samedi 1 juin 2024


Le Journal d'une Femme de Chambre

(Bar-le Duc, Meuse, 7 novembre 2023, 16h 30)

La lumière l’éblouie, le monde l’effraye, le bruit l’exaspère, Norbert vit reclus dans une grande maison bourgeoise qu’il n’entretient plus depuis longtemps. Seule mademoiselle Leblanc a le droit d’entrer. Elle lui fait ses courses et un peu de ménage, sur la pointe des pieds. Ils ont un code, deux coups bref et un long à la porte, ainsi il est sûr de n’ouvrir à personne d’autre.

Elle lui apporte aussi des livres. Il lui fait des listes, pas plus de trois livres à chaque panier.

Norbert ne fait que ça, lire sous la grande lampe à pied sur un confortable fauteuil club de cuir, dans la plus grande pièce de la maison qui est à la fois son bureau, sa bibliothèque et sa chambre Partout il y a des livres, en piles au sol sur des tapis persans élimés,  d’autres sur des étagères de noyer qui montent jusqu’au plafond. Les volets restent fermés. Il a juste laissé une petite ouverture pour de temps en temps jeter un œil sur l’extérieur. Il ne se désintéresse pas encore totalement de l’avenir.  

Quand ses yeux fatiguent, il pose son livre, éteint la lumière et fait plusieurs fois le tour de la pièce. Dans la semi obscurité, il a parfois l’impression que ça bouge entre les piles et sur les étagères, qu’on essaye de sortir des livres, d’écarter les pages et les couvertures pour se libérer.

Alors il rallume la lumière et reprend son livre. Les mouvements et bruissements autour de lui cessent immédiatement. Ce qui est dans les livres doit rester dans les livres.

Ce matin mademoiselle Leblanc est venue de bonne heure. Elle a apporté une bouteille de Bordeaux,  de la saucisse de Montbéliard, du choux, des oranges, du pain complet, un fromage de chèvre, des olives et un livre, Le Journal d’une Femme de Chambre d’Octave Mirbeau. Elle a fait le ménage sans un bruit puis est repartie aussi discrètement qu’elle était venue.

Norbert a posé le livre en haut de la pile la plus proche du fauteuil et  repris sa lecture de la veille, Yeruldelger, de Yan Manook, un polar mongol dont il faudrait prendre garde à ne pas rencontrer certains personnages. 

À la 562 ième page, ses yeux le piquent. Il pose le livre et éteint la lumière. Il n’a même pas le temps de se lever qu’il entend frapper, dans le livre en haut de la pile, pas à la porte, dans le livre, le Journal d’une Femme de Chambre, trois coup, deux brefs, un long!

Norbert hésite, prend le livre, l’ouvre. 

Mademoiselle Leblanc apparait minuscule, en tenue légère et lui parle comme elle ne lui a jamais parlé, elle se confie, là au bord du livre, dans la faible lumière que laisse passer l’ouverture dans le volet.


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