pourtant familières, présences qui l’apaisent.
Il sait que c’est par elles qu’il s’accordera.
Le sourire de ma grand-mère
(Cognassier du Japon, Vaucresson, 21 mars, 17h 40)
Je me souviens du sourire de ma grand-mère.
Un sourire qui ne la quittait pas.
Je me souviens lui avoir demandé si c’était à force de tremper ses pieds dans l’océan.
Regardez sur les plages le sourire des vieilles dames les pieds dans l’eau.
Jusqu’à sa mort elle le rehaussa d’une pointe de rouge à lèvres
Je la vois encore frotter ses lèvres légèrement rentrées pour répartir le rouge.
Nous, les petits enfants, nous étions ses petits zizis, disait-elle.
Gamètes
(Hendaye, 28 mars, 21h 10)
C’est une nuit de lune pleine, une nuit d’insomnies, une nuit de découragement, une nuit sans issue, une nuit froissée à trop se retourner, une nuit qui enfièvre le présent, méprise le passé, et obscurcit l’avenir.
À deux heures du matin, c’est la troisième fois que Rick se lève pour pisser. Trop de Porto, trop de vin, trop de Whisky et l’âge, ah l’âge, il devrait consulter mais il cultive l’art de faire l’autruche.
Il reste à la fenêtre, regarde la ville sur la colline, les lumières. Il est tard, il y a des gens qui baisent lumières allumées. Il voudrait une fille, l’aimer sur la terrasse de l’hôtel au dessus des réverbères.
Qu’était-il avant, avant de vieillir, avant de grandir, avant de naître? Un spermatozoïde, une gamète qui se presse parmi des milliers d’autres. Entre vingt et cent cinquante millions par éjaculation... Pourquoi lui? Que reste-t-il du flagelle qui lui a permis de devancer les autres, que reste-t-il de sa résistance?
Son front est chaud, il commence à doucement se balancer, onduler des hanches en tapotant la vitre avec ses doigts. Musique sérielle de l’évangile, extrait de l’album Rebirth and Delusion du munichois Carlo Fashion, c’est la musique qui creuse un sillon dans ses synapses et ne le quitte plus. Il voudrait une fille, l’épouser au dessus des réverbères, lui faire un enfant qu’ils verraient naître immédiatement, un enfant de la première nuit, un enfant dont le rire ferait fuir le moindre cauchemar. Et cet enfant ce serait lui…
La délicatesse du papillon
(Piéride du navet, Pieris napi, sur tulipe, Vaucresson, 17 avril, 16h 10)
Le vieux lui avait montré comment s’approcher, sans mouvements brusques, sans faire d’ombre au papillon. Il avait raconté l’œuf, la chenille qui va sur les tiges et grignote la feuille, la chrysalide puis le papillon qui se déploie. Le vieux avait toujours son livre avec lui lors de leurs sorties, le livre des papillons, pour retrouver les noms qu’il ne parvenait plus à mémoriser.
« Vois, Arthur, une piéride du navet. Avant hier c’était une chenille vert vif qui se tortillait sur le poirier. La fleur a eu froid, elle en garde de petites pointes brunes au bout des pétales, le papillon la réchauffe, une caresse sur le pétale, la délicatesse de ta maman à ta naissance. Ta grand-mère aussi était un papillon, quant à moi je travaille encore à ma métamorphose. »
Arthur rentre en courant à la maison. Sa mère l’accueille d’une caresse sur ses joues rouges.
La nuit venue, après l’histoire et le baiser du soir, le petit Arthur se lève discrètement pour observer sa mère par l’entrebâillement de la porte de la chambre de ses parents. Elle est en train de se déshabiller. Il y a deux marques parallèles dans son dos, laissées par les bretelles de son soutien-gorge. Arthur n’y voit que les traces irréfutables d’ailes de papillon.
M'am Tulipe
(Vaucresson, 4 avril, 16h 25)
« M’am Tulipe. »
C’est le nom qu’elle donne à l’agent de sécurité dans la guérite devant le gymnase Denfert-Rochereau.
« M’am Tulipe, 13h 35. »
Elle a bien noté l’heure, pas 13h 30, 13h 35, c’est quoi ces cinq minutes qui dépassent comme les épis sur sa tête. Faut des comptes ronds pour se souvenir, vous comprenez?
« M’am Tulipe, moi c’est 13H 35, regardez c’est bien noté sur le papier. »
Elle montre fièrement sa convocation pour le vaccin.
Ici on vaccine du matin au soir. Certains arrivent en groupe, en minibus, comme ces trois dames qui vont l’une derrière l’autre à petits pas une canne à la main.
M’am Tulipe est venue seule, à pied, tirant son caddie fuchsia d’où dépasse un bouquet de tulipes roses. Grande, pâle, un bonnet de laine lui couvre les oreilles, laissant s’échapper quelques mèches de cheveux blonds filasses. Elle porte un long manteau sur un jogging trop large à bandes sur le côté, et va à pas glissés dans ses baskets dernier cri.
Passé le premier contrôle, elle entre dans le gymnase. On lui demande à nouveau son nom et l’heure de son rendez-vous.
« M’am Tulipe, c’est mon nom, 13h 35, je l’ai déjà dit à l’entrée, je suis venue à pied, après les courses, vous avez vu les fleurs, c’est pour le docteur…. Hihihi… Non je blague, c’est pour la table du salon. J’habite à côté, rue Bartholdi, oui, vous savez, celui de la statue…Hihihi… »
On lui demande de réajuster son masque sur le nez. On lui demande gentiment, heureusement, faudrait pas que s’en aille sa bonne humeur.
Il y a des chaises en métal, des gens qui attendent, des guichets protégés par du plexiglas, derrière, des femmes qui notent, qui tapotent, qui enregistrent, puis à nouveau des chaises en métal dans des couloirs numérotés, et enfin les cabines des docteurs pour les piqures.
Quand l’une des femmes qui notent appelle à voix forte les 13h 30, elle lève un long doigt arthritique.
« Moi, c’est 13h 35, ça va? »
La femme acquiesce, lui propose de s’assoir devant le guichet, demande sa carte vitale et sa carte d’identité. M’am Tulipe fouille toutes ses poches avant de présenter ses cartes.
« M’am Tulipe, rue Bartholdi, je suis venue à pied, les cerisiers sont en fleurs, j’ai 96 ans, il ne fait pas chaud… »
Il faut à nouveau attendre. Oh, cette fois ci, ça va vite, voilà le médecin.
« Vous pouvez y aller, je crains pas, 96 ans… Oui, oui, je vis seule, j’ai Linda qui vient pour le ménage, elle me raconte des histoires… Vous connaissez celle du fou qui prend des vacances… C’est les vacances, alors le docteur décide d’emmener ses patients quelques jours au bord de la mer. L’un d’entre eux atteint de tics frénétiques et de violents troubles d’humeur se révèle lors de ce séjour parfaitement calme, libéré de tous symptômes. Le docteur, surpris de cette guérison si soudaine l’interroge. Mais docteur, voyons, je suis en vacances, répond le fou…. »
Le médecin rit avec M’am Tulipe, lui dit combien ce nom lui va bien, et la pique.
« C’est juste qu’il faut pas trop d’eau… pour les tulipes. »
Elle prend l'une des tulipes du bouquet, la brandit devant elle comme la torche de la statue de la Liberté.
« M’am Tulipe, rue Bartholdi, 96 ans… »
Puis elle donne la fleur au médecin.
« Merci beaucoup docteur… »
Et elle s’en va à pas glissés dans une autre salle où il faudra encore donner son nom et attendre un quart d’heure au repos avant d’être libérée.
Une silhouette
(Orval, 10 avril, 9h20)
Un chariot. Porter des fleurs, des pommes, du linge…Quoi d’autre?
Une silhouette. Homme, femme? Est-ce son chariot, son outil de travail?
Étrange silhouette couverte de son vêtement de pluie, visage caché. Vieillard, adolescent..?
Repos, attente, recueillement, prière, désespoir..?
Et si ce n’était qu’une tentative de se rendre invisible, devenant soudain si présente?
Je tente de décrypter ce corps immobile.
La seule réponse est que l’Homme est bien le plus grand des mystères.
La clé
(Orval, Belgique, 11 avril 7h 50)
Il y avait ce portail, pour entrer dans l’arbre.
Il savait la substance des anciens, l’esprit des plus jeunes, au bout de chaque branche.
Le père, la mère, frères et sœurs, grands-parents, arrière-grands-parents, oncles, tantes, cousins et cousines, tous, leur essence dans le bois.
Un portail de fer, cadenassé.
Toute sa vie il avait cherché la clé, en vain.
Dans ses derniers instants, il demande qu’on lui porte son costume du dimanche.
Il tient à lui même se vêtir de son plus bel habit avant de quitter ce monde,
épargner à ses proches la vue de ce corps décharné qui n’a pas toujours été à la hauteur.
Il utilise ses dernières forces à être présentable au moment de passer.
Quand enfin vêtu de propre, épuisé, il s’étend sur son lit prêt à accueillir la mort,
il découvre au fond d’une poche de son veston la clé que toute sa vie il avait cherchée.
Une belle après-midi à Saint-Cucufa
(Étang de Saint-Cucufa, 3 avril, 16h 40)
C’est une belle après-midi à Saint-Cucufa. Il fait un peu frais mais le ciel est clair. On garde manteaux et bonnets mais on tourne le visage vers le soleil. Trois adolescents aux cheveux bleus perchés dans un arbre écoutent de la musique, d’autres plus modestes refont le monde allongés dans l’herbe. Un homme marche lentement, une vieille femme accrochée à son bras. Il s’arrête, regarde la vieille et la recoiffe d’un geste délicat. Une ribambelle d’enfants casqués sur des vélos flambant neufs suivent leur père qui va devant pédalant au rythme des petits. On promène les nouveaux nés dans des poussettes de plus en plus sophistiquées. Une dame bien mise s’émerveille de l’épaisse chevelure du petit dernier des voisins. On marche en famille ou en amis, les hommes ensemble, devant, les femmes derrière, conversations masculines, conversations féminines, tandis que les gamins tournent autour, courant et criant. Les amoureux se tiennent par la main en regardant jouer les canards. Deux retraitées marchent vivement chacune avec leurs deux bâtons, marche nordique recommandée pour la santé, elles en sont à leur troisième tour de l’étang. Dans l’allée ces messieurs jouent à la pétanque tandis que ces dames papotent sur leurs chaises pliantes.
C’est une belle après-midi, un samedi presque ordinaire.
Mais si l’on s’approche de tous ces gens, si on les écoute discrètement, un sujet revient systématiquement comme l’inlassable ressac, un sujet que l’on voudrait fuir, éviter, un sujet qui s’accroche aux lèvres masquées, un sujet qui fait autant de dégâts que le virus dont il parle.
Nouvelles ou Vent du Nord
à Philippe
(Vaucresson, 4 avril, 16h 20)
Ici la glycine est encore en boutons
le poirier déjà fleurit
et le cerisier et le forsythia
la tulipe attend pour s’ouvrir que passe le vent du nord
l’araignée s’impatiente
nous avons encore enterré quelqu’un
réveillé les liens anciens
nous avons pleuré
et ri
échangé une blague à la porte du cimetière
un brin de joie pour celui qui s’en va
à partager avec nos morts
les primevères ont encore gagné du terrain
au bout d’une branche
une feuille sèche qui refuse de tomber
vibre dans le vent du nord
Bernard
(La Tranche-sur-Mer,Vendée,16 septembre 2015)
Bernard Jousset devant L’Atlantique.
Un cadre de fiction, un père de fiction.
C’est là que nous mangions lors du tournage des Ours du Pouldu, un film co-écrit avec Marion Truchaud, réalisé par elle-même.
Bernard était mon père. Un père et un fils qui se retrouvent après des années de silence. Quelques mots, l’ébauche d’une baignade, ma tête sur son épaule, retrouver avec pudeur la tendresse d’un geste de l’enfance.
Ce film m’était indispensable, comme il l’était pour Marion, nos parcours artistiques indissociables de nos vies.
Bernard en fut le complice parfait. Dès la première rencontre nous étions ensemble, en harmonie.
Sa discrétion, son humilité, sa fantaisie, sa disponibilité, il fut un merveilleux partenaire, nous lui devons beaucoup. Bernard était de ces acteurs dont on parle peu et qui ont pourtant une carrière au théâtre considérable. Avec une météo disons incertaine, nous avions le temps d’échanger entre les prises. Je me régalais de ses souvenirs. Déjà âgé, il ne travaillait plus beaucoup, ce tournage lui procurait une grande joie.
Ce fut un beau film.
Nous nous sommes revus, quelques fois, puis le temps a passé, on ne s’est plus donné de nouvelles.
J’apprends aujourd’hui sa mort, il y a un an et demi, en décembre 2019. J’en suis profondément ému, et m’en veux de ne pas avoir été suffisamment attentif.
C’est ainsi, après des films ou des spectacles nous nous perdons de vue petit à petit jusqu’à ce qu’une autre histoire nous réunisse.
Nous aurions pu raconter l’histoire d’un père qui part à la recherche d’un fils qui ne donne plus de nouvelles.
Mon cher Bernard pendant cette semaine de tournage tu fus un merveilleux père. Je revois cette scène où, sur la plage, nous nous déshabillons dans une sorte de joyeux défit d’aller goûter l’eau fraîche. Il y avait de l’enfance dans tes yeux.
Salut à toi Bernard.
Inventer des secrets au fond du jardin
(Arboretum de Chèvreloup, Rocquencourt, Yvelines, 1er Avril, 15h 05)
J’ai vu un chien pénétrer dans le bosquet, puis un enfant, un deuxième, un troisième, toute une bande. Ils criaient, brandissaient des bâtons, il y avait des grands et des petits, des garçons et des filles. les garçons portaient des culottes courtes, les filles étaient en jupe, les couleurs étaient d’un autre temps.
Je les ai suivis. À l’ombre des fleurs et des feuilles tendres, je n’ai trouvé personne. Seulement un trou dans la terre, un trou de la taille d’une main, un trou de lapin.
Et il y avait ce parfum, épicé, légèrement sucré.
Quelques molécules s’insinuent au fond du nez puis s’en vont zigzaguant en tous sens dans les méandres du cerveau en quête d’un instant stocké dans un repli minuscule.
C’est vif, doux. Ma main dans une autre, ou l’inverse. Une tonnelle de ferraille. L’herbe entre les pavés. Le liseron sur la palissade de bois gris. Un bouquet de buis. Une vasque en forme de bénitier. Un chien qui aboie. Les marches de pierre devant la maison. Les pierres plates à l’extrémité arrondie qui bordent le potager. Faire la balançoire au bout des bras de tante Madeleine. Inventer des histoires avant de s’endormir. Inventer des secrets au fond du jardin… Oui, c’est peut-être ça, ce parfum, inventer des secrets au fond du jardin, peut-être…
Décoller
(Bois de Saint-Cucufa, 15h 40)
Je marche à grandes enjambées dans le bois de Saint-Cucufa.
Je ne cours après rien ni personne, je ne fuis rien ni personne.
J’essaie juste de décoller du sol. Comme dans ces rêves récurrents où voler est une évidence.
Je ne force pas, cela adviendra, je sais que c’est possible.
Les arbres à fleurs
(Arborétum de Chèvreloup, Rocquencourt, Yvelines, 13h 50)
J’ai entendu un auditeur de France-Inter raconter que son fils de trois ans avait pleuré devant Macron à la télé.
Je suis allé écouter les arbres à fleurs à Chèvreloup.
Ils savent que la foudre peut fendre le bois, que le gel peut flétrir les fleurs, que le soleil peut dessécher les feuilles, mais ils fleurissent, et leur gloire n’est pas usurpée.