lundi 28 octobre 2024


Les vieux indiens VI*

(Marnes-la-Coquette, 27 octobre, 17h05)

Vol-au-Vent et Genoux-Écorché s’ennuient. Le monde est devenu exécrable, un brouhaha continu  de barbarie, d’insultes et de non sens. La pluie a coulé leur barque, l’étang est sale, les berges sont boueuses, on ne peut s’assoir nulle part sans se mouiller le cul, le soleil a la gueule de bois. Le seul évènement interessant et  ce héron cendré qui semble bien décidé à s’installer sur leur territoire, ce petit bout d’étang qui s’enfonce dans un bois dominé par un Tulipier de Virginie de trois cents ans. Le héron a un air bien sympathique, il se laisse approcher, il semble ne plus rien craindre de ce monde. En cette fin d’après midi,Vol-au-Vent et Genoux-Écorché le découvrent en grande conversation avec quelques canards. Le héron, manisfestement polyglotte, invite les deux  vieux à se joindre à eux. Genoux-Écorché et Vol-au-Vent se font un peu canards, ils savent faire ce genre de choses, ils ont toujours su faire ce genre de choses, et ils se posent sur le tronc. Le discours de l’échassier leur fait vite oublier l’humidité du bois. Celui-ci parle du royaume d’un roi Simorgh, d’un long voyage et de ses multiples péripéties. Il dit que chaque époque porte son lot de barbarie, qu’il faut regarder aussi loin devant que loin derrière. Il parle aussi de la forme des nuages et du chemin des cours d’eau, du point de vue qui change au fur et à mesure que l’on s’élève et de ces oiseaux capable de nourrir des oiseaux d’autres espèces trop vieux pour se nourrir seul. Il raconte l’histoire d’un pélican qui transporte des migrants dans sa poche, déjouant la surveillance de la police des frontières . Il raconte la fable du héron au long bec emmanché d’un long cou, il raconte aussi des blagues à deux balles, Héron petit pas tapon, il raconte la solitude sur les bords du Nil et les crocodiles à l’affût, il raconte jusqu’au soir, puis la nuit entière. Au petit matin un brouillard épais recouvre le bois et l’étang. Les canards dorment la tête enfouie dans les plumes, un vol d’outardes cacarde dans la brume, le héron salue les deux amis et s’envole majestueusement. Genoux-Écorché et Vol-au-Vent se lèvent un peu courbaturé et s’en vont chez eux en dandinant, ravis de cette nuit aviaire et étoilée.


* I, II, III, IV, V billets du 27/11/2020, du 11/02/2021, du 16/10/2021, du 26/10/2022, et du 13/01/2024

1 commentaire:

  1. Four male mallards and only one female. No wonder she's got her head tucked away. I like the heron. And the sun is hungover.

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