Le Petit-Bé
(Saint-Malo, Ille-et-Vilaine, 14 novembre, 13h 55)
Une carte postale, le Grand-Bé, plus loin le Petit-Bé, ça a de la gueule du haut des remparts de la ville des corsaires et des grands voyageurs. Et puis il y a la statue de Surcouf qui pointe du doigt le grand large. Tu résistes pas quand t’es môme, nous raconte le gars de l’hôtel, quand t’es môme et que tu habites à deux pas au dernier étage d’un petit hôtel. Mon premier grand voyage, j’avais douze ans, le Petit-Bé, l’îlot avec le fort, partir au montant, exprès, à marée basse tu passes, à marée haute il n’y a que de l’eau. J’étais avec Corinne, elle avait la trouille, je lui avais raconté que j’avais un ancêtre corsaire, que le vieux couteau à la lame rouillée que j’avais dans la poche lui avait appartenu et se transmettait de père en fils, je ne sais pas si ça l’a rassurée ou au contraire un peu plus inquiétée. C’était en novembre, j’avais pris une couverture, une des couvertures supplémentaires rangées dans les placards des chambres de l’hôtel peu fréquenté en cette saison. Marée basse 20h30, je m’étais couché tout habillé, il n’y avait qu’à se lever, sortir en loucedé, piquer la couvrante et aller taper au volet de Corinne qui habitait un rez-de-chaussée. On est passé facile, il y avait de la lune, le pavé des passages brillait, je tenais Corinne par la main, on était seuls dans la nuit claire, la mer clapotait tranquille. On est monté le plus haut possible, le fort était fermé, on s’est collé au mur sur un carré d’herbe et on s’est blottis sous la couverture. On écoutait, il y avait des reflets sur l’eau qui petit à petit recouvrait les rochers, masses noirs dans la nuit. Ça bruissait au dessus de nos tête, ce sont des mouettes qui rêvent, j’ai dit à Corinne, ça l’a fait rire et elle s’est endormie, moi pas, je sentait l’eau très près, le parfum des algues m’enivrait, je veillais sur ma fiancée au bout du monde. Au première lueurs la brume avait tout pris, on était encore plus loin, à Saint-Pierre et Miquelon j’ai dit à Corinne, c’est beau mais c’est froid elle a dit. On est redescendu tout doucement dans le brouillard, la mer s’était retiré, on est rentré avant qu’on ne se rende compte de notre absence. Voilà, c’était mon premier et dernier grand voyage. Plus tard j’ai épousé Corinne et repris l’hôtel des parents. Alors si vous allez vous balader au Grand-Bé et au Petit-Bé faites gaffe à la marée, sauf si vous êtes très amoureux.
A fine, sweet memory, told well. The picture shows a giant turtle about to attack the fort.
RépondreSupprimerQuelle belle histoire !
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