Le Titanic à la rambarde
(Buxerolles, Vienne, 15h 50)
C’est là qu’on vient quand on en a gros
Quand les darons se foutent sur la gueule
Quand y a tout qui dit qu’il faut pas rester
On se rancarde à coups de SMS
À la porte jaune derrière le gymnase
On rejoue leTitanic à la rambarde
On regarde des vidéos sur les portables
Pour voir où c’est qu’on va se faire la belle
Dans sa tête
(Les Trois Couronnes vues du Xoldokogaïna, Pays -Basque, 8 mai, 16h 15)
Dans Un petit frère, le beau film de Léonor Serraille, une mère dit à ses deux garçons de ne jamais pleurer. Le plus petit répond: On peut pleurer dans sa tête.
Je ne sais pas si la petite dame en face de moi, immobile sur son fauteuil roulant, pleure dans sa tête, mais ce que je sais c’est qu’elle serre les dents pour que tout ce qui s’y trouve, la mer, les montagnes, les arbres, les prairies, sa famille, ses amis, ne se dissolve pas dans l’atmosphère aseptisée de l’hôpital.
Un ami
(Feucherolles, Yvelines, 6 avril, 15h 25)
Bart était un enfant solitaire avec la bouche de travers. Incapable de parler aux humains et aux bêtes, il ne parlait qu’aux arbres.
Jim était un vieillard timide amoureux des bêtes et des gens. Sa peau était tannée et ridée comme un vieux tronc. Il avait pour habitude de se couvrir de lierre, de s’assoir immobile sur une pierre à une croisée de chemins, et d’observer ainsi en toute discrétion ce qui passait par là, hommes où bêtes.
Un jour, sur un chemin de terre marqué d’empreintes de loups, Bart s’arrêta devant une souche couverte de lierre, une souche avec deux grands yeux ronds. C’était Jim.
Jim devint le premier ami de Bart.
Expérience de Mort Imminente
(Vaucresson, 6 juillet 2023, 20h 25)
Une douleur fulgurante, ses jambes qui s’effacent, sa vue qui déraille, il cale comme une bagnole en haut d’une côte, il tombe, il se voit mourrir, silence. Il voit son corps au pied du faux jasmin, la plante est en fleurs. Il n’a pas l’air malheureux, mort aux pieds de la plante volubile. Il sent les tiges qui s’enroulent autour de son âme, qui se lancent, s’enroulent et le retiennent. Un battement de cils, un frémissement sous sa chemise, il revient. L’herbe est humide.
Une volée de moineaux
(Noisy-le-Sec, Seine-Saint-Denis, 29 avril, 19h 30)
La cloche a sonné, ils ont garé leurs vélos, leurs tricycles et leurs trottinettes, bien rangés contre le mur, puis ils ont décollé comme une volée de moineaux. On les a vus filer en formation dans le ciel bleu et puis plus rien.
Trouver sa place
(Saint-Laurent-du-Maroni, Guyane, 3 juin 2023,17h 35)
Il a débarqué à Saint-Laurent sur une tapouille. Il venait du Brésil, là non plus il n’avait pas trouvé sa place, nulle part, depuis qu’il avait quitté sa banlieue cossue des bords de Seine. Le tour du monde en se déhanchant comme Elvis, à chanter dans des bars à deux balles, à faire des déclarations d’amour à côté de la plaque. Et puis il y a des endroits qui te collent à la peau. Tu pose un pied, tu es envasé. Tu n’as pas vraiment envie de t’extirper, juste continuer à bouger les hanches, remonter tranquille à la surface comme un serpent. Il a trouvé une baraque posée sur le fleuve, ça balance ce qu’il faut, il y a sa vie qui se reflète et clapote sous le ponton. C’est là sa place, au bord de l’eau, adossé à la forêt avec la pluie qui ravine.
Sous la tonnelle
(Chaumont-sur-Loire, Loir-et-Cher, 18 septembre 2023, 11h 10)
Au début il n’y avait qu’un banc sous la tonnelle au fond du parc. C’était leur cabane, leur refuge, leur forteresse. Les quatre frères y partageaient leurs secrets, fomentaient leurs révoltes contre l’ordre familial. Leur père, le docteur Félicien Delestrade, était un perfectionniste à la main leste. Mais ses exigences étaient à la hauteur de son respect pour la liberté. Les contradictions peuvent être un bon terreau pour les jeunes pousses. À l’âge adulte, les courses dans le parc et les lointaines échappées avaient effacé les coups de trique dans leurs souvenirs.
Félicien étaient un grand amateur de Bridge. Il enseigna le jeu à ses fils dès qu’ils surent compter, convaincu que le bridge serait un excellent stimulant intellectuel.
Au fond du parc, la végétation avait poussé, le banc sous la tonnelle avaient été remplacé par une table et des chaises, aux beaux jours, on y jouait au bridge, au échecs, au go, au mahjong, ou au solitaire.
Les frères Delestrade quittèrent un à un la demeure familiale, l’un, ingénieur, partit au Sénégal, un autre, géologue, en Guyane, le troisième moins aventurier fit carrière au siège parisien d’EDF, et le dernier, après s’être un peu égaré, devint acteur.
La vie va, on s’éloigne, mais les liens restent, comme s’enfoncent de plus en plus profondément les racines des arbres du parc soigneusement entretenu par le docteur Delestrade jusqu’à sa mort.
Les frères ont à leur tour rejoint leur père. Il ne reste que le dernier qui a hérité de la maison. Il a cent ans et six mois. Il sait qu’il n’en a plus pour très longtemps. Alors chaque jour il vient s’assoir sous la tonnelle avec un jeu de cartes. Il attend avec impatience que la mort le saisisse assis là pour reprendre le jeu avec ses frangins.
Devinette
(Travaillan, Vaucluse, 9 juillet 2024,19h 45)
Avec Jean-Marie nous parlons de clowns, Jean-Marie a de grands pieds et de grandes chaussures. Avec Jean-Marie nous parlons du spectacle Le Pas de la Tortue, Jean-Marie me pose une devinette: Sais-tu ce que dit un escargot sur le dos d’une tortue? il fait Waouh!
Je crois bien que cette devinette va se glisser dans le spectacle.
Sono io
(Sous le chapiteau du Circus Ronaldo, Saint-Quentin-en-Yvelines, 22h )
Du linge qui sèche, un vieux clown qui prend son bain tout en lavant sa vaisselle et ses sous vêtements, la bande son de toute sa vie d’artiste qui court sur un vieux Révox, c’est ainsi qu’on est accueilli sous le chapiteau du Circus Ronaldo. La première phrase audible du spectacle sera Sono io, la dernière phrase sera Mi filio, tandis que le fils salue après un final joué à la trompette. Une histoire de famille, de générations de clowns. Danny Ronaldo, le père, est rejoint par Pepijn Ronaldo, le fils. Deux pures présences qui se retrouvent pour échanger, se confronter, partager leur art, deux clowns d’une profonde tendresse qui jouent leur vie en équilibre sur leurs instruments de musique. On voudrais faire partie de cette famille de bric et de broc où on se dit qu’on s’aime à coup de prouesses circassiennes toutes plus poétiques les unes que les autres.
Peut-être qu’on en fait un peu partie, c’est pour ça qu’on est si touché.
Sono Io par le Circus Ronaldo jusqu’au 18 mai au TSQY theatrsqy.org
Cowboy
(Xoldokogaïna, Pays basque, 8 mai, 16h 25)
Le pas du cheval sur la terre sèche,
Ce vieux rêve d’Amérique
Traverser l’image sur un Alezan
Un Setson sur la tête
Des flingues à la ceinture
J’suis plus un môme pourtant
Les USA sont dirigées par un truand
La Russie est dirigé par un truand
Israël est dirigée par un truand
Y a du boulot cowboy
Consensus
(Hendaye, 20h 05)
Ce sont deux amis qui ont le goût de la nuance. L’un est un grand optimiste tandis que l’autre est profondément pessimiste. Quand il y a un sujet qui fâche, ils trottinent face à face sur la plage, l’un avance tandis que l’autre recule, trois kilomètres dans un sens, trois kilomètres dans l’autre sens, six kilomètres pour trouver un consensus.
Il n'y a rien à Châteaumeillant
(Châteaumeillant, Cher, 21h 35)
« Il n’y a rien à Châteaumeillant, je me demande bien pourquoi je suis revenu, j’ai même pas encore été voir chez moi. Direct au bar, fait moins froid. J’attends la fermeture. »
C’est ce que me dit le vieux rocker accoudé au comptoir. Je me suis arrêté là pour demander mon chemin, un hôtel sans nom, le bar qui pue le tabac froid et un patron pâlot. Je vais peut-être dormir là, pour voir, s’il n’y a vraiment rien. Il va bientôt faire nuit et j’ai l’œil qui papillonne. Je demande une chambre. Le patron semble soudain débordé et le rocker se marre. Je suis le seul client ce soir. La chambre est ringarde à souhait, des cœurs roses, des masques vénitiens et des papillons de plastique aux murs. Sur une table, un bouquet de fleurs artificielles et une poupée sur un petit roking-chair. Le genre d’endroit où tu t’attends à voir débouler une fille aux ongle vernis qui a plus d’une vie à raconter. Mais il n’y a personne, le rocker est allé accrocher ailleurs sa lassitude, le patron a fermé, m’a souhaité une bonne nuit et s’est tiré. Je suis tout seul. Il n’y a pas un bruit. Même la pluie fine qui mouille l’asphalte est silencieuse. 21h 30, je regarde par la fenêtre, rien, 22h, rien, 23h, l’éclairage public vient de s’éteindre, il fait nuit noire. Il n’y a vraiment rien à Chateaumeillant.
Orage
(Vaucresson, 10h 45)
C’est un petit jardin. Nous ne forçons rien. Ce qui vient, pousse et se sent bien, nous le laissons. Juste un peu de ménage parfois, pour la cohabitation. La glycine va où elle veut, elle grimpe en haut du noisetier et retombe en pluie bleue à la floraison. Nous lui avons seulement montré le chemin. le Lilas de l’autre côté aurait été trop fragile. Nous veillons à ce qu’elle n’étouffe pas son hôte. C’est un petit jardin qui va bien. Cette après-midi, il a été secoué, vers seize heures, un violent orage, vent et grêle, feuilles déchiquetées, fleurs explosées, des grêlons comme des billes qui n’avaient pas encore fondus à la nuit tombée. Il faudra ratisser ce qui est tombé coupé, donner un coup de peigne au jardin décoiffé. Juste un petit coup de peigne, qu’il garde son côté sauvage. Il se remettra de l’orage.
Tout en allumettes
(Villa Magdalen, Benodet, Finistère, 13 novembre 2024,16h 35)
Il est coincé tout en haut sur un fauteuil roulant dernier cri. Hanche cassée, c’est pas sur qu’il remarche, trop vieux. Alors il a demandé qu’on le monte tout en haut du minaret. C’est comme ça qu’on appelle la tour de cette luxueuse villa. De là haut on voit loin et de tous les côtés. Il préfère le côté mer, c’est plus changeant. La vue porte jusqu’à la pointe de Trévignon. Par temps clair, il ferme un œil et il suit la ligne de côte en fredonnant un petit bruit de moteur. Avec un œil, un seul, la ligne est plus précise. Quand il fait trop noir ou brouillard, il colle des allumettes. Le cigare, c’est son péché mignon, cigare au café du matin, au café du midi, au scotch du soir, des Montecristo. Alors on lui fournit quotidiennement cigares et allumettes. Et il colle des allumettes. II a longtemps hésité entre construire un avion ou un bateau, tout en allumettes. Finalement ce sera un avion-bateau ou un bateau-avion avec des ailes, des voiles et une coque comme un fuselage, tout en allumettes, pour s’en aller.
