mardi 18 juin 2024


Des sablés à la myrtille sauvage

(Dals Rostock, Suède, 13 juillet 2016, 12h 55)

J’étais sorti du bois, hirsute, crasseux, déguenillé, j’y étais resté caché trop longtemps, ma langue était engourdie, je ne savais plus saluer. J’avais attendu sans bouger, sans oser frapper, devant la première maison du village. La lumière d’été blessait mes yeux accoutumés à l’obscurité des sous bois. J’avais aperçu une silhouette dans l’ombre derrière la fenêtre, j’avais vu une main écarter les rideaux, une main blanche, extraordinairement fine et tremblante, j’étais resté immobile jusqu’à ce qu’apparaisse un visage aussi blanc que la main, un visage sans âge cadré de cheveux gris, un regard brûlant qui fouillait mon cœur, jusqu’à ce que le visage, puis la main s’effacent, jusqu’à ce que la porte s’ouvre, jusqu’à ce qu’une femme apparaisse, une femme orchidée qui me disait  entre, la main tendue, cette main blanche qui maintenant ne tremblait plus.

Elle m’avait fait asseoir sur un banc de bois et m’avait offert des sablés à la myrtille sauvage. Dans l’ombre de la pièce le blanc de sa peau et de sa robe n’était que douceur. Je croquais les sablés en silence comme un petit rongeur qui se veut discret et laisse quelques miettes sur la table. Il m’est impossible de décrire ce goût, c’était comme une réconciliation entre la civilisation et la nature sauvage, impossible aussi de l’oublier.

Au moment de partir, elle m’a glissé dans la main une feuille jaunie pliée en deux. C’est la recette des sablés, m’a-t-elle dit, je l’ai toujours gardée secrète, mais je crois qu’elle te sera utile, alors garde là précieusement.

Aujourd’hui j’habite loin, une maison de pierre à quelques kilomètres d’une frontière. Je parle, j’écris et je cuisine. Je fais des sablés à la myrtille sauvage. Je les mets dans des boites en métal.

J’en ai toujours d’avance. Ils sont de plus en plus nombreux à sortir du bois.

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