Le frère
(Buxerolles, Vienne, 2 février, 16h 55)
Il est de ceux qu’une sale histoire a jeté sur les routes, de ceux qui préfèrent la compagnie des chiens, de ceux qui effraient les gens biens, de ceux qui dorment où ils peuvent, portes cochères, abri-bus, friches, ponts, épaves, pourvu qu’il y ait un semblant de toit, de ceux qui fouillent pour bouffer, de ceux qui ne se soignent pas. Il ne demande rien. Si on lui donne il prend, mais il ne demande pas, jamais. Son frère, lui, aurait osé demander, c’est sûr, son frère jumeau, qui parlait pour deux, passait toujours devant, comme le jour de leur naissance. Ils ont grandi imbriqués l’un dans l’autre, petits ils dormaient ensemble, tête bêche, sur un matelas posé au sol. Leur complicité les préservait des absences de la mère et des coups de folie du père. Un jour le père a dérapé, la mère a disparu, les services sociaux ont fait leur boulot, placer les marmots, les séparer, les éloigner. Il est resté des années mutique, sans nouvelle de son frère. Il avait un trou en dedans, un trou qui grandissait avec lui. Il dessinait, il imaginait son frère, ressemblant, toujours, vieillissant, lui mais pas tout à fait lui. Jusqu’au jour où il est parti, il avait vingt ans. On est invivable dans une famille d’accueil quand on a un trou en dedans grand comme ça, et qu’on en veut à la terre entière de l’avoir creusé. Il va au hasard, il cherche son frère, sans demander, il cherche, comme un chien, et chaque jour il dessine son visage, le sien mais pas tout à fait lui, son frère, il laisse une trace, au cas où…
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