mercredi 31 juillet 2019


L'aigrette


(Vaucresson, 19h)

En suspension
l’aigrette du Chardon
efface le poids
de la fatigue du jour

mardi 30 juillet 2019


Le père, le fils et le chien


 (Villeneuve-les-Avignon, 27 juillet)

Les volets ont la couleur de la vareuse du vieux qui a si souvent pris la mer sans dire au revoir.
Dans l’obscurité, le vieux est étendu, mains jointes, paupières closes, sur les draps parfaitement tirés. On l’a vêtu de son costume d’officier. Un parfum de formol et de papier d’Arménie flotte dans la pièce. Un chien gémit devant la porte, un berger allemand au pelage sombre.
Le fils vient saluer son père, une dernière fois, malgré tout. Le soleil écrase la pierre, les cigales sont entêtantes, le fils marche lentement. Soixante ans de vie, soixante ans de questions, du jardin à la porte de la chambre.
Le chien désespéré regarde le fils. Le fils met un genou à terre, caresse le chien.

- Il te parlait à toi? Sans doute en sais tu plus que moi. Il avait un cadenas au cœur, je crois. C’est comme ça. Personne n’avait la clé, un cadenas très ancien. Quand tu penses qu’il y en a qui accrochent des cadenas aux ponts pour célébrer leur amour, c’est drôle tous ces bouts de ferraille qui rouillent loin des amoureux. Il m’est arrivé de vouloir sauter, en finir, une fois, le doute était un gouffre béant, la tristesse me faisait vaciller, vidé de toute force. Ça n’a pas duré longtemps, heureusement, le chant d’un rossignol m’a remis les idées en place. Je n’en ai jamais parlé à personne, pourtant je me souviens parfaitement de ce jour, plutôt cette nuit, c’était à Givors, après une discussion avec mon patron du moment, il me semblait avoir tout raté, alors à quoi bon…J’ai marché sur une route qui montait au dessus de la ville… jusqu’à ce que j’entende le rossignol… C’est curieux cette histoire de confiance qui va, qui vient… As tu déjà douté de ton maître, et lui, a-t-il douté de toi. Non, tu es un bon chien, ça se voit, dévoué corps et âme.Tu l’aimais le vieux, hein? Tu vois, moi aussi, mais je ne le savais pas. ben oui, qu’est ce que tu veux, on est compliqué nous les humains, on pense. Comment? Toi aussi tu penses!  Excuse moi.

Le fils se relève et entre dans la pièce où repose son père. Il regarde son père. Il veut dire quelque chose, mais rien ne sort. Il pleure.
Le fils sort de la pièce, le chien est toujours là, il ne gémit plus, il pose une patte sur la cuisse du fils.

- Bon, ben je t’emmène?

Le chien glapit, le fils lui sourit, ils s’en vont tous les deux sous le soleil de midi.

lundi 29 juillet 2019


Fête foraine


(Villeneuve-les-Avignon, 27 juillet)

Les filles hurlent sur la flèche de l’horloge géante qui tourne à toute allure et perce le ciel. Les garçons cognent dans le punching-ball et comptent les points. Sur une scène mal éclairée un groupe d’adolescents jouent du hard-rock devant un public clairsemé. La chanteuse  en short de cuir, ventre nu, se déhanche maladroitement. Un grand-père raconte sa guerre à son petit fils en mangeant une pomme d’amour devant le stand de tir. Un enfant essaye d’attraper des canards jaunes sous les yeux attendris de son père. On accroche ses peines aux néons, on tourne pour évacuer les soucis comme on fait dégorger la salade, on drague, on fait ses preuves, un ours géant, un panier garni, une chaîne hifi, deviennent les rêves d’un soir, on est fragile comme une ampoule de verre et pourtant on est le roi, la vie est un filament qui s’allume et s’éteint, clignote, change de couleur. Sur la scène le garçon à la guitare se balance d’avant en arrière, la nuit est douce, le garçon voudrait s’appeler Jimi, Jimi Hendrix, il s’appelle Kevin, Kevin Dupuis, un jour il sera connu, il tournera dans le monde entier, il signera des autographes, il fera des interviews, il roulera en limousine. Kevin fait vibrer ses cordes, trois filles au milieu des chaises vides applaudissent, Kevin leur balance un dernier riff et un sourire à tomber par terre.


dimanche 28 juillet 2019


Miniatures éphémères


(Villeneuve-les-Avignon, 10 juillet)

Le facteur Cheval

samedi 27 juillet 2019



Le grand déménagement


(Villeneuve-les-Avignon, 9h)

L’orage tourne autour de la ville,
nuages noirs, ciel zébré, quelqu’un déménage,
sans précaution, faut s’tirer, ça part en vrille.
Deux jeunes femmes, témoin de Jehova,
m’ont dit il existe, on en a la preuve.
Elle m’ont montré leur Iphone,  fallait lire un texte du prophète Isaï.
Ah oui, la preuve, sur un Iphone, aï aï aï.
C’est le marché, c’est lui, c’est sûr, il existe,
la ville est couverte de banderoles à son effigie,
il gueule sur les platines, il chie sous les platanes,
si Jésus revient, il n’y pourra rien,
il finira dans une boule à neige.
L’orage gronde, les nuages n’ont plus de nom
Au tir au pigeon, à la pêche au canard, y a rien à gagner,
qu’un geste dérisoire, le souvenir d’un lot à faire rêver les mômes.
Elles y croyaient, le ciel a craqué, elle se sont fait saucer.
je leur ai dit Noe vous attend, au Mont Ventoux,
elles souriaient toujours, la foi agrafée au corsage.
C’est beau ces sourires, quand ça part en vrille,
Je leur ai dit une caresse, une étreinte, l’herbe couchée,
voilà ma preuve, une preuve de vie, une preuve d’amour,
elles souriaient encore, sans comprendre.
l’orage tourne autour de la ville,
nuages noirs, ciel zébré,
j’irais bien donner un coup de main
pour le grand déménagement.

vendredi 26 juillet 2019


Le Japon


(Villeneuve-les-Avignon, colline des Mourgues, 8h15)

Tom a toujours dit qu’il irait jusqu’au Japon. Accablé de fatigue, son chien haletant à ses côtés, à l’ombre des arbres assoiffés, il devra se contenter d’une feuille qui rêve de montagnes plus fraîches.

jeudi 25 juillet 2019


La patience


(Avignon, 14 juillet)

Hirondelles et martinets volaient sans un cri.
Assis sur les tuiles encore chaudes
il attendait que la lune tombe dans ses filets.
Il l’avait promise à une fille du nord,
il découvrait à quel point la patience sied à l’amour.

mercredi 24 juillet 2019


Tandis que le monde fond


(Avignon, 19 juillet, 21h)

Affiches en lambeaux, tracts froissés, une tortue erre sur le pavé crasseux.
La ville est déserte, il n’en reste qu’un, un homme à lunettes.
Il cherche son chemin, la pierre est chaude, il a la peau qui colle.
C’est un italien, il s’appelle Aldo, il cherche l’amour.
Suis moi dit la tortue, il faut sortir, il faut prendre la mer.
À deux ils y voient clair, un homme et une tortue, sur le pavé brûlant.
Ils vont au Rhône, ils vont à la mer, ils vont à l’Orient.
L’homme à lunettes sur le dos de la tortue, ils vont,
tandis que le monde fond, ils vont, tandis que le monde fume.
Et l’homme dit à la tortue tout ce qui lui reste de mémoire,
le parfum des cyprès, la mue des cigales, le vol des perdrix,
et tout le reste, les histoires de ceux qui naissent, de ceux qui meurent,
où c’est pas prévu, quand c’est pas le moment,
les histoires de ceux qui cherchent une pierre, un trésor, un amour,
de ceux qui ont le temps et rien d’autre.

mardi 23 juillet 2019



Le sentier


(Villeneuve-les-Avignon, 19 juillet)

Le sentier est étroit
il faut marcher l’un derrière l’autre
alors on se tait

lundi 22 juillet 2019


Quelques fleurs légères accrochées à la pierre


(Villeneuve-les-Avignon, 20 juillet)

Quelques fleurs légères accrochées à la pierre.
Un homme immobile tient par la main une femme sans âge au dos rond comme une carapace de tortue. La femme a le front ridé de perplexité, le regard perdu. L’homme semble attendre quelque chose qui ne viendra plus. Sont-ils mari et femme, ou mère et fils? Seul leur amour est certain, leur mains se serrent, fort.
je les ai aperçus rues des Teinturiers, je les ai observé le cœur serré.
je repense à eux ce soir, après une belle journée dans les rues d’Avignon, une journée de relâche et de rencontres.
Quelques fleurs légères accrochées à la pierre.
Soudain je me souviens des listes que faisait ma mère de ce qu’il fallait mettre dans la valise quand je partais en colonie de vacances.

dimanche 21 juillet 2019


Miniatures éphémères


(Villeneuve-les-Avignon, 19 juillet)

Dos au mur

samedi 20 juillet 2019


Tu vas voir si j'existe pas!


(Villeneuve-les-Avignon, 9h)

Salope! La main qui claque sur la joue, la tête qui vrille.
Il fallait arracher le lierre, s’en aller, loin, ou y laisser sa peau.
Elle s’était redressée, le cou tendu vers le ciel, elle l’avait regardé sans flancher.
Elle avait dit d’une voix froide: "tu vas voir si j’existe pas!"*
Et elle était partie, définitivement, sans même refermer la porte, vacillante sur ses hauts talons.
Ce jour là elle avait la grâce de l’oiseau échappé des pierres.

(* Cette phrase fut la première phrase improvisée du personnage de Suzanne dans "On a marché sur la terre", de François Cervantes, créé à Avignon en 92)

vendredi 19 juillet 2019


Dream a Little Dream of me


(Villeneuve-les-Avignon, 21h)

Trois silhouettes sur la crête 
les jambes effilées des filles amoureuses
les trois premières notes d’une partition
Dream a Little Dream of me
une contrebasse au paradis
un vent léger souffle sur la plaie
la vie balance
mon amour est loin
mon amour est là 
sur la partition
Dream a Little Dream of me
c’est elle qui joue
elle pince les cordes
elle donne le tempo
mon amour de toujours
elle tient mon cœur
au soleil couchant

jeudi 18 juillet 2019


Épuisé



(Au dessus de l’Atlantique entre Cayenne et Orly, 17 Avril)

Épuisé.
Le pas est lent.
Le sac est lourd sur l’épaule.
Une profonde mélancolie sourd 
au bord des yeux.
Pas désagréable pourtant.
On pose le sac,
on s’arrêterait là, 
on abandonnerait.
On lève les yeux.
Une tour, d’où partent
des pigeons voyageurs.
Et soudain on repart.
On est oiseau
entre deux ciels,
on vole vers un monde
qui n’existe pas encore.

mercredi 17 juillet 2019


Éclipse


(Avignon, Palais des Papes,  23h, 16 juillet)

Le palais des papes bruisse des mots de spectateurs, des mots furtifs, des saluts, des mots de connaisseurs, des mots chics, d’autre carrément snobs. Les derniers spectateurs prennent leur place. Une voix se détache, madame F. vient d’apercevoir monsieur B., elle appelle, fort, elle est de ceux qui ignorent la discrétion.
Les trompettes ont sonné, la lumière baisse, la rumeur s’éteint.
En coulisse un vieil acteur, un grand acteur, s’apprête à entrer en scène. Soudain une ombre effleure sa mémoire, s’avance, perfide. L’acteur a une pressante envie de pisser, il a chaud, il transpire, et l’ombre prend ses aises.
La scène immense n’est plus qu’un vaste terrain vague qu’observe une nué de corbeaux perchés sur les hauteurs, et l’acteur est là tremblant, au bord.

mardi 16 juillet 2019


Roméo et Juliette


(Aramon, Gard, 8h30)

La tourterelle roucoule. Sous le toit Juliette frappe le bois du plat de la main tandis que Roméo la besogne. Les toiles d’araignées s’accrochent aux cheveux, les corps marquent la poussière, le plancher craque, le grenier gémit, Roméo et Juliette ivres de mer et de ciel s’étreignent sous les combles où jamais personne ne vient.
En dessous un homme drapé de noir, portant barbe et cheveux blanc, écrit à la plume d’oie, l’histoire de Roméo et Juliette. Il écrit au rythme du bois frappé, il écrit à la lumière du jour naissant, il écrit une histoire que tout le monde connait.
La tourterelle quitte la pointe du toit, se pose à la fenêtre de l’homme, le regarde et s’envole.
L’homme se dit alors qu’il faut que cette histoire finisse mal

lundi 15 juillet 2019


La maison d'Anatole


(Avignon, 14 juillet, 21h)

Ma maison est un masque de bois clair paré de perles de verre, disait Anatole. Ma chambre fend le ciel, les pigeons roucoulent au cul du bateau. Une rafale a dégondé les volets un jour de grand vent; le bois éclaté sur le trottoir et la lumière qui entre à flots. Le jour à bâbord, la nuit à tribord,
c’est bien comme ça, je vois l’horizon, les vagues de tuiles, les martinets dans le ciel, je vais quelque part, j’avance, disait Anatole. 
Achab est parti, sur le pont supérieur le plancher ne sonne plus, en dessous aussi ils sont partis, Carmen et ses enfants, Carmen et ses chansons, les volets sont fermés, l’escalier est muet.
Anatole ne partira pas, c’est là qu’il vit, au deuxième étage, bien au dessus de la ligne de flottaison, il lui faut un angle pour y coincer ses rêves, il lui faut un coin pour envisager le monde.
Anatole a décollé les étiquettes,  Anatole n’a pas ouvert les lettres, insalubrité n’est pas un mot de mer.
Ma maison est une femme de pierres sèches, disait Anatole, elle s’en ira à grandes enjambées quand viendront les ouvriers.

dimanche 14 juillet 2019


Miniatures éphémères


(Villeneuve-les-Avignon, colline des Mourgues, 12 juillet)

Sur la brèche

samedi 13 juillet 2019


Un air de Toscane


(Villeneuve-les-Avignon, 10 juillet)

La journée avait bien commencé. L’agence d’intérim lui avait trouvé une place d’homme de ménage, à Villeneuve, de l’autre côté du Rhône. Il fallait passer le pont, Bruno n’avait pas l’habitude d’aller aussi loin. S’éloigner de son petit appartement lui demandait de gros efforts. Il fallait lire et relire le plan, jusqu’à le savoir par cœur. 
Bruno était parti tôt, tenant précieusement le bout de papier comportant l’adresse et la description de la villa. 
Une  grande grille verte de fer forgé, c’était là. Bruno fut immédiatement séduit par ce portail et ce chemin pavé. Un air de Toscane. Il revoyait sa grand-mère vêtue de noir, le visage creusé de profondes rides. Elle l’appelait mon poussin, alors qu’à douze ans il mesurait déjà 1m75. Elle lui avait appris à se tenir droit et à laisser ses soucis derrière la porte avant de sortir.
Maintenant elle n’était plus là. 
Il attendait devant la grille fermée, il n’avait trouvé ni cloche ni sonnette. Il n’osait pas appeler. Il attendait que quelqu’un vienne. Il attendait en pensant à sa grand-mère.
Le temps passait, personne ne venait, à 20h il était toujours là. 
Avec le soir, le chagrin ne tarderait pas. Il prit le le chemin du retour la gorge serrée.
Sa grand-mère aurait sûrement su quoi faire.

vendredi 12 juillet 2019


Sur la colline des Mourgues


(Villeneuve-les-Avignon, 8h45)

Tandis que dans Avignon les murs dégueulent d’affiches, les camions font la queue dans les rues étroites, les festivaliers, la gueule de bois, peinent à se lever, je viens au petit matin sur la colline des Mourgues près de la chapelle Notre-Dame-de-Consolation et du tombeau de l’Ermite, je dis mon texte aux pierres et aux oliviers, je dis mon texte à voix basse, seul sur le sentier, ainsi je prends soin de mes personnages, mes amis.

jeudi 11 juillet 2019


Quelqu'un veille


(Villeneuve-les-Avignon, 8h)

Quelqu’un veille à ses côtés, et elle sourit dans le noir…

mercredi 10 juillet 2019


Et demain sera un autre jour


(Figuier de barbarie, Villeneuve-les-Avignon)

Une si grande lassitude
qui devient heureuse
dès qu’elle trouve sa place sur le papier
extirper un à un les mots
comme les épines
après la chute 
dans les figuiers de barbarie
un bâillement
une paupière qui tombe
un froissement
une incertitude
une demi lune
un pas de porte
un bégaiement
une crevasse
les peaux mortes seront mangées
et demain sera un autre jour

mardi 9 juillet 2019


Les chouquettes


(Villeneuve-les-Avignon, 8h30 )

Germaine va à pas menus, les jambes bien serrées dans ses bas de contention. Les bas cachent les bleus sur ses jambes, elle a la peau comme du papier buvard, qui marque au moindre choc,  elle a le corps léger comme du papier de Chine, qui tangue au premier mistral.
Elle va chercher son pain chez Jocelyne. Chez Jocelyne il y a une machine pour payer, on met les pièces ou les billets et la machine rend la monnaie, Germaine ne sait jamais comment on fait, alors c’est l’occasion d’échanger quelques mots avec Jocelyne.
Et puis il y a les chouquettes sur le comptoir avec la petite étiquette « servez vous », des chouquettes fraîches du matin. Après avoir récupéré sa monnaie Germaine enfourne une chouqette en rougissant et  s’en va les joues gonflées, l’œil brillant.

lundi 8 juillet 2019




(Villeneuve-les-Avignon, 7 juillet)

Une fermeture éclair ouverte au dos de la nuit

dimanche 7 juillet 2019


Miniatures éphémères


(Travaillan, Vaucluse, 1er juillet)

Salut au soleil  à l’heure où cesse le chant des cigales

samedi 6 juillet 2019


Un petit pied nu


(Villeneuve-les-Avignon, Gard, 3 juillet)

Michel reprenait doucement goût aux petites choses du quotidien. Se faire à manger, ce que l’on veut, des haricots, un crottin, du Serrano, un verre de Mouton Cadet, ce que l’on veut et rien d’autre. Laver l’assiette, le verre, le couteau, un couteau aiguisé, un couteau qui tranche sans hésitation, balayer les miettes, secouer la nappe, par la fenêtre grande ouverte, tandis que crient les martinets. Michel prenait ses marques dans ce petit appartement que lui avait trouvé l’APCARS, association de réinsertion. Il y avait des fleurs sur la nappe, un cadre au mur avec un homme à cheval sur une tortue, une horloge qui sonnait à chaque heure avec un chant d’oiseau. À minuit c’était une chouette. La première nuit, il n’avait pas dormi, tellement surpris d’être sorti de prison et de se retrouver là, dans un grand lit, avec des draps de couleur.
Quand il s’était penché à la fenêtre la première fois pour secouer la nappe, il faillit basculer d’émotion en apercevant le pied nu de l’enfant Jésus; sur le pignon de pierre du bâtiment voisin était sculptée une magnifique vierge à l’enfant.
Quand la police était venu l’arrêter, Sandrine lui avait dit adieu en tenant leur petite Mathilde d’à peine quelques jours, de la même façon que cette sculpture. Il avait pris dans sa main rude le petit pied nu, l’avait serré légèrement avant de l’embrasser. Il se rendait soudain compte que durant ces années d’enfermement, ce petit pied nu était ce qui lui avait le plus manqué.

vendredi 5 juillet 2019


Une belle soirée


(Avignon, 22 h)

La vieille veut un ballon, la vieille veut regarder les danseurs de hip-hop, la vieille veut la lune, Alexandre pousse le fauteuil de sa grand-mère de plus en plus vite, il fuit le chahut, le fauteuil cahote sur le pavé, la vieille n’arrive plus à manger sa glace, le sorbet passion tache son chemisier, la vieille dit attends, attends, Alexandre n’en peut plus de tout ce raffut, il ne cesse d’accélérer, en bas de la rue ils seront bientôt  hors de la ville, alors seulement Alexandre se détendra. Ce devait pourtant être une belle soirée.

jeudi 4 juillet 2019


Sous la lune en équilibre


 (Avignon, île Piot, 22 h)

Torse nu, le t-shirt noué à la ceinture, Tom tourne sur le béton du skatepark, il enchaîne les figures sous la lune.  Un vent léger souffle sur le bowl encore chaud. Sandra le regarde en mâchant du chewing-gum. Elle attend qu’il pose son skate, qu’il la prenne dans ses bras, lui fasse ce qu’elle ne connait pas. Lui tourne, tourne. Il regarde la lune, il pourrait dire à Sandra qu’elle a le regard en équilibre sur son cœur, il pourrait dire que l’incroyable trick qu’il vient de réaliser lui est dédié, il pourrait dire que sa peau est une douce nuit, il pourrait parler du vent qui efface, des arbres qui gémissent, il pourrait… Mais non, rien ne sort, il tourne, il ne sait que tourner, il n’ose pas parler, pourtant les mots sont là tout près, il n’ose pas embrasser, il faut d’abord dire les choses, les choses de l’amour, après on peut, c’est ce qu’il croit, mais il n’ose pas alors il tourne et Sandra attend sous la lune en équilibre.

mercredi 3 juillet 2019


Un camion dans le ciel


(Villeneuve-les-Avignon, Gard)

Seize heures, le soleil tape. Un homme s’est arrêté sur la petite route qui longe la Chartreuse au pied du fort Saint-André. À ses côtés un chien long et osseux. Leurs ombres s’accrochent aux épines des figuiers de barbarie. L’homme se souvient avoir vu là, il y a longtemps, un cerf-volant dans le ciel bleu, un cerf volant en forme de camion traînant ses traces en zigzag.
Il fait si chaud que même les cigales stridulent mollement. L’homme sent la sueur qui coule sur sa nuque. Il regarde le ciel, pas la moindre trace, ni avion, ni camion, ni nuage. Il regarde les remparts, hoche la tête et soupire, un profond soupir d’impuissance.
De loin l’homme et le chien semblent statufiés.

mardi 2 juillet 2019


Le pas de la tortue


(Vaucresson, 25 avril 2018)

 Voilà plus de quatre ans que je fais quelques photos, écris quelques mots, chaque jour publiés sur ce blog.
Ce n’est pas la pensée qui s’est aiguisée, mais le regard, l’attention aux détails, mille petites choses qui me réjouissent. Choses vues qui deviennent un instant le centre de ma raison d’être, qui apaisent le doute, me rapprochent des autres qui me semblent parfois si loin.
Depuis aussi longtemps que je me souvienne, il y a cette nécessité de parler comme si le premier cri avait été empêché. Au début il y eut les excès adolescents, alcool, drogues, déguisements, extravagances, autant de comportement libérant une parole décousue. Puis il y eu le théâtre, dont j’eus très tôt l’intuition que ce serait mon pays, un grand pays de liberté, où la mort n’existe pas, où la violence est joyeuse, la pensée claire, le corps vif, les relations intenses.
Et le théâtre délia la langue, éveilla l’appétit de connaissance.
Ce fut, et c’est encore, un beau voyage, avec ses tempêtes et ses accalmies, ponctué de rencontres essentielles. Combien de fois n’ai-je pas été émerveillé de retrouver d’anciens partenaires de jeu perdus de vue depuis longtemps avec la sensation que nous nous étions quittés il y a quelques  jours à peine.
Très jeune je lisais, lecteur solitaire avide d’autre chose que ce qui m’était proposé. Adolescent j’écrivais de ces poèmes où l’on crie à l’injustice avec ferveur et naïveté. Des poèmes d’amour aussi, j’ai toujours été fleur bleue. La fréquentation des auteurs  au théâtre me fit prendre conscience de la chair de l’écriture, de sa vibration.
Tandis que la voix s’affirmait, la main s’assouplissait.
Et voilà qu’à soixante quatre ans je suis étonné de dire sur scène ce que j’ai écrit. Certes il y a eu de nombreux spectacles nés d’improvisations où nous avions notre part d’auteur, mais dire ce qui a été écrit dans la solitude et le silence est tout autre chose.
Vendredi je serai sur scène avec Clément, précieux musicien, pour Le pas de la tortue, constitué de textes de ce blog. Le spectacle a déjà été joué mais jamais sur une aussi longue période ( Du 5 au 28 juillet). J’attends ce moment comme un rendez-vous amoureux, trac et excitation.
Je chevaucherai la tortue à l’ombre du pavillon de cuivre, laissant agir les heures chaudes, animé de cette folie qui est de faire confiance au gouffre.


lundi 1 juillet 2019


Le phénix


(Travaillan, Vaucluse, 20h45)

« Nulle compagne auprès de lui, pas d’enfant. Il vit solitaire. Son bec est long et dur, comme un roc, percé de cent trous de pipeau. De chacun jaillit une note et, en chacune, est un secret. le phénix laisse s’en aller des chants désespérés, les plus doux que l’on puisse dire à voix nue…
Hélas, vient l’instant où sa voix s’éteint. Il bat des ailes. Et de ses ailes naît une flamme, d’abord frêle. Puis un feu enfle. Et le feu dévore le bois sec, le corps pantelant. C’est le phénix qui brûle, jusqu’aux braises nues… et il brûle jusqu’aux cendres. Et quand, la nuit venue, s’éteint un ultime éclat d’étincelle, le nouveau phénix paraît au cœur de l’oiseau consumé. »

Extrait du jour des oiseaux de Antoine Juliens d’après F. Uddin Attar, O. Messiaen et la Génèse
( Le spectacle sera crée en septembre à Landévénec)